Chapitre 45 - Regrets, rivalités, responsabilités

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Le compartiment des préfets ne ressemblait à aucun autre. Il occupait à lui seul la moitié d'un wagon. Ses murs étaient composés de panneaux de bois clair et verni, dans lesquels certains anciens préfets avaient gravé leurs noms et quelques phrases à l'intention de leurs successeurs. Vingt-six sièges, aux couleurs des différentes maisons, étaient disposés en cercle autour d'une table ronde à la surface tapissée de cuir orné de motifs en or. Au centre de celle-ci était incrusté le blason de Poudlard avec sa devise : « Draco Dormiens Nunquam Titillandus ». Des bonbons étaient en libre distribution dans des petites coupelles en argent, ce qui ne manqua pas d'évoquer à Kate son entretien chez les CRECELLES pour négocier l'ouverture de Papillombre.
À son agréable surprise, la petite sorcière, vers laquelle de nombreux regards se posèrent à cause de son jeune âge, découvrit un siège violet parmi tous, coincé entre un rouge et un bleu.

— C'est bien, au moins, je sais où je suis ! s'exclama-t-elle.

Toute en joie, elle prit place la première, suivie par Clive qui s'installa sur le siège mitoyen en velours saphir. En attendant que tous les préfets arrivent, Kate les détailla un à un. Certains, venant d'être promus, découvraient aussi ce compartiment privilégié pour la première fois avec plus ou moins d'émerveillement. D'autres, plus habitués, n'hésitaient pas à chaparder des confiseries entre deux conversations, l'air de rien, les réceptacles se remplissant tous seuls. En s'étonnant de l'absence de Dennis Crivey, Kate se rappela que le benjamin de l'ancienne armée de Dumbledore et préfet à Gryffondor avait fini par quitter les bancs de Poudlard de manière définitive. Ce, avec les plus grands regrets de son amie, Scarlett.

— Dis, Clive, se pencha-t-elle vers lui, pourquoi il y a un siège doré ?

Elle lui désigna alors la petite banquette éclatante, entre celles des Serdaigles et des Serpentards.

— C'est celui du – ou de la – préfet en chef, lui expliqua-t-il. Il y en a deux par année, un garçon et une fille. Mais ce ne sont pas forcément des préfets à la base.
— Alors... pourquoi il n'y a pas deux sièges dorés ?
— Ça signifie qu'un préfet a été promu préfet-en-chef.
— Ah, d'accord. Et... il faut faire quoi pour devenir préfet-en-chef ? Ça implique quoi ?
— Être dans les premiers de la promotion de sixième année. Ils regardent aussi en fonction de ton implication dans la vie étudiante à Poudlard. Et tu deviens ainsi préfet-en-chef pendant ta dernière année. Ils n'ont rien à faire de particulier, il s'agit plus d'un titre honorifique, même s'ils peuvent participer aux réunions des préfets. Il y a des rumeurs dans Poudlard comme quoi les préfets-en-chef posséderaient des appartements luxueux qui leur seraient réservés dans l'une des tours, mais ce sont des bobards.
— Et tu aurais voulu être préfet-en-chef, toi ?

Clive cligna des yeux à plusieurs reprises derrière ses verres de lunettes et détourna sa réponse :

— D'autres sont sûrement plus méritants que moi.
— En gros, oui, tu aurais voulu, traduisit Kate.
— C'est toujours un plus.
— Et tu es loin d'être mauvais en cours ! Tu m'avais dit l'an passé que tu étais le meilleur de ta classe en sortilèges !
— Ce n'est pas toujours ça qui suffit, Kate, lui sourit-il, avec une pointe d'amertume. J'espère juste que c'est quelqu'un de plus louable que moi qui en a hérité.
— Nous allons commencer, si vous pouviez aller vous asseoir, merci.

La voix, à la fois mielleuse et autoritaire, ramena le calme dans le compartiment et tous les préfets des différentes maisons prirent place. Alors que s'asseyait sur le fauteuil doré une petite Serdaigle aux yeux bridés, le Serpentard aux cheveux châtains ternis qui venait d'orchestrer l'installation s'assit au milieu des siens. Le port presque balourd, qui ne s'accordait ni à son ton endurci ni à sa silhouette encore élancée, signe de sa croissance peu lointaine, il lia ses mains sur la table, dans une pose que Kate crut reconnaître, alors qu'il balaya de ses yeux clairs l'assemblée. Elle l'avait déjà croisé quelques fois dans les couloirs, dans la Grande Salle, mais ne s'était jamais questionnée sur son identité. À côté d'elle, Clive se crispa.

— Bonjour à tous.

Des salutations discrètes germèrent autour de la table.

— Je suis heureux de présider cette première réunion de l'année et espère que notre collaboration sera... prolifique. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Adam Armbreaker...

Armbreaker ! C'était pour cela que ce jeune homme lui rappelait quelqu'un ! Il n'était personne d'autre que le fils du patron de son père ! S'il n'avait pas hérité de son visage et de sa mâchoire carrée, présentant plutôt une mandibule effilée qui, accentuée par ses grandes dents, lui donnait un air de lièvre, il possédait ce même charisme, cette inflexibilité qui enrayait toute tentative d'opposition.

— ... Serpentard, 7ème année, et nouveau préfet-en-chef.

Cette annonce fut saluée par quelques applaudissements, ce qui ne sembla pas au goût de Clive, qui serra les dents.

— J'en profite également pour vous présenter ma consœur de cette année : Olivia Green, élève à Serdaigle. Bravo pour cette belle réussite et nous lui souhaitons tous beaucoup de succès pour cette dernière année à Poudlard.

La Serdaigle aux origines asiatiques hocha la tête en rougissant sous les applaudissements renouvelés.

— Bien, reprit Adam d'un ton décisif. Avant que l'on aborde les différents ordres du jour, je propose de faire un tour de table, car nous ne nous connaissons pas tous. Avec les nouveaux préfets, ceux qui l'étaient mais qui ne se sont pas spécialement fait connaître...

Se sentant visée par cette déclaration, Kate se ratatina sur son siège en espérant se faire oublier. Alors, les préfets se présentèrent chacun leur tour, se contentant de donner leur prénom et leur année de scolarité.

— Katelyna Whisper, bredouilla-t-elle quand vint pour elle le moment de s'exprimer. J'entre en quatrième année.

Ce qui ne manqua pas d'éveiller les conversations par-ci par-là.

— C'est une grande première et je m'en réjouis, déclara Adam Armbreaker, presque indifférent. Il n'y a jamais eu de préfet aussi jeune à Poudlard. D'autant plus que j'ai eu vent de toi, de par mon père. Ça doit une grande responsabilité et un grand honneur pour toi, que d'être préfète, surtout d'après ce qu'on m'a raconté à propos de la discipline dans ta famille.

La pique discrète, lancée de manière à ce que seule Kate comprenne, lui échauffa les sens. Quiconque lisait les journaux ne pouvait ignorer la médiatisation surdimensionnée autour du procès de Phil et de sa condamnation. L'évocation de sa désobéissance de l'an passé, impair qui lui avait permis de sauver des vies et de tuer une vampirette cruelle et dérangée, en public, passa pour une humiliation qu'elle supporta bien mal.

— Clive Ollivander, septième année.

La présentation spontanée de Clive fut salvatrice et permit à Kate de contenir sa colère pour éviter de la faire exploser aux yeux de tous les préfets. Cependant, elle remarqua à sa voix pincée et à son air assombri que Clive partageait déjà des antécédents rivaux avec Adam, ces derniers n'étant pas arrangés par le titre obtenu par l'un et convoité par l'autre.
En entendant le nom d'Ollivander, certains nouveaux préfets parurent déconcertés et attardèrent leur regard sur le petit-fils du célèbre vendeur de baguettes. Adam, qui releva son intervention en faveur de la jeune Kate, afficha alors son premier sourire depuis son arrivée, rendant son visage fourbe.

— Toujours au poste, lança-t-il.
— Toujours au poste, répéta Clive en grinçant.
— Merci de nous faire... l'honneur de ta présence, cette fois-ci.
— Je ne raterai jamais la première réunion de l'année. Et je manquerai encore moins à mes responsabilités.
— Oui. C'est respectable de faire passer ses devoirs de préfets avant ceux de... petit ami, n'est-ce pas ?
— Tout à fait.

Certains élèves ricanèrent autour de la table, réaction que Kate ne comprit pas, alors que Clive demeurait stoïque, fermé à toute afférence. Cette remarque ne pouvait pas être qu'anodine.
Une fois que tous les préfets se furent présentés, Adam leur exposa leurs différentes missions après une courte introduction :

— Comme vous le savez tous, le poste de préfet est lourd de responsabilités. Vous êtes les élèves gardiens de Poudlard. Vous devez faire régner l'ordre, afin que cette école soit à la hauteur de sa réputation. Vous n'êtes pas devenus préfets pour vous amuser, pour vous vanter de ce titre, ni pour vous faire aimer. Vous devez vous faire respecter. Peu importe si vous devez passer par des retraits de points qui feront de vous des élèves moins appréciés, mais aucune excuse ne sera acceptée. Il en va de la notoriété de votre rang.
« Vous avez le droit de faire marcher votre rôle de préfet dans n'importe quelle situation que ce soit, sauf en cours ou en présence de professeurs. Tant que quelqu'un qui vous est supérieur, hiérarchiquement, est à vos côtés, vous n'avez pas à intervenir. Le plus souvent, les préfets retirent cinq points pour toute injure à l'encontre d'un camarade, incitation à la bagarre, utilisation de potions sur les autres élèves ou ensorcellement délictueux mineur.
— Euh... ça veut dire quoi « délictueux », Clive ? chuchota Kate en se penchant vers lui.
— Lancé pour provoquer les embrouilles.
— Ah. Et il ne pouvait pas l'expliquer comme ça ?!

Clive préféra en hausser les épaules plutôt que de répondre.

— Dix points retirés pour toute infraction de gravité moyenne, présence non désirée après le couvre-feu et non obéissance au règlement de l'école. Les punitions peuvent aller jusqu'à quinze points, jamais au-delà, sachant qu'à partir de quinze points, vous devez en avertir un professeur référent, à savoir un directeur de maison, soit le vôtre soit celui de la maison de l'élève concerné. Il avisera d'une retenue supplémentaire au besoin, voire d'un conseil de discipline. En cas de dispute, d'accrochage, de nuisance, vous devez toujours intervenir. Si vous ne faites rien, vous serez considéré comme complice et serez jugés en conséquence.
« J'ai marqué sur ce parchemin les différents tours de rondes du mois de septembre. Je la fais passer mais je vous en ferai livrer une copie par personne, pour que vous sachiez qui est de surveillance chaque soir. Deux préfets sont de ronde chaque soir. Les cinquième année ont minimum un soir de ronde par mois, deux pour les sixième année, trois pour les septième année.

Le parchemin posé devant lui, il n'eut pas besoin de le faire passer, la table pivotant d'elle-même à chaque fois qu'un préfet donnait un petit coup de baguette devant lui. Chose à laquelle les anciens préfets était habitués, alors que les nouveaux le découvraient, tout comme Kate.

— Et... la quatrième année, alors ? marmonna Kate pour elle-même.

Clive tapota le bout de sa baguette sur la table, qui tourniqua jusqu'à ce que le parchemin lui parvienne.

— L'ingrat... grommela-t-il en blêmissant.
— Quoi ?
— On est tous les deux de ronde... ce soir !
— Ce soir ?! s'exclama-t-elle en lui arrachant presque le parchemin des mains. Mais c'est la soirée de rentrée, on sera crevés ! Puis je veux aller m'amuser avec les autres !
— Cherche pas, ce n'est qu'un troll. Bon, déjà, félicite-toi. Tu n'as que cette ronde ce mois-ci. Moi, il m'a filé un samedi soir et un vendredi en fin de mois. Génial...
— Oh. Un petit accident est si vite arrivé, Clive. Les poisons, ça se perd un peu partout... !

Ils échangèrent un petit rire discret, bien vite coupé :

— Si vous pouviez ne pas monopoliser le planning, ça serait sympa, réclama une préfète de Serpentard à l'air pincé.
— Ah, désolé... ! Voici.
— Pour la rentrée, les préfets se divisent en plusieurs groupes, reprit Adam Armbreaker. Une majorité des sixième et septième année se chargent du déplacement des bagages correspondants à chaque élève. Ils doivent quitter les tables peu avant la fin du repas afin que tout soit en ordre lorsque les élèves rejoignent leurs dortoirs. Les cinquième année s'occupent, quant à eux, de présenter les lieux aux première année, de les accompagner dans leur salle commune et de leur montrer leurs dortoirs respectifs.
— Bah... ! Et moi, je fais comment ? hoqueta Kate à voix basse.
— Je ne sais pas, demande... !

Maladroitement, Kate leva alors une main tremblante qu'Adam ne remarqua qu'assez tard.

— Oui, Whisper ?
— Comment je fais pour Papillombre ? Il n'y a que moi qui sache comment accéder à notre salle commune. Il faut que je m'occupe des bagages, de l'accompagnement des première année et de ma ronde, tout ça en même temps ?!
— Hm, c'est un contretemps, mais compte tenu du fait qu'il y aura moins d'élèves à gérer à Papillombre, ça sera plus facile. Ça sera plus simple les années suivantes, quand il y aura d'autres préfets pour t'épauler. En attendant, nous n'avons pas d'autre solution. Tous les préfets ont du travail à faire et comme tu le soulignes si bien, à part toi et tes camarades de Papillombre, personne ne sait où se situe votre salle commune.

On pouvait sentir une pointe de cynisme à travers ses paroles. Kate n'osa pas lui faire remarquer qu'elle ne savait pas lancer correctement un sort de déplacement sur des objets aussi lourds que des valises, de peur d'éveiller les moqueries. Mais de nouveau, Clive intercéda en sa faveur en levant la main :

— Je l'aiderai pour amener les bagages jusqu'à l'entrée de sa salle commune, s'il le faut, en plus de ceux des nouveaux de Serdaigle.

Adam s'apprêta à répliquer d'une raillerie, quand une préfète de Poufsouffle aux cheveux tressés monta également son bras.

— Moi aussi.

Le geste fut reproduit par un autre préfet de Gryffondor.

— Et moi aussi.

Face à cette bonne volonté, Adam ne put que ravaler ses moqueries et tassa les parchemins qu'il avait entre ses mains.

— Trois préfets de sixième anné seront chargés de la distribution des emplois du temps demain matin. Le premier entre 6h et 7h, le deuxième entre 7h et 8h et le dernier de 8h à 9h. Voilà pour la rentrée. Tout au long de l'année, des missions vous seront délivrées et peuvent être de toutes natures. S'assurer du nettoyage de la salle des trophées si aucun élève n'a dû le faire en retenue, vérifier que le gros horloger soit à l'heure, inspecter la volière, changer les mots de passe pour les préfets-référents...
— Les préfets-référents ? s'interrogea un préfet de Poufsouffle.
— Il s'agit des... comment dire... sous-préfets-en-chef ? Des directeurs de préfets, un par maison, qui sont en septième année. De par mon titre de préfet-en-chef, je suis celui de Serpentard. Ma consœur Olivia Green n'étant pas pleinement préfète, ça sera Ollivander qui sera celui de Serdaigle. Williams sera la référente de Poufsouffle et Falcon celle de Gryffondor. Je vous distribue maintenant les tâches de chacun pour le mois à venir.

Il disposa les parchemins sur la table, qui tournoya si vite que les gens avaient à peine le temps de se saisir du leur avant qu'elle ne tournoie de nouveau pour livrer ses autres rouleaux. En détaillant le sien, Kate fut soulagée de constater que ses missions restaient assez légères, à l'exception de celles du jour. En revanche, elle pâlit en jetant un coup d'œil au parchemin de Clive, certainement le plus long de tous, à tel point qu'il touchait ses jambes, quand bien même il l'avait à hauteur de regard. Le jeune homme lui-même en demeura coi un bon moment.

— Préfet-référent ? Déjà une plaie... ! maugréa-t-il en jetant un œil rapide à la liste immense.
— Quelque chose à redire, Ollivander ? releva Adam en haussant les sourcils.
— Pas pour le moment, Armbreaker.
— A la bonne heure.

Puis, il s'adressa au reste de l'assemblée :

— Bon. Des questions ?

Comme personne ne l'interrogea sur le moment, la réunion s'acheva dans les minutes qui suivirent.

— Ça fait longtemps que toi et Armbreaker vous vous détestez comme ça ? s'enquit Kate, son parchemin sous le bras, alors qu'ils avançaient dans un couloir pour retrouver leurs amis respectifs.
— On ne s'est jamais apprécié, pour tout te dire, mais on en restait là, c'est tout. Je le trouve trop... Il veut toujours tout contrôler.
— C'est que tu ne connais pas son père... ! On le surnomme le Dragon !
— Je veux bien te croire ! Et puis, il faut l'avouer, c'est un bon élève. Un excellent élève, même. Mais bon... Cette année, ça ne risque pas de s'arranger. Il savait que je voulais devenir préfet-en-chef. Maintenant qu'il l'est, en plus de me narguer toute l'année, il va me filer toutes les sales besognes...
— Et pourquoi il a...

La question de Kate fut interrompue alors qu'il franchissait la porte entre deux wagons, se retrouvant nez à nez avec une Maggie à bout de souffle, ses vêtements déchirés par endroits, les bras et le visage griffés jusqu'au sang, ses cheveux courts en pétard. Elle hoqueta alors, la voix éraillée :

— J'ai perdu ton chat. 

Quand le train s'arrima sur le quai de Pré-au-Lard, Kate vit le débarquement d'un nouvel œil alors qu'elle voyait la pile de bagages s'amasser dans un coin de la petite gare. Certains préfets s'affairaient déjà à les monter dans des calèches spéciales pour les amener jusqu'à l'école. Avant d'arriver, les filles avaient tenté de rafistoler les vêtements de Maggie et d'arranger sa peau, ce qui ne fut qu'un demi-succès. Sa peau était encore rougie par endroits et une oreille plus grande que l'autre à cause d'un sortilège loupé, ce qui lui valut quelques remarques.
Alors que les élèves descendaient et défilaient, les deux meilleures amies retrouvèrent les garçons de Gryffondor sur le quai, à la plus grande joie retenue de Kate, seule violette parmi les rouges.

— Hé, regardez ! leur montra Griffin en levant un doigt moqueur. On dirait bien que l'intello s'est trouvé une copine à sa taille !

Les garçons ricanèrent alors que Kate se retournait pour apercevoir le concerné : Emeric Beckett. Le jeune garçon de Serdaigle aux cheveux blonds aidait une petite fille, visiblement nouvelle, à décharger la cage de son hibou grand-duc sur le quai. Kate se pinça les lèvres, comme à chaque fois qu'elle posait les yeux sur Emeric depuis l'abandon de ce dernier lors du tournoi de duel. Elle se sentait traîtresse. Lui qui avait toujours été si gentil et compréhensif avec elle, son intervention en faveur de Griffin avait été une véritable humiliation dont elle n'avait pu saisir l'ampleur sur le moment. Rejeté par la fille qu'il aimait, Emeric ne lui avait, depuis lors, pas adressé le moindre mot.

— Ils se connaissent, j'ai l'impression, fit remarquer Sam, alors qu'Emeric désignait à la fillette la silhouette d'Hagrid, qui balançait sa lanterne grosse comme une citrouille en hélant les première année.
— C'est peut-être sa petite sœur, proposa Irwin.
— Emeric n'a pas de sœur, il est enfant unique, objecta Kate en tentant de l'oublier, ayant détourné son regard.
— Je me disais bien qu'ils ne se ressemblaient pas... !
— Ah, parce que tu connais sa vie ? se pencha Griffin, une pointe de jalousie dans sa voix, en s'adressant spécifiquement à Kate.
— Je le sais, c'est tout, soupira-t-elle.

En voyant la petit troupe des première année s'éloigner vers les berges du lac noir, Kate se fit la réflexion que, parmi eux, se trouvaient sûrement de futurs Papillombres. Cela l'émut.

— Très sympa en tout cas, ton nouveau style, Dawkins ! lança Jason Watson, alors qu'ils embarquaient dans une calèche vide.
— Tu l'as au naturel, Watson.

Son camarade de Gryffondor accueillit la réplique sévère de Maggie d'un rire clair, alors que Kate regrettait qu'il n'y ait pas assez de place dans une seule calèche pour rentrer à sept, avec Griffin, qui était monté dans un carrosse précédent pour départager le groupe.

— Je suis en train de me dire que je n'ai pas vu les filles dans le Poudlard Express, fit-elle remarquer à Maggie quand les Sombrals se mirent en route.
— On les a croisées, nous, s'immisça Irwin de sa petite voix couinante.
— Oui. Mais... Moira était étrange, rajouta Sam.
— …trange ?
— Miller a toujours été étrange, Snitch, nasilla Maggie. C'est une naine, au cas où vous ne l'auriez toujours pas remarqué.
— Tu parles de ses blessures ? demanda Jason à son ami, pour avoir confirmation.
— Oui, mais pas que. Elle...
— Attends, Moira est blessée ?!

Sam hocha la tête à la question exclamée par Kate. Même Maggie se réfréna, la mine et le timbre plus graves :

— Comment ça, des blessures ?
— Elle a le visage encore pire que le tien, raconta Jason. Elle a des marques, là et là, comme ça.

Du bout du doigt, il traça des barres sur ses joues et son cou.

— Ça fait peur à voir, trembla-t-il.
— Mais surtout, elle n'est pas comme d'habitude, poursuivit Sam. Elle ne m'a pas dit bonjour, elle m'a ignoré. Avec Irwin, on a vu Scarlett et Suzanna avec elle, après. Elles se sont isolées dans les toilettes du train... Je crois que Moira pleurait.
— C'est pour ça que je ne les ai pas trouvées, ce n'est pas moi qui suis bigleuse, marmonna Maggie pour elle.
— Et tu sais pourquoi ? Ce qu'il s'est passé ? chercha à approfondir Kate.
— Non... Aucune idée. Mais je pense que c'est assez grave. Je n'ai jamais vu Moira dans cet état.
— Et en temps normal, Moira se débrouille bien en sortilèges, fit remarquer Maggie.
— Quel rapport ?
— Elle aurait réussi à faire disparaître ses cicatrices, elle aurait pu se défendre. Là, elle n'a rien cherché à cacher.

Kate, soucieuse, se tourna vers sa meilleure amie et lui livra ses doutes :

— Tu penses que... c'est ce que je crois ? Ce dont on a déjà parlé l'an passé. Par rapport à son épouvantard.
— Il y a des chances... grimaça Maggie.

Lors d'un cours de défense contre les forces du mal, sa classe avait découvert que ce que Moira craignait le plus parmi tout n'était personne d'autre que son propre père. Scarlett avait plusieurs fois soumis la sombre idée que ce dernier, haïssant sa fille, seule sorcière et naine de sa famille, portait occasionnellement la main sur elle. Cependant, face à la gravité de l'accusation, personne n'était intervenu jusque-là.
Alors qu'elles débarquèrent devant l'immense bâtisse de Poudlard, resplendissant sous la Lune, Kate demanda à Maggie, désignant les créatures qui tiraient les calèches :

— Mais tu ne les vois toujours pas, les Sombrals ?
— Pourquoi je les verrai ?
— Quand tu vois la Mort. En l'occurrence, on a vu Callidora mourir dans la salle de métamorphose.
— C'était un vampire, Kate. Par définition, elle était déjà morte.
— C'est pas faux, haussa-t-elle des épaules.
— En revanche, comme je risque d'étriper ton chat, mon ignorance ne sera pas longue.

En entrant dans la Grande Salle, illuminée par les mille bougies sous le ciel nocturne et dégagé au plafond, les élèves eurent la surprise de découvrir une cinquième table rectangulaire. La ronde de Papillombre avait été troquée pour une autre, semblable aux mitoyennes, quoi que plus courte. Eibhlin, Leeroy, Nestor et Tetsuya y étaient déjà installés, ce dernier adressant de grands signes du bras à Kate.

— Si tu pensais ne pas te faire remarquer, c'est encore loupé, plaisanta Maggie.
— Je commence à m'y faire. Bon. À tout à l'heure !

Elle s'avança vers eux et ne put retenir son sourire en s'installant à sa nouvelle table. C'est vrai que ça serait bien plus simple que d'élargir une table ronde, moins pratique pour les discussions, surtout dans une salle aussi bruyante que celle-ci.
En parallèle, Maggie se dirigea dans un premier temps vers la table de Poufsouffle, à laquelle elle repéra la grande silhouette de dos de Terry, occupé à discuter avec ses deux amis de sa maison en face de lui, Branstone et Clifford. Un sourire triomphant sur les lèvres, elle fondit sur lui et agrippa les deux épaules, interrompant la conversation des garçons.

— Tu as ce qu'il te faut, j'espère ? chuchota-t-elle à Terry, ayant du mal à camoufler sa satisfaction.

Ce dernier ne sut comment réagir face à la très proche présence de Maggie, qui se collait contre son dos, ses épaules pétries par ses doigts. Malgré tout, il fouilla dans sa poche et sortit un petit sachet de gnomes au poivre qu'il lui désigna.

— Oui, oui, bafouilla-t-il. Tout est là.
— Parfait. Eh bien... bon appétit, Diggle ! Prends le temps de déguster !

Alors qu'elle s'éloignait, elle capta cependant quelques mots de Branstone, qui s'adressait de nouveau à Terry, à son encontre :

— Ah oui ! D'accord ! Je comprends beaucoup mieux quand tu nous parlais de sa poi... !

Mais Terry s'empressa de le faire taire alors que Maggie en ricanait en secret en rejoignant la table des Gryffondor.
Chez les Papillombre, tous réunis, les paris commençaient aussi à fuser.

— Mais si, c'est logique ! soutenait Rose. La première année, il n'y avait que Kate, après, Tetsuya et Eibhlin, et nous quatre l'an passé. Si on suit l'ordre, il y aura donc huit nouveaux, puisqu'on double tous les ans !
— H-h-huit d'un coup ?! M-mais c'est én-énorme !
— D'où tu te plains, c'est juste qu'on est pas habitué !
— Teffie, t'es priée de lui parler plus gentiment.
— T'es pas ma mère, Kate.
— Si tou veux mi avis, c'est mieux pour elle, sourtout. Elle n'arriveraït pas à soupporter ti !
— Et te concernant, je constate que tu n'as toujours pas amélioré ton anglais.
— Oh, ti Curtiss, avec ti visage aussi bronzé que mi fesses, tou peux aller te cacher !
— C'est beau de voir que rien n'a changé ici ! s'excitait Tetsuya, enjoué. C'est une merveilleuse année qui s'annonce.

Plus mitigée, Kate soupira, sans s'empêcher de sourire. Papillombre avait sa propre ambiance, sans nul autre pareil. Elle détourna alors le regard vers la table des professeurs et aperçut Wolffhart, qui semblait penser ses collègues indignes d'entendre ses paroles, droit sur sa chaise, le visage fermé en analysant de ses yeux perçants qui cillaient à peine la salle remplie. Comment, de son côté, avait-il pu rester stoïque face à la condamnation de Phil ? Cette injustice inexpliquée qui avait animé sa rancœur à l'égard de son père l'année précédente, Kate la reporta sur Wolffhart. Il aurait dû le défendre. Il aurait dû la défendre.
Elle qui avait risqué sa vie pour la sienne, pourquoi ne pouvait-il pas lui rendre la pareille ?
Le bruit retomba quand les élèves entendirent les première année approcher de la grande porte, qui s'ouvrit à la volée. Le groupe était mené par le professeur Flitwick, toujours aussi souriant de cet honneur, quatre ans après que ce rôle lui fut attribué pour la première fois. Kate devina que ses camarades se livraient aux mêmes réflexions qu'elle alors qu'ils étudiaient les enfants qui défilaient, leur groupe se scindant en deux pour contourner la tables des Papillombre : lesquels d'entre eux les rejoindraient à leur table ?
Nestor, cependant, semblait ne pas y penser, focalisé sur autre chose :

— Ah, ils ont dégoté une nouvelle surveillante ? marmonna-t-il sans un sourire, alors que les première année s'agglutinaient devant le Choixpeau.

En effet, sur le côté, une jeune sorcière, grande et effilée, observait d'un air candide et curieux les plus petits s'émerveiller devant le chapeau rapiécé.

— Tou es sour que c'aye oune femme ? s'interrogea Eibhlin, railleuse.
— Ce n'est pas parce qu'une demoiselle n'a ni rondeur ni de cheveux longs que ça lui retire toute sa féminité ! la défendit Tetsuya. Et elle parait plus sympathique que celle de l'an passé !
— Et comparée à Rusard, n'en parlons pas ! surenchérit Rose.
— Ah, ne parle pas des morts, ça porte malheur ! Surtout de Rusard !
— Oups ! Désolée, Teffie !
— Aye, maïs oune sourveillante doït avoïr de l'autorité ! Ce qu'elle n'a pas l'aïr de posséder !
— T'es vraiment mauvaise langue, Eibhlin, la gronda gentiment Tetsuya.
— En tout cas, mi seraï toujours moins que Teffie !
— Mais je ne t'ai pas sonnée, gueule de carotte !
— Qu'est-ce que mi disaïs... !

Kate ne réagit pas à la nouvelle conversation enflammée, tout comme Leeroy, qui préférait siffloter à côté d'elle, en attendant que le silence revienne. Tout le monde pensait Electra morte avec l'incident de la vampirette. Mais elle avait la certitude que la Sorcière Bleue fomentait encore un plan pour s'approcher de Kate d'une manière ou d'une autre. Rester sur ses gardes commençait à la fatiguer. Quand pourrait-elle avoir la vie de tout un chacun ?
Ses pensées furent interrompues par la chanson qu'entonna le Choixpeau, qu'elle n'écouta cependant que d'une oreille. Jusqu'à ce qu'à la fin de la présentation des fondateurs – durant laquelle Maëva ne fut, une fois encore, pas dénommée – plusieurs strophes en particulier retiennent son attention :

Ludo Mentis AciemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant