Chapitre 55

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Assise sur le banc elle regardait le soleil se lever et éclairer le jardin de ses faibles rayons. La magie la préservait du froid mordant de cette fin d'automne. Elle avait passé la nuit ici, à fixer cette balançoire définitivement vide. Elle n'avait pas eu la force de bouger ou d'utiliser ses pouvoirs pour la ramener dans ses appartements. De toute façon, même si elle était rentrée, elle savait qu'elle n'aurait pas pu dormir.

Bianca était restée silencieuse toute la nuit mais Daphné ressentait sa colère. Ian était à sa portée et la jeune femme venait de s'en éloigner. Mais à quel prix ? Parce que tout ce qu'elle ressentait depuis la veille était un vide immense, comme si elle venait de se séparer d'une partie d'elle-même.

« Vous êtes bien matinale, mademoiselle Harlet. »

Daphné sursauta. À côté d'elle se trouvait Dame Deborah, la mère de Lauren et Adalard, qu'elle n'avait vu que lors du bal. Deux de ses suivantes se trouvaient un peu plus loin, attentives au moindre geste de leur dame.

La jeune femme se rassit correctement afin de paraître plus présentable, bien qu'elle se doutât que cette nuit blanche ne lui rendait pas service.

« Oui, j'étais réveillée alors je me suis dit qu'une promenade me ferait du bien. »

Dame Deborah rit doucement, son sourire accentuant ses joues creusées.

« Ça pour une coïncidence, c'est exactement ce que je me suis dit ce matin. Lorsque je me réveille en meilleure forme que la veille, j'aime à me promener dans ces jardins. »

Daphné se rendit immédiatement compte de son impolitesse et se poussa pour lui laisser une place.

« Souhaitez-vous vous asseoir, madame ?

–Oui, je vous remercie. »

Dame Deborah s'assit lentement, semblant souffrir de ce simple geste. Une fois installée, elle posa ses mains frêles sur ses cuisses et leva la tête vers cet imposant chêne. En la voyant ainsi, Daphné hésita à déployer sa magie autour d'elle pour lui enlever un peu de sa douleur, même s'il ne s'agissait que de quelques minutes de soulagement.

« J'ai appris que vous aviez réalisé un exploit hier, exploit qui nous permettra peut-être de nous en sortir dans cette guerre. Mon mari était si heureux lorsqu'il est venu me l'annoncer, il avait retrouvé espoir.

–Je devrais être en mesure de tenir tête aux forces de l'empire, oui.

–Bien, très bien. Mais j'ai malgré tout l'impression que votre prouesse ne réjouit pas tout le monde. »

Daphné fronça les sourcils.

« Que voulez-vous dire par-là ? S'enquit-elle.

–À ne pas pouvoir sortir de mes appartements, je suis obligée de me reposer sur mes suivantes pour savoir ce qui se passe à l'extérieur. Tous les matins j'ai le droit à un rapport et celui de ce matin m'a laissée... infiniment triste. L'une d'elles a vu Agnar dans les couloirs, peu avant minuit. Selon elle, il était visiblement alcoolisé et il se serait enfermé dans la serre. Apparemment, il y serait toujours. »

Le cœur de la mage se serra. Elle était la cause de tout cela.

« Peut-être a-t-il reçu des nouvelles de l'une de ses espionnes, fit-elle en détournant le regard. Ou qu'il souhaitait fêter cette petite victoire à sa manière. »

Dame Deborah resta longuement silencieuse, semblant méditer ses paroles, avant de soupirer d'un air las.

« Vous savez mademoiselle Harlet, je me souviendrais toujours de ce jour où j'ai vu ce petit garçon pour la première fois. Un bébé de quelques jours seulement dont Madalena ne se séparait jamais et dont elle semblait si fière. J'ai vu ce petit grandir. J'ai vu son père le laisser monter sur ses genoux pour qu'il puisse s'asseoir sur le trône avec lui et lui montrer ce qui l'attendait et Madalena les regarder avec tant d'amour. Je l'ai cherché toute une soirée après les funérailles de sa mère avant de le trouver dans les appartements de l'impératrice, cherchant désespérément Madalena et pleurant au pied du lit. Je l'ai vu haïr Ignacia avec tant de force. Je l'ai vu se mettre en colère et perdre le contrôle. J'ai vu le regard qu'il a porté sur son frère lors du baptême, quelque chose comme de la colère mélangée à une pointe d'admiration. J'ai vu son père se détourner de lui alors qu'il se perdait parmi ses concubines et l'alcool, délaissant son propre fils parce qu'il lui rappelait le seul amour qu'il n'eut jamais connu.

Comme un pétale de roseWhere stories live. Discover now