Chapitre 55 : Insomnie

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 Comme l'avait annoncé le maire, sa demeure pouvait parfaitement accueillir les harpies ainsi que leur escorte. Les employés qui travaillaient à l'entretien d'une telle maison furent effrayés et au mieux fortement surpris lorsque leur employeur leur présenta ses invités. Le dirigeant de Sendra dut user de toute son expérience pour les convaincre qu'il n'amenait pas une menace en ces lieux et qu'ils devaient impérativement garder le secret.

L'un des arguments pour arriver à son but était que la petite louve de Sendra en personne était venue à lui pour proposer cette paix entre les harpies et les autres races. D'habitude, Syara n'aimait pas être utilisée ainsi, mais elle passa l'éponge pour cette fois en se disant que, même s'il avait été insistant sur ça, il n'avait pas menti non plus.

Vint ensuite Sae qui s'était présentée à eux, leur faisant part de son idéal et leur demandant, elle aussi, de garder le secret pour que le monde soit un peu plus en paix. Enfin, Elyazra tenta elle aussi d'apporter sa contribution, mais fut immédiatement stoppée par sa sœur qui lui sauta dessus pour la faire taire lorsqu'elle se rendit compte qu'elle comptait, sous couvert d'humour, les menacer s'ils venaient à ébruiter la présence des harpies en ce lieu.

Heureusement, personne ne la prit au sérieux et tous, même les plus réticents, promirent de ne rien révéler. Cela aurait été tellement plus simple avec Shay, se dit la beast. Ils devaient, ici, se fier uniquement à leur parole alors qu'avec les pouvoirs d'un dragon, ils auraient pu être certains qu'ils n'auraient rien pu dire, de la même manière que les mages musiciens ne pouvaient révéler l'existence du coffre de cristal.

Épuisés autant physiquement par la marche pour atteindre Sendra que mentalement avec la préparation du grand plan d'intégration des harpies aux autres races, aucun des invités du maire ne fit de vieux os. À cause de sa nuit blanche précédente passée dans le violon de cristal, Syara s'endormit au moment où elle posa la tête sur son oreiller.

Le beast fut aussi la dernière à se lever alors que la matinée touchait à sa fin. Le maire était parti travailler en demandant à chacun de se répartir les points de la liste et de faire un bilan de leurs idées à son retour. La seule personne qui manquait était Elyazra qui, avec sa mission d'être leurs oreilles à l'extérieur, cherchait en même temps si son cousin se trouvait toujours en ville.

Les jours passèrent et, avec eux, les risques de se faire dénoncer s'amenuisèrent. d'abord effrayés par Sae, la gentillesse naturelle de la jeune impératrice les avait peu à peu ralliés à sa cause à tel point qu'ils étaient tous aux petits soins avec elle au bout de trois jours.

Grâce au bon cadre de travail qu'ils avaient, le plan prenait peu à peu forme et les points étaient presque tous traités en une semaine. Il ne restait plus que les détails à peaufiner avant de se lancer.

N'arrivant pas à dormir à cause de l'un de ces derniers points, Syara se dit qu'elle pourrait se changer les idées avec quelque chose. Elle avait remarqué, plus tôt dans l'après-midi, un recueil de partition dans la bibliothèque qui lui avait fait de l'œil. Elle sortit donc discrètement de la chambre et se rendit sans faire de bruit jusqu'à la grande salle où ils passaient le plus clair de leur temps à travailler.

Arrivée dans la pièce, elle trouva immédiatement ce qu'elle était venue chercher, mais remarqua aussi une silhouette au niveau de la fenêtre. Certains de ses amis auraient pu s'en inquiéter, mais sa vue de beast lui permit de reconnaître immédiatement Sae qui avait les yeux rivés vers l'extérieur.

— On est au beau milieu de la nuit, tu ne dors pas ?

— Je... Je n'y arrive pas.

La violoniste voulut d'abord lui dire de ne pas trop rester près des fenêtres. Celle-ci donnant sur la rue, cela pouvait s'avérer dangereux vu qu'elle pouvait être vue. L'expression soucieuse de la harpie la fit tout de même se raviser. Elle préféra donc plutôt la prendre par les serres et l'emmener s'asseoir auprès d'elle.

— Dis-moi ce qui ne va pas.

— Je n'arrive pas à trouver de solution à un point de la liste.

— Moi aussi, c'est pour ça que je suis venue chercher de quoi me changer les idées, répondit Syara en souriant. Mais toi, j'ai l'impression que c'est autre chose qui t'empêche de dormir. Tu sais que tu peux tout me dire.

— Il y aura des personnes qui ne voudront pas des harpies. Certains n'auront pas de raison valable si ce n'est leurs préjugés et la peur.

— On a déjà abordé ça au deuxième jour, se rappela la beast.

— Oui, mais ce qui m'empêche de dormir, ce sont les autres. Ceux qui ont une bonne raison de haïr les harpies. Ceux qui ont perdu des proches qui ne nous voulaient pas de mal, mais qui ont tout de même été tués en passant sur nos territoires. Eux, leur haine est justifiée et je ne vois pas comment leur faire comprendre que ma démarche est sincère. Je ne sais pas comment nous faire pardonner auprès d'eux, comment éviter qu'ils s'en prennent à mes semblables et comment empêcher qu'ils prennent cette paix comme une insulte pour eux et les proches qu'ils ont perdus à cause de nous.

— Je vois parfaitement en quoi ce point peut te poser problème. Les dédommager d'une quelconque manière ne ramènera jamais ceux qu'ils ont perdus et, quand bien même, il est impossible de retrouver toutes ces personnes. C'est une menace diluée dans la masse.

— En tant qu'impératrice, je pourrais en endosser la responsabilité et...

— Si c'est cette solution-là dont tu penses, alors ne t'en fais pas, je vais t'aider à dormir en t'assommant avec un livre, la coupa la violoniste. Endosser autant de meurtres serait une condamnation à mort. Sans toi, les harpies ne seront plus sous contrôle et n'auront pas l'occasion de voir que la paix peut leur être bénéfique. Sans parler des sentiments de vengeance qui naîtront puisque, pour elles, les autres races auront encore tué leur impératrice.

— Alors que faire ? Questionna-t-elle, les larmes aux yeux. Je ne peux pas condamner mon peuple pour avoir suivi des règles qui ont servi à notre survie, je ne peux pas satisfaire ceux à qui nous avons pris un proche. Je suis perdue.

— Ce point est là pour souligner la menace qu'ils peuvent représenter, mais toi, tu le tournes de manière à ce que tout le monde soit content. Cette paix ne sera jamais satisfaisante pour tout le monde. Il y aura toujours des personnes pour ne pas l'approuver, à tort ou à raison. Que tu penses à eux est une bonne chose, mais tu ne peux pas te permettre que ce point te bloque. Si tu penses qu'il faut absolument être accepté par eux pour avoir la paix que tu désires, alors le monde restera toujours tel qu'il est et les morts continueront des deux côtés.

— Alors qu'est-ce que tu penses que je devrais faire ?

— Je pense que le mieux à faire pour le moment est de se reposer pour avoir les idées claires. Ne pense plus à ça, nous y réfléchirons tous et je suis certaine que Rael, Guard ou le maire trouveront une solution si tu n'y arrives pas par toi-même.

— Je... Je vais essayer de dormir un peu.

Voyant qu'elle était toujours bouleversée, Syara décida de raccompagner Sae jusqu'à sa chambre et de rester un moment avec elle. Allongée dans le lit, elle la prit dans ses bras et se mit à chanter la chanson qui leur avait fait découvrir la voix magnifique de la harpie. La beast changea cependant la fin. Là où, dans l'histoire, la jeune harpie n'arrivait pas à percer les nuages, celle-ci finit par être aidée par des amis d'autres races qui la soutinrent pour qu'elle réalise son rêve.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant