Chapitre 63

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Il fallut plus de temps à Daphné que d'habitude pour s'habituer à l'arène de Bianca. Et lorsqu'elle observa l'endroit, elle en comprit la cause. Les cristaux entourant l'espace étaient plus nombreux, plus hauts et plus aiguisés, leur surface tranchante scintillant sous les rayons d'un soleil parme. Des cascades d'eau aubergine s'écoulaient sans bruit des bâtiments en ruine flottant au-dessus d'elle et formaient des petits bassins dans la cendre qui recouvrait le sol là où elles s'écrasaient.

Puis Daphné leva les yeux vers Bianca. Autrefois, elle trouvait la mage assise en tailler à quelques centimètres du sol. Cette fois-ci, elle était installée sur un immense trône ayant la forme d'un crâne de serpent. La jeune femme reconnut la bête qu'elle avait affronté presque deux semaines plus tôt grâce aux imposantes cornes pointant vers le ciel et aux quatre crocs encore tranchants sur lesquels coulait un sang noir, gouttant et se mélangeant à la cendre.

Bianca était assise au centre de la gueule ouverte du monstre, condamné à essayer de la dévorer pour l'éternité, sans jamais être autorisé à refermer sa mâchoire. Le siège et les marches menant jusqu'à lui avaient été taillé dans des os et étaient décorés d'écailles améthyste.

L'air était pesant, presque irrespirable alors que sur Daphné pesait le regard glacial de Bianca, nonchalamment installée sur son trône sinistre, reine d'une dimension en destruction.

Mais surtout, Daphné remarqua quelque chose d'étrange sur le visage de la mage originelle, comme un voile ondulant paisiblement sur sa peau.

« Vous avez été étrangement silencieuse ces derniers temps, commença Daphné en tachant de cacher son trouble.

–Est-ce pour cette raison que tu as demandé à me voir ? Je te manquais ? »

Daphné resta impassible malgré l'envie de rire. Elle n'avait pas connu autant de sérénité depuis le rituel et elle en avait apprécié chaque seconde. Mais elle avait dû se rendre à l'évidence. Si Bianca ne parlait pas et si Daphné ne ressentait même pas sa présence derrière la porte, alors quelque chose n'allait pas. Or, elle avait besoin de toute sa puissance si l'empereur venait à engager le combat lors de leur rencontre, elle ne pouvait l'abandonner.

« Je me demandais simplement quelle était la raison d'un tel silence. Ce n'est pas dans vos habitudes. »

Bianca se pencha en avant, agrippant fermement les accoudoirs de son trône, et fit tomber le voile qui recouvrait son visage. Daphné fut horrifiée de constater que quatre profondes entailles le transperçaient en diagonale, la défigurant totalement. L'un de ses yeux avait été crevé, son nez à moitié arraché, ses lèvres fendues. Deux griffures continuaient dans son cou jusqu'à son épaule, dégoulinant encore de sang.

« Le Chaos m'a rendu visite, reprit Bianca, et m'a punie. »

Les yeux de Daphné s'écarquillèrent davantage en comprenant pourquoi il lui avait fait ça.

« C'est à cause de ce que vous avez dit à Agnar. »

Bianca passa une main devant son visage et peu à peu les horribles blessures s'effacèrent. Le voile était de retour. Le bouche de Daphné s'assécha. Bianca n'avait pas de corps alors le Chaos avait blessé son âme. Quel genre d'entité était capable d'une telle chose ?

« Ça se soignera, répondit Bianca en haussant les épaules et en s'installant au fond de son siège, et tout redeviendra comme avant. »

Elle avait l'air indifférente, comme si son propre sort n'avait pas d'importance. Mais comment pouvait-elle ne pas souffrir avec de telles blessures ?

« Pourquoi avoir révélé une telle chose à Agnar alors que vous saviez ce qui vous arriverait ? »

Bianca haussa les épaules d'un air détaché.

Comme un pétale de roseWhere stories live. Discover now