Chapitre 100

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Daphné souleva sa jupe en passant par-dessus un tronc d'arbre échoué et se fraya un chemin parmi les hautes herbes de cette forêt que personne ne visitait.

Trois millénaires plus tôt, Arlequin avait levé une barrière autour de cet endroit, pour le préserver de toute intrusion en le gardant secret. Elle n'y était jamais revenue depuis qu'ils l'avaient quittés, enfants. Et pourtant, elle se souvenait de chaque détail, chaque encoche sur les pierres de la maison, la position exacte de chaque arbre, comme si elle n'en était jamais partie.

Le jardin était parfaitement entretenu. L'herbe était coupée à ras, des morceaux de bois étaient entreposés à leur endroit habituel, la hache de leur père plantée dans une souche non loin, et aucune mauvaise herbe n'obstruait le potager. C'était exactement comme ils l'avaient laissé.

À un détail près. La quantité de magie qui émanait de la maison. Elle ressentait la puissance des énergies de Fergus, Darren et Arlequin à l'intérieur, qui étouffait et assombrissait l'endroit. Et au fur et à mesure qu'elle se rapprochait, le ciel par-delà la barrière se couvrait et l'orage se levait.

C'était Arlequin qui les avait tous convoqués. Pour se retrouver, avait-il dit dans son message, parce qu'ils ne s'étaient plus retrouvés tous les six depuis des siècles. Littéralement. Mais Daphné savait qu'il avait autre chose derrière la tête, et elle était parfaitement consciente de ce dont il s'agissait.

Elle sortit de ses pensées et se décida à avancer jusqu'à la vieille porte en bois, qui portait encore les coups de hache qu'avait donné Darren une fois, en se disant qu'il était drôle de se servir de la porte d'entrée pour cible. Daphné sourit faiblement. Tout ceci remontait à une éternité.

Elle finit par pousser cette porte, qui grinça sur son passage, et entrer. La salle principale n'avait pas non plus changé. La cuisine sommaire la longue table en bois entourée de huit chaises, toutes nominatives. Ethel s'était amusée une fois à créer de la peinture à base de pétales de fleurs pour décorer la sienne. Et elle avait même dessiné une petite fleur violette à l'arrière du dossier de sa propre chaise, dans l'espoir de lui faire plaisir.

Arlequin était assis en bout de table, ses yeux d'un jaune perçant la détaillant longuement. Il n'avait pas changé son apparence depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu. Ses cheveux blancs et sa barbe étaient toujours aussi longs, il ne cachait pas l'âge avancé de sa réincarnation actuelle, et portait une longue toge dorée, aux détails très riches.

Darren était à l'autre bout, avachi sur son siège, les pieds croisés sur la table et ses longs cheveux noirs retombant sur ses épaules. Ses bottes en cuir étaient visiblement nouvelles, tout comme son pourpoint noir aux détails rouges qu'il gardait toujours trop ouvert. Les larges manches de sa chemise noire étaient remontées, de sorte à ce que tout le monde voit sa main de rubis, qu'il s'amusait à détailler en lui lançant des regards haineux.

Fergus, quant à lui, se tenait en retrait, adossé contre le manteau de la cheminée. Il jouait avec une petite figurine en bois. C'était un renard qu'avait sculpté Caius pour l'un des anniversaires de leur mère. Sa tresse « tait passée par-dessus son épaule et retombait le long de son torse fin. Fergus avait toujours eu cette apparence androgyne, qui ne plaisait pas à leur père. Il était trop petit, trop maigre et ses traits étaient trop fins pour qu'il soit un véritable homme, selon lui. Mais c'était ce qui faisait son charme, et Daphné savait qu'il reprenait son apparence originale dans chacune de ses vies justement pour cette raison.

« Bonjour Daphné. »

La voix d'Arlequin était froide mais posée. Fergus posa sa figurine et croisa les bras sur son torse, son éternel sourire traînant sur son visage.

Comme un pétale de roseWhere stories live. Discover now