Chapitre 122 : les ailes du déchu

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 Le déchu ? Si ce nom qui devait sans doute être un titre avait quelque chose d'intrigant, il ne donnait cependant pas vraiment envie de le rencontrer. Quoi que, ce surnom pouvait très bien avoir été donné par des personnes malintentionnées. Après tout, le héros d'un camp pouvait très bien être considéré comme un véritable monstre par l'autre.

— Et voilà, à peine arrivé, on nous demande déjà des choses et on nous envoie nous balader on ne sait où, râla Elyazra. Excusez-nous, mais nous sommes déjà à la recherche de quelqu'un. Et puis avouez que son nom n'inspire pas vraiment la confiance ! C'est un peu comme si vous nous demandiez d'aller chercher votre ami Padpanik Sépahinpièj, sauf que là, vous êtes encore moins subtile et vous nous annoncez directement qu'il n'est pas recommandable.

Visiblement, sa sœur n'avait pas eu le même cheminement de pensée et était restée sur sa première impression, se dit Syara. Elle restait méfiante, c'était après tout dans sa nature, mais elle était aussi certaine qu'autre chose se cachait derrière ce nom.

— Le déchu est un sage qui vit en ermite sur une île orpheline.

— Une île orpheline ?

— Un territoire des terres céleste qui n'appartient à aucune grande famille, expliqua Élane.

— Cet ermite sait beaucoup de choses à la fois sur le passé et sur le présent, continua le baron. C'est à se demander s'il n'a pas des yeux absolument partout. Si vous cherchez une personne en particulier, il saura vous dire où elle se trouve.

— Et pourquoi s'appelle-t-il ainsi ? Questionna Phi.

— D'après les histoires qui se racontent, le déchu était un conseiller du roi. Il était cependant en profond désaccord avec la plupart des décisions qu'il prenait et n'hésitait pas à le traiter de tyran. Un jour où il fut de nouveau ignoré et qu'une expédition punitive fut envoyée sur les terres d'en bas pour une raison absurde, il se coupa les ailes en signe de protestation et quitta le palais royal.

— En quoi se mutiler est un signe de protestation ? S'étonna Orélius.

— Les anges tirent une grande fierté de leurs ailes. Pour beaucoup, elles sont le signe qui les distingue de ceux d'en bas et qui fait d'eux des êtres supérieurs. C'est le genre d'absurdité martelé par les grandes familles qui se pensent au-dessus de tout et qui déteint sur la population. Couper ses ailes à cet instant était un geste fort car il se mettait ainsi au même niveau que les pauvres personnes qui allaient être châtiées pour rien. En faisant ça, il montrait que les anges ne valaient pas mieux et qu'il se détournait des préceptes fortement ancrés dans notre culture.

— Personnellement, j'aurai plutôt coupé les ailes du roi, mais bon, c'est une manière de voir les choses, commenta la demie-dragonne avec un haussement d'épaule.

Qu'attendre de plus de la part de sa bourrine de sœur, souffla intérieurement la beast. Plutôt que de refaire l'histoire en se mettant à la place du protagoniste, la violoniste s'attarda sur ce que représentait pour eux la perte de leurs ailes. Elle comprenait à présent le sacrifice que cela avait dû être pour sa mère de se les couper pour se faire passer pour une humaine. Cela expliquait aussi pourquoi elle cherchait absolument à prendre possession du corps de l'une de ses filles. Tout ce qu'elle avait fait n'était en rien excusé, mais trouvait au moins un semblant d'explication.

— À la manière dont vous décrivez votre roi, cela m'étonne qu'il n'ait pas été tué pour ce geste... Il est aussi étonnant que votre tête tienne encore sur vos épaules si vous le critiquez aussi ouvertement, remarqua Elirielle.

— Si je me permets de faire une telle chose, c'est parce que nous sommes entre nous. Être le chef de l'une des grandes familles fait que mes critiques envers ses décisions sont tolérées, mais une telle hostilité en public me vaudrait sans aucun doute le rang de traître. Je suis certain que d'autres se rallieraient à ma cause, mais je ne veux pas faire couler le sang et il n'est pas dans son intérêt de montrer que notre race est fracturée en deux camps. Quant à notre cher déchu, sa survie après un tel geste relève du mystère et je ne sais pas non plus pourquoi le roi le laisse en vie et en liberté. Vous pouvez penser que c'est un agent du roi, mais je peux vous assurer que j'ai déjà parlé avec lui du roi en des termes qui m'auraient fait passer pour un renégat, même par les personnes qui me sont les plus fidèles et je n'ai jamais été inquiété de quelconques conséquences. Pourtant, croyez bien que s'il avait la moindre occasion de me destituer de mon titre avec la bénédiction d'absolument tout le monde, il l'aurait fait depuis longtemps. Le déchu a donc toute ma confiance. Alors, qu'en pensez-vous ?

— Nous n'avons effectivement aucune piste pour retrouver la personne que nous cherchons, avoua Elirielle. Mais pourquoi nous aider ? Questionna la dragonne.

— N'est-ce pas évident après tout ce que je vous ai dit ? S'il existe un moyen d'éviter une guerre entre les mondes, alors cela vaut le coup d'essayer et mon instinct me dit que vous êtes notre meilleure chance d'arriver à un tel résultat sans que cela ne dégénère en une rébellion sanglante. Considérez aussi que c'est en remerciement pour avoir sauvé mon fils.

— Et où pouvons nous trouver ce déchu ? Demanda Orélius.

— Vous l'expliquer serait assez compliqué, mais Élane connaît le chemin. Si vous le voulez bien, il pourra vous guider. Ainsi, il pourra vous en apprendre plus en chemin sur notre monde et vous éviter des problèmes. Même sur les terres des autres grandes familles, personne n'osera s'en prendre à vous si vous êtes avec lui.

— C'est donc pour ça que vous l'avez convié à cette discussion, déduisit Elirielle. C'est d'accord, un guide ne sera pas de trop, mais qu'en pense le principal intéressé ?

— Je me ferai un devoir de vous emmener jusqu'au déchu, à la fois pour empêcher la guerre, et en remerciement pour mon petit frère que je n'ai pas pu sauver moi-même, répondit-il.

— J'en connais une qui va être ravie de cette nouvelle ! S'exclama Elyazra en faisant des clins d'œil appuyés à sa sœur.

Sans lui répondre quoi que ce soit verbalement, Syara se contenta de lui enfoncer son coude dans les cotes. Pourquoi cette imbécile s'était mise en tête qu'elle ressentait la moindre chose pour cette personne qu'ils venaient à peine de rencontrer ?! Il avait certes l'air gentil, mais de là à faire de tels raccourcis, c'était absurde.

— Bien ! Maintenant que tout ceci est réglé, laissez-moi vous souhaiter la bienvenue chez moi. Vous y êtes mes invités d'honneur et pourrez vous y reposer autant qu'il vous plaira avant votre long voyage.

— Merci beaucoup, remercia la dragonne. Nous ne comptons pas nous éterniser, mais nous acceptons votre hospitalité avec plaisir.

— Sur ce, je pense que je peux vous libérer de mon bureau. Faites cependant attention, il est fort probable qu'un petit garnement se tienne en embuscade derrière la porte et soit prêt à vous sauter dessus dès qu'elle s'ouvrira, sourit le baron.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant