Chapitre 88 - Terrain dégagé

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Deux jours plus tôt.

Dans la nuit brumeuse de ce 20 décembre 2003, personne n'aurait pu distinguer le carrosse doré qui volait dans le ciel, tel une comète. Maggie, confortablement installée à l'intérieur, ne pouvait rien discerner à l'extérieur. Comme si le monde qui séparait la voie 9 ¾ et le manoir de Thinkshold n'existait pas. Mais plus elle se savait proche de chez elle, plus sa gorge se nouait. Ses parents l'avaient bien prévenue. S'ils ne pouvaient l'accueillir de leur propre personne ce soir, à King's Cross, c'était parce qu'ils recevaient quelqu'un d'importance, dans leur demeure. Le fameux Henry Egerton...
Quand le carrosse atterrit et s'immobilisa devant les marches du grand manoir illuminé, Maggie ne bougea pas. Comme espérant se faire oublier. La portière s'ouvrit et la voix de Gordon, peut-être moins enjouée que d'habitude, l'extirpa de sa transe de repli :

— Miss Dawkins. Bon retour chez vous.

Maggie ouvrit les paupières et secoua la tête pour se forcer à sortir.

— Bonsoir, Gordon... le salua-t-elle, en marchant à ses côtés sur le chemin, tandis que les bagages se déchargeaient seuls, par magie.
— Vos parents vous attendent dans le petit salon rouge. Avec mister Egerton.
— Merci, Gordon...
— Comment se sont passés ces derniers mois à Poudlard, miss Dawkins ?

Face à la question du majordome, Maggie ne sut dans un premier temps que répondre et préféra éluder la chose :

— Je préfère ne pas en parler...

Elle grimpa les marches. Avec, à chaque avancée, un poids supplémentaire sur le cœur. Ajustant sa tenue au passage, elle n'arrivait pas à aligner deux pensées cohérentes. Mais elle s'entendait hurler de fuir tant qu'il était encore temps.
Quand elle arriva à l'entrée du petit salon rouge, elle discerna ses parents dans l'ouverture, assis l'un à côté de l'autre sur le canapé, en pleine discussion. Maggie pouvait entendre sa voix. Elle était douce, manquait peut-être un peu d'assurance.
Ce fut Gordon qui annonça l'arrivée de Maggie :

— Miss Dawkins.

Elle s'avança dans la pièce, les mains liées au niveau du ventre, se forçant à ne pas baisser le regard pour garder la tête haute. Aussitôt, tous se levèrent. Et son regard croisa celui d'Henry Egerton. C'était un très beau jeune homme, assez grand, des larges épaules, avec des cheveux bruns et des yeux noisette. Mais son sourire tressaillant le trahissait : lui aussi n'était en réalité qu'un pion de ses nobles parents, qui l'avaient précipité dans un mariage qu'il ne pouvait refuser.

— Maggie ! Vous voici enfin ! s'exclama Miranda de sa grande voix. Nous craignions qu'il ne vous soit arrivé malheur.
— Maggie, laissez-moi vous présenter Henry, poursuivit son père, déférent, en désignant le jeune homme d'une main plate.
— Miss Dawkins.

Henry s'approcha avec délicatesse et attrapa sa main pour se fendre en un baiser sur le dos de cette dernière.

— C'est un honneur pour moi de vous rencontrer de nouveau ce soir.
— Le... l'honneur est partagé, articula Maggie, en s'inclinant.
— J'ose espérer que votre voyage depuis Poudlard s'est passé sans encombre.
— Les trajets sont longs et éreintants. Vous avez dû connaître cela, mister Egerton.
— C'est exact, sourit-il. Mais Poudlard me semble bien lointain désormais.

Maggie répondit d'un même rictus sincère, quoique crispé. Henry était attendrissant mais ne semblait pas être à sa place.
Ils se rassemblèrent tous les quatre autour de la table du dîner. Cette vie semblait prendre une autre apparence aux yeux de Maggie, pour laquelle ces tableaux imposants autour d'elle lui paraissaient ridicules. Le sien en particulier. La Maggie de onze ans affichait un air si crâne en portant sur son bras son hibou grand-duc. Elle se demandait bien comment elle avait pu être cette petite fille si fière et si altière.

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now