Chapitre 75

248 28 46
                                    

Daphné fit face à Edouard, impassible. Elle refusait de lui montrer que sa présence l'affectait, tout comme elle refoulait ses souvenirs. Il ne méritait pas qu'elle lui apporte de l'importance. Pas après tout ce qu'il s'était passé.

Edouard la fixait comme s'il avait devant lui un fantôme. Un mélange confus d'émotions teintait son aura. Il semblait lutter contre quelque chose, peut-être contre lui-même, incapable de se reprendre.

« Il ne t'a pas tuée... »

Sa voix n'avait été qu'un souffle et pourtant, Daphné fut frappée de plein fouet. Il avait espéré qu'elle soit morte depuis longtemps, certainement comme le reste du village. Tous avaient dû s'imaginer que le terrible Prince Sanglant l'avait laissée pour morte quelque part, après avoir profité d'elle. Et ils avaient dû s'en réjouir.

Elle sourit amèrement à cette pensée.

« Déçu ? »

Il secoua la tête, semblant tenter de se réveiller d'un rêve.

« Comment est-ce que tu peux encore être en vie ? »

Elle haussa les épaules, prenant un air détaché comme si la situation ne l'affectait pas. Pourtant, la boule dans son ventre grossissait un peu plus à chaque mot qu'il prononçait.

« De la même manière que toi tu l'es, je suppose. »

Il releva à nouveau la tête vers elle. La colère et l'incompréhension animaient son regard.

« C'est pour ça que les récoltes ont été mauvaises cette année. Parce qu'on avait prévu un sacrifice qui n'est jamais arrivé. C'est pour ça que j'ai dû m'engager dans l'armée pour ramener de l'argent à mes parents. Juste parce que tu es encore vivante.

–Ne me blâme pas pour quelque chose dont je ne suis pas responsable. Si la récolte a été mauvaise c'est que vous n'avez tout simplement pas eu de chance, c'est simplement un phénomène naturel.

–Nous avions promis à Dieu le sacrifice d'une enfant du Diable, et nous avons failli à cette promesse. Il nous a fait comprendre son mécontentement ainsi.

–Ou alors Il vous fait payer pour ce que vous m'avez infligé. »

Edouard serra les poings et la mâchoire.

« Tu n'es pas autorisée à parler de Lui comme s'Il était ton dieu. »

Daphné soupira, épuisée. Elle savait que cette discussion ne mènerait à rien de bon, elle ne voulait pas s'éterniser.

« Écoute Edouard, fit-elle calmement. Je n'ai pas envie d'avoir cette discussion, c'est inutile. Ce qui est fait ne pourra être défait, il ne sert à rien de remuer le couteau dans la plaie. Si ça te fait plaisir de penser que tout est de ma faute, soit, je ne dirais rien. Je veux seulement que tu me laisses tranquille. »

N'attendant pas de réponse de sa part, elle tourna les talons et continua sa route vers Karsten.

« On aurait dû davantage se méfier, lança-t-il entre ses dents. Bien sûr que ça n'était pas normal qu'on ne te voyait jamais. Et bien sûr que c'était étrange qu'un couple stérile ait une fille du jour au lendemain. Tes parents ont pactisé avec le Diable et ont condamné le village tout entier. »

Daphné se retourna vivement, sentant sa magie s'échauffer dans ses veines. Edouard eut un mouvement de recul en voyant les yeux de la mage étinceler.

« Tu as le droit de m'insulter autant que tu le souhaites, gronda-t-elle, mais je t'interdis de salir la mémoire de mes parents. Surtout pas après la gentillesse dont ils ont fait preuve à ton égard de leur vivant. Combien de fois ma mère t'a soignée avec ses plantes médicinales lorsque tu tombais devant la boutique ? Et combien de fois mon père t'a ramené des cadeaux lorsqu'il se rendait en ville ? Beaucoup trop pour que tu leur manque de respect aujourd'hui. Déteste-moi autant que tu veux Edouard, mais tu n'as aucun droit de les haïr eux aussi. »

Comme un pétale de roseWhere stories live. Discover now