Chapitre 95 : Une convocation inhabituelle

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 Après la séance d'entraînement écourtée, Syara s'était évertuée à penser à autre chose et à se changer les idées. Comme elle l'avait prévu, les deux demis-dragons qui s'écharpaient était une bonne distraction. Elle-même ne pouvait pas participer autant qu'elle le voulait à ces conflits puérils.

Ça n'était pas l'envie qui lui manquait, mais elle avait promis à Phi de se tenir et de ne plus s'en prendre à Orélius sans raison comme elle avait pu le faire avant. Elle grandissait et s'affirmait de plus en plus, avait-elle pensé à cet instant. Elle ne pouvait donc pas aller contre sa volonté, il fallait qu'elle lui montre que sa voix comptait.

Ainsi, si elle avait promis de ne pas s'en prendre à outrance au fils de Shay, elle n'avait rien dit concernant Elyazra. La demie-dragonne pesta donc plusieurs fois contre cette coalition qui s'était formée pour, selon ses termes, l'emmerder.

L'après-midi s'écoula et les disputes s'enchaînèrent. Ils n'en venaient jamais aux mains, mais se lançaient bien volontiers au visage tout ce qui pouvait leur passer sous la main. Cela durait jusqu'à ce que l'un d'eux demande une pause, puis se questionne sur la raison initiale de la dispute. En se rendant compte que personne ne s'en souvenait, tous les trois riaient, se calmaient et changeaient de sujet dans la bonne humeur jusqu'à ce que quelque chose froisse l'un d'eux et que tout ce cirque recommence.

À la nuit tombée, c'est épuisée, mais heureuse d'avoir eu ce moment de complicité un peu spécial avec sa sœur et ce nouvel ami que la violoniste retourna dans ses appartements pour y passer la nuit. Ne s'étant pas autant dépensée que les jours précédents, le sommeil mit un certain temps à lui venir, mais ne tarda pas non plus avec toutes les heures qu'elle avait à rattraper.

Ce ne fut cependant pas un rêve qui l'accueillit, ni une absence de l'un d'eux. Il était difficile de savoir à quel moment elle avait glissé entre le monde physique et cet endroit, mais elle s'y trouvait bien. Le monde du violon.

Enfin ! Fos allait enfin daigner lui venir en aide ! Se dit-elle. Il n'était cependant pas là. Ça aussi, c'était une habitude qu'elle détestait chez lui. La convoquer et la faire poiroter en attendant son arrivée. Il ne pouvait pas simplement la faire venir à lui directement ?

Alors qu'elle tournait lentement sur elle-même en quête de l'esprit, Syara sursauta et recula instinctivement tandis que son cœur faisait un bond et qu'un cri de surprise qu'elle ne pouvait contenir franchit ses lèvres. Il y avait bien quelqu'un, à un mètre d'elle, mais ça n'était ni Fos, ni Cristal.

— Bonjour, salua l'esprit corrompu du violon. Ou plutôt devrais-je dire bonsoir.

Totalement désemparée, Syara chercha du regard une échappatoire. Elle savait qu'elle ne pouvait rien contre cette entité dans ce monde et que son seul espoir était que Fos intervienne pour lui venir en aide. Les alentours restaient cependant désespérément déserts.

— Si tu cherches l'autre, tu peux toujours l'attendre. Il ne viendra pas vu que c'est moi qui t'ai amenée ici.

— Quoi ?!

— Pas d'inquiétude, je ne te veux pas de mal. Vu que je t'ai appelée, j'en suis de toute façon incapable.

— Oui, bien sûr. Parce que tu n'as jamais essayé de me tuer dans ce monde ! Contredit-elle en se remémorant la première fois qu'elle s'était rendue dans un tel endroit.

— Mais cette fois-ci, ça n'était pas moi qui t'avais fait venir. Et puis quoi ? Je vais passer pour la méchante, c'est ça ? Qui t'a sauvée du cerbère ? Qui a repoussé ta mère alors qu'elle voulait prendre possession de ton corps ? Qui t'est venu en aide pour ressusciter ton ami ?

— Qui a tué Shay et le père de ma sœur ? Qui a bien failli commettre un véritable carnage chez les harpies ? Rétorqua-t-elle pour contrebalancer.

— Un malheureux accident. Avant que tu n'affrontes les anges, j'étais encore en phase de réveil. Dans cet état, je suis semblable à une bête agressive. Mais à présent que je suis bien réveillée, peut-être pouvons-nous parler. Je pourrais te montrer que tes ennemis en ce lieu ne sont pas ceux que tu crois.

— Et tu vas faire quoi ? Me pousser à utiliser ton violon corrompu ? Il n'est pas question que je l'utilise ! Plus jamais je ne ferai de mal à Cristal !

En entendant ce nom, l'esprit corrompu écarquilla les yeux, puis partit dans un fou-rire incontrôlé. Qu'avait-elle dit de si drôle ? Et, surtout, était-ce en agissant ainsi qu'il comptait gagner sa confiance ?

— Ainsi tu as rencontré Cristal. Laisse-moi deviner. Fos t'a parlé de sa vie, qu'elle avait rejoint la résistance contre son propre peuple et s'était sacrifiée pour que les autres races soient libérées du joug des elfes ? Et je parierai même qu'ils t'ont dit qu'utiliser mon violon la torturait. C'est bien ça ?

— Si tu es au courant, alors tu comprends pourquoi je n'en appellerai jamais à tes pouvoirs !

— Ce monde est énigmatique, n'est-ce pas ?

Restant silencieuse, Syara observa l'ombre tourner autour d'elle tout en gesticulant les bras dans des mouvements maniérés, amples et exagérés, comme s'il jouait un rôle dans une pièce de théâtre. Il était aussi difficile à suivre à changer de sujet en un instant. Pourquoi parlait-il de ce monde alors que le sujet de la conversation était Cristal ?

— A le voir, on croirait qu'il est totalement vide, reprit-il. Mais il suffit d'un pas au bon endroit...

Face à la violoniste, l'esprit corrompu se jeta sur elle et la repoussa. Il ne l'avait pas agressée à proprement parler, juste repoussée pour qu'elle fasse un pas en arrière. Cela avait cependant suffi pour que tout ce qui se trouvait autour d'elle change en un instant. Le bleu omniprésent avait laissé sa place à l'obscurité, l'étendu infini à des murs et le vide à des meubles.

Quel tour était-il en train de lui jouer ? Quel que soit son but, elle n'aimait pas ça. Elle n'aimait pas ça du tout.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant