Chapitre 87

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Une myriade d'émotions traversa Daphné. Elle avait envie de hurler. Hurler de rage, hurler de douleur, hurler de tristesse. Hurler. Mais elle en était incapable. Aucun son ne montait dans sa gorge. Et aucune pensée lucide ne traversa son esprit. Seules ces deux phrases tournaient en boucle dans sa tête.

Enfant du Diable. Dieu te voit.

Darren n'avait pas écrit ces mots, il n'aurait pas parlé de Dieu. Et Fosca... Elle avait été clouée comme l'étaient les traitres à la religion autrefois. L'Église avait fait ça, mais Darren n'était pas totalement innocent. Ils avaient œuvré ensemble et avaient fait ça.

Les yeux de la religieuse étaient encore ouverts, fixant un point invisible pour l'éternité. Quelques mèches châtaines s'étaient échappées de son voile tâché de sang. Sa robe était déchirée dans le bas, sur la longueur. Daphné préférait ne pas imaginer pourquoi.

Lorsque son esprit se remit à fonctionner, il crut bon de repasser tous les moments passés avec Fosca. Leurs lectures silencieuses dans la bibliothèque du boudoir à Avisir, leurs parties d'échecs, les petites séances de prières où la religieuse la bénissait rapidement, leurs discussions où Fosca avait toujours été compréhensive et ouverte d'esprit.

À la mort de Lio, elle avait ressenti un vide immense et une tristesse infinie. Mais cette fois, seule une colère sourde entourait son cœur et embrumait ses yeux. Fosca avait été tout sauf une enfant du Diable. Elle était restée fidèle à Dieu malgré tout ce qui lui était arrivé. Sa foi n'avait pas flanché un seul instant. Et pourtant, ses meurtriers la remettait en question et exposait ce doute aux yeux de tous, après avoir sali son corps et sa mémoire.

« Daphné, je ne sens plus mes jambes. »

La voix enrouée de Cale ramena la jeune femme à la réalité. Son sang chaud coulait encore entre ses mains tandis qu'elle pressait sur sa blessure pour ralentir l'hémorragie.

« Dunlá va arriver, tenta-t-elle de les rassurer tous les deux. Elle va nettoyer tout ça et je pourrais te soigner. »

Elle se rendit compte qu'elle avait relâché sa magie et ne prenait plus toute sa douleur. Elle se concentra à nouveau et absorba sa peine, grimaçant en ressentant une vive douleur au niveau du ventre.

« Est-ce que tu crois qu'elle a souffert ? »

La voix du chevalier n'avait été qu'un souffle mais elle se brisa sur le dernier mot. Daphné ferma les yeux un instant. Tout son corps tremblait, autant de rage pour ce qui avait été fait à Fosca que de peur face à l'état de Cale qui ne cessait de se dégrader.

« Elle a toujours été fidèle à Dieu, je suis certaine qu'Il a récompensé sa foi en lui évitant ces souffrances. »

Elle n'était même pas certaine de ses propres mots. Elle avait sans doute été torturée pour obtenir la moindre information sur Agnar et leur stratégie. L'état de son corps ne disait pas le contraire. Pourtant, elle voulait se convaincre qu'elle était partie sans douleur, en paix, et que son esprit résidait à présent au Paradis. Parce qu'elle le méritait. Pour sa foi inébranlable, elle méritait de passer l'éternité dans un endroit idyllique.

Cale tenta de se redresser, profitant qu'elle soit perdue dans ses pensées. Il ne ressentait plus la douleur mais le sang coula à flot tandis qu'il bougeait.

« Reste comme tu es, lança-t-elle en cachant le tremblement dans sa voix. Il ne faut pas empirer les choses. »

Il se laissa retomber contre l'arbre et soupira d'un air las, le teint de plus en plus blafard. Daphné étendit sa magie, à la recherche de Dunlá. Elle devait arriver au plus vite, Cale ne tiendrait plus longtemps.

Comme un pétale de roseWhere stories live. Discover now