Chapitre 92 - Les providences maudites

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  Ce fut la bouche pâteuse et le cœur lourd que Kate se réveilla le lendemain matin, alors que l'aube se levait à peine. Après la fuite d'Electra, ses amis avaient accouru et ceux qui pouvaient utiliser la magie en dehors de Poudlard avaient éteint les flammes avec des sortilèges d'Aguamenti. Il n'en fallut pas beaucoup pour convaincre Terry et Tetsuya qu'il s'agissait d'un accident ; Kate avait pris sur elle la responsabilité de l'incendie, prétextant une nouvelle crise. Personne n'avait cherché à aller plus loin. Car personne n'avait envie de rapporter l'incident à MacGonagall, qui leur avait fait confiance sur ce point.
Kate était donc rentrée, accompagnée par Emeric, ce dernier sain et sauf. Et, encore toute tremblante de cette altercation et des événements, elle l'avait prié de rester avec elle pour la nuit. Ils s'étaient alors endormis, l'un blotti contre l'autre, sans aller au-delà de cette étreinte.
Les bras du Serdaigle ne l'enveloppaient plus, quand elle reprit conscience. Chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle revoyait Electra apparaître devant elle. Les flammes. Emeric se recevant cette flèche fatale. Kate finit par rejeter les draps et s'assit sur le lit, confuse, se frottant la tête. Puis, elle se tourna vers Emeric, encore endormi, les lèvres entrouvertes. C'était la première fois qu'elle le voyait dormir. Ses cheveux blonds en pagaille retombaient sur ses yeux, non cachés derrière ses verres correcteurs. Ses traits détendus l'attendrirent. Puis la questionnèrent...
L'événement de cette nuit l'avait interrogée des heures. Elle en avait même cauchemardé. Sans faire de bruit, elle leva le bras et invoqua un filet d'Immatériel. Puis, elle le projeta vers le bras inerte et tendu d'Emeric sur la couverture. Les brumes argentées glissèrent en-dessous, prêtes à le porter. Mais quand elle les commanda d'un geste des doigts, elles se contentèrent de traverser ses chairs. Elle retenta, mais le résultat fut le même. Elle testa ensuite sur les couvertures, pour se prouver que son Immatériel n'était pas remis en cause, mais les draps bougeaient, comme taquinés par quelque fantôme.
Malmenée par ses hypothèses, Kate rejoignit la fenêtre et s'assit sur le rebord pour observer l'aube à l'horizon, tapissant de lumière rosée les champs immenses de l'Irlande. Une parcelle était brûlée. Mais elle gardait les sourcils froncés. Ses pensées la travaillaient...
Quand Emeric se réveilla, Kate l'entendit grommeler et se tourner sur le matelas. Le jeune homme tendit le bras pour chercher à tâtons ses lunettes sur la table de chevet. Puis, remarquant que Kate n'était pas à ses côtés, il la chercha du regard. Il sembla s'apaiser en la voyant.

— Bonjour, mister, lui lança-t-elle.
— Bonjour..., marmonna-t-il, la voix encore lourde de sommeil.
— Bien dormi ?

Il haussa les épaules en soupirant.

— Moi non plus je n'ai pas vraiment dormi, lui expliqua-t-elle. Avec tout ce qu'il s'est passé...
— Je sais... Je t'ai beaucoup sentie bouger. Tu es debout depuis longtemps ?
— Oh non. Une quinzaine de minutes. Il est encore tôt. Tu devrais venir voir. C'est beau...

Elle tourna de nouveau le visage vers l'extérieur. Puis, Emeric s'extirpa du lit, avant de s'approcher. Ses bras, tout chauds, vinrent s'enrouler autour de la taille de la jeune fille et il posa son menton dans le creux de son épaule. Kate passa sa main autour de son cou. Et tous les deux apprécièrent le spectacle matinal des lieux. Comme une image immortelle, celle du premier matin qu'ils partagèrent ensemble, à l'aube de la nouvelle majorité de Kate.
Quand ils descendirent, les lieux étaient comme neufs, comme si aucune fête n'avait existé. Les jeunes sorciers majeurs, comme Moira ou Terry, avaient dû utiliser la magie pour tout ranger en un clin d'œil pendant la nuit pour s'épargner le travail le lendemain. Cependant, la seule debout était Eibhlin, qui avait monté une table de petit-déjeuner et fait chauffer une immense marmite de lait de la ferme pour tout le monde. Après s'être servis des tartines et avoir chacun pris une tasse, Kate et Emeric décidèrent de se rendre dehors, enroulés dans leurs robes de sorcier, pour apprécier l'extérieur en se remplissant l'estomac.
Kate s'assit sur une clôture en bois, Emeric au pied d'une botte de foin. Dans l'enclos d'à côté gambadaient des petites chèvres. Et non loin de là, Mister Minnows chassait les souris avec des faux airs de prédateurs.

— Tu sais s'il existe des sorciers fermiers ? se questionna Kate.
— Très certainement. Il faut bien que les sorciers se nourrissent aussi ! Puis avec la magie, les potions, l'agriculture doit être très productive !
— Hm... ! Des citrouilles aspergées de potion bleu fluo à partir d'engrais de dragon et de lucioles écrasées, j'imagine bien la chose !
— Pour faire pousser des plantes, une décoction d'écorce de bouleau péruvien suffit, tu sais ?
— C'était une façon de parler.
— Je me doutais.

Elle croqua dans sa tartine et s'accorda quelques secondes de réflexion.

— L'écart entre nos deux mondes est encore si grand. Et pourtant, les familles se mélangent de plus en plus. Les Nés-Moldus sont mieux acceptés, les Sangs-Mêlés, comme nous, sont de plus en plus nombreux. Alors pourquoi ne fait-on pas d'efforts là-dessus ?
— D'effort à quel sujet ?
— Eh bien, par exemple... C'est quand même étrange que les sorciers soient systématiquement en retard, ou en tout cas en décalage, par rapport à la technologie moldue !
— Je ne trouve pas ça incohérent.
— Ah bon ?

Emeric soupira et but une gorgée de chocolat chaud avant d'expliquer le fond de sa pensée :

— Les sorciers ne prennent pas la peine de douter, puisque la magie existe. Les choses ne s'expliquent pas, elles se réalisent. Ils peuvent tout faire. Et quand bien même ils se questionneraient sur certains phénomènes, ils font reposer leurs hypothèses sur des éléments provenant eux-mêmes de la magie : des objets ensorcelés, des potions, en bref, des protocoles qui reposent eux-mêmes sur des incertitudes d'un point de vue scientifique, tel que les moldus le verraient. Tandis que les moldus s'interrogent, cherchent à remettre en cause et ainsi progressent, font évoluer leur pensée. Les sorciers se contentent de rester sur des acquis qui leur conviennent parfaitement et semblent remarquer que l'écart existe entre les deux mondes, subtilisant de ce fait des technologies qu'ils n'auraient jamais été en mesure de construire eux-mêmes, puisqu'ils ne possèdent pas le raisonnement qui le permet. C'est pour cela que je trouverais important que nos deux mondes soient davantage liés. Nous pourrions tirer de grandes améliorations. Peut-être qu'un moldu, un né-moldu ou même un sang-mêlé ayant grandi dans un milieu prêtant à ce genre d'analyse, se questionnera sur le fait que nous utilisions le latin comme langue pour les sortilèges. Pourquoi pas une autre, parce qu'elle serait moins puissante ? Comment déterminer le mouvement de poignet ? La magie provient-elle d'une source interne ou externe ? Le monde des sorciers est trop petit pour se permettre ce genre de remise en question. Nous ne sommes pas assez nombreux, à l'heure actuelle. Et surtout, nous ne prenons pas en compte les données scientifiques des moldus, sur des théories physiques et chimiques. On avance en tentant de pousser une pierre cubique, sans imaginer un seul instant qu'en prenant le temps de la tailler en une sphère, en une roue, finalement, on arriverait plus vite à notre point d'arrivée. Et qu'on ira surtout au-delà.

Kate resta un temps pantoise face à son analyse. Chaque jour passant, elle se faisait la réflexion qu'elle sortait avec un véritable génie.

— Pourtant, rebondit-elle, il existe bien des cours optionnel d'expérimentation. Tu en fais même partie ! Pour les sortilèges, les potions...
— On marche à l'essai-erreur. Les potions possèdent un fonctionnement plus proche des protocoles moldus, puisque nous soumettons des hypothèses que nous cherchons à prouver, sur les doses, sur les vertus de certaines plantes. Mais du fait que certains ingrédients soient magiques, nous en revenons à la même question que j'ai posée juste avant. Il faudrait remonter aux origines de ces créatures pour affirmer être un véritable maître des potions et ainsi expliquer quels principes actifs provoquent des effets qui, eux-mêmes, relèvent de la magie. Mais non. On essaie, on tente et on tire des conclusions parfois hâtives, même si elles peuvent être exactes. Mais c'est pour cette raison que des potions évoluent sur des siècles et des siècles. Chaque nouveau sorcier qui s'y penche va découvrir un petit détail qui va influencer la mixture et permettre un meilleur effet, ou en diminuer d'autres. Mais tant que personne ne recherche la raison profonde à cela, nous ne pourrons qu'avancer à tâtons...

Il conclut son analyse en vidant sa tasse de chocolat chaud d'une traite.

— Mais je suis d'accord avec toi. Nous devrions profiter des liens entre nos deux mondes plutôt que de les scinder systématiquement en deux.
— Tu crois qu'on y arrivera un jour ? sourit Kate.
— On ? Je ne suis pas sûr que cela ne repose que sur nous.

La jeune fille haussa des épaules.

— Notre génération va grandir, va devenir adulte. Nous serons le monde des sorciers. Regarde Hermione, elle a déjà changé beaucoup de choses. Mais je suis certaine qu'on peut faire encore plus.
— Je croyais que tu voulais devenir Nettoyeuse.
— Et je le veux toujours. Mais je veux m'investir aussi dans ces causes-là. Que les parents moldus, comme ma mère, puissent avoir le droit de décider de la vie sorcière de leurs enfants plutôt que d'avoir systématiquement un tuteur. Que ces parents soient informés, éduqués. Que les Cracmols puissent avoir accès à Poudlard s'ils le souhaitent.
— Mais en face, ils rétorqueront qu'avec cela, la prochaine dérive serait d'ouvrir l'école aux Moldus, grimaça Emeric. Je suis d'accord avec ce que tu avances, sur le principe. Mais les choses sont plus compliquées que cela. Et avec la guerre encore récente, j'ai peur que cela ne change pas avant un bon bout de temps.
— J'ai envie d'être optimiste.
— Et tu as raison. Mais n'oublie jamais d'être réaliste.
— À trop être réaliste, on fait du sur-place. Il faut rêver, s'accorder l'impossible. Prendre des risques.

Cela, Emeric l'admit dans un hochement de tête accompagné d'un sourire.
Petit à petit, ils furent rejoints par d'autres camarades et les conversations changèrent, se varièrent.
Une bonne heure plus tard, tout le monde plia bagage et ils rentrèrent à Poudlard par grappes, atterrissant dans la tour à l'horloge. Beaucoup avaient encore le cœur allègre au lendemain de la fête, et ils descendirent les escaliers dans des rires et des exclamations, pressés de profiter de ce dimanche.
Mais aucun ne s'était attendu à ce que Flitwick ne les retrouve, immobile, planté au rez-de-chaussée, avec un air peu rassurant, les bras croisés, le pied tapant au sol. Tous se raidirent.

— Professeur Flitwick ?
— Où sont les responsables de la soirée d'hier ? s'exclama-t-il avec une voix suraiguë.
— Oui, professeur ? se permit Tetsuya, en s'extirpant de l'attroupement.
— Dans le bureau de la directrice. Immédiatement !

Blême, Tetsuya le suivit.

— Je vais y aller aussi, souffla Terry à Maggie.
— Hein ? Mais tu n'as pas à le faire !
— J'étais l'aîné, j'étais en partie responsable.
— Je viens aussi, s'annonça Emeric. C'était mon idée.

Kate aperçut un tremblement discret de sa part. Elle se doutait bien que l'incident de la veille avec Electra avait dû avoir des répercussions.

— Je vous accompagne.
— Non, reste là.
— Hors de question. Je suis certaine que ça a un rapport avec moi. Alors, je viens aussi...

Peu rassurés, les quatre élèves suivirent les pas pressés du professeur Flitwick, les pensées en point d'interrogation. Elles s'intensifièrent au fur et à mesure qu'ils gravirent les marches qui séparaient la statue de griffon au bureau du professeur MacGonagall.
Quand ils posèrent le pied dans l'office sombre, ils remarquèrent que la directrice n'était pas seule. Hormis la présence de Wolffhart, on pouvait noter celle de cette petite sorcière au chignon gris, habillé dans un tailleur rayé rose pastel. Aucun des quatre ne la connaissait, elle n'était vraisemblablement pas de Poudlard. Kate comprit alors ce qui leur valait cette visite quand elle aperçut le badge du Ministère de la Magie sur sa poitrine.

— Voici donc les incriminés ? les désigna l'inconnue, d'un air à la fois dédaigneux et ravi.
— Ne nous avançons pas, la ralentit MacGonagall. Cette histoire doit être mise en clair avant de tirer des conclusions hâtives. Asseyez-vous.

Ils n'eurent pas le temps d'émettre la remarque que des sièges manquaient : des chaises apparurent derrière eux. Tous les quatre s'assirent sans mot dire, attendant dans la courtoisie que la situation leur soit exposée.
La sorcière au chignon lia ses mains, serrant ses doigts peut-être un peu fort.

— Je suis Mafalda Hopkrik, du Service des usages abusifs de la magie du ministère de la Magie.

Tetsuya pencha la tête comme signe de politesse face à cette présentation, les paumes contre les cuisses.

— Nous avons détecté hier soir des traces de magie émanant de l'endroit où vous vous trouviez. De manière complètement interdite, si je puis me le permettre.
— Nous avons eu l'autorisation de notre directrice, pour cela, se permit Tetsuya.
— Vous ai-je permis de vous exprimer ? rebondit-elle, avec un faux air outré.

Confus, Tetsuya ravala ses mots en bredouillant des excuses, les yeux baissés.

— Outre le fait que vous n'aviez aucun droit d'être à l'extérieur de Poudlard au beau milieu de l'année scolaire, le Service des usages abusifs de la magie a été prévenu de magie contrevenante.
— Seuls les sorciers majeurs ont utilisé la magie avec leurs baguettes, intervint Terry, qui n'avait pas peur de se faire rabrouer. Règle qui a été respectée.

Mafalda Hopkrik se retourna vers les professeurs avec des yeux découragés.

— Vos élèves n'apprennent-ils plus les règles de bienséance ?
— Ils apprennent à défendre leurs intérêts et leurs idées avec des arguments et des convictions morales, rétorqua Wolffhart, acéré, rangé dans un coin, les mains derrière son dos. Pédagogie dont devrait s'acquitter toute école digne de ce nom. Et principes qu'aurait dû suivre un certain nombre de fonctionnaires du Ministère quand ce dernier est tombé entre de mauvaises mains...

Poignardée par l'attaque, Mrs Hopkrik blêmit avec une expression offusquée, tandis que, derrière son dos, les élèves se permirent un sourire satisfait. Puis, elle toussa en se retournant vers eux.

— Peu importe. Là n'est pas le fait. Bien qu'une enquête puisse être ouverte à ce sujet... Non. Nous avons détecté un fait bien plus grave encore.

Elle s'accorda une pause stratégique avant d'annoncer la nouvelle retentissante :

— Quelqu'un, hier soir, au lieu où vous vous trouviez, a lancé un sortilège d'Endoloris.

Terry lâcha un hoquet de stupeur :

— Quoi ?! Mais personne...
— C'est un fait ! l'interrompit Mafalda Hopkrik avec une voix aiguë. Avec la trace portée par beaucoup d'entre vous, nous avons été prévenus qu'un sortilège impardonnable a été lancé !

Kate, le cœur battant à la chamade, n'osa tourner le regard vers Emeric par crainte de le dénoncer par ce geste. Cependant, leur silence à tous les deux, face à l'indignation et l'air choqué de Terry et Tetsuya, éveilla les soupçons.

— Peut-être savez-vous quelque chose à propos de tout ça, Katelyna Whisper ? lança Mafalda Hopkrik.

Évidemment que cela retomberait sur elle, qui avait fait la une des Gazettes, la nouvelle « Harry Potter », au centre de tous les intérêts et de toutes les accusations.

— Répondez, miss Whisper, relança MacGonagall, elle-même suspicieuse face à ce mutisme.

Les idées s'imbriquèrent à toute vitesse dans sa tête. Le pari était risqué, mais il pouvait être tenu à la condition qu'Emeric la suive dans son mensonge.

— C'était Electra Byrne.
— Electra Byrne ? La sorcière que tout le monde recherche ?

Wolffhart s'était séparé de son coin d'ombre, intéressé, et Terry et Tetsuya tournèrent de grands yeux écarquillés vers Kate.

— Electra ?! Quoi ? Mais... tu ne nous as rien dit ? s'écria Terry.
— Je ne voulais pas faire paniquer qui que ce soit ! se défendit Kate. Elle est partie !
— Vous dites qu'Electra Byrne était là, hier soir, et qu'elle a jeté un sortilège impardonnable ? résuma Mrs Hopkrik, sceptique.
— Cela vous semble incohérent par rapport à ce qu'on raconte sur elle ? répliqua Kate, sèche.

L'envoyée du Ministère ne répondit rien, mais Kate poursuivit.

— Je me suis battue avec elle. Il y a eu un incendie dans les champs. J'ai fait usage de l'Immatériel, ça, je l'avoue, et je n'aurais pas dû. Le sortilège d'Endoloris, il était contre moi, mais Emeric m'a sauvée !
— De quelle manière ? l'interrogea la directrice, fébrile, mais contenant son sérieux.
— Il... il s'est interposé. Ce n'est pas un mystère pour vous, professeur MacGonagall. Ni pour vous, professeur Wolffhart. Qu'Emeric est un Animagus...
— Emeric est un Animagus ?! lâcha Terry, plus fort encore, raflé par les nouvelles surprenantes et successives.
— Est-ce vrai ? demanda Mafalda Hopkrik à l'intention de MacGonagall.
— Oui, c'est exact. Mister Beckett a développé ce talent lors de son échange à Durmstrang, cela n'est pas de notre ressort. Mais je peux vous assurer que les démarches ont été suivies scrupuleusement et qu'il est déclaré dans le registre. Mais là n'est pas la question.
— Bien sûr...

Kate reprit son récit fictif, avec un ton plus déterminé et crédible que jamais.

— Emeric est arrivé, il s'est métamorphosé devant moi. Il a pris le sortilège de plein fouet. Et Electra s'est enfuie.
— Enfuie, dites-vous ? Pourquoi n'a-t-elle pas tenté de vous tuer ? Si on en croit tous les articles à votre propos, cette sorcière voudrait votre...

Elle haussa les sourcils de dédain.

— ... mort ?
— Je ne suis pas cette folle, gronda Kate. Je ne sais pas à quoi elle pensait...
— Et qui me dit que ce n'est pas vous qui avez lancé ce sortilège ? Vous la détestez aussi. Vous auriez pu avoir envie de la torturer.
— Ce qui s'est produit est vrai.

La première intervention d'Emeric provoqua un bref silence dans la salle.

— Vous pouvez demander à d'autres élèves. Quand ils sont arrivés pour éteindre l'incendie, ils m'ont vu au sol, témoigna-t-il. Ils pourront l'attester.
— Comment pouviez-vous avoir les idées claires à ce moment précis, si vous aviez vraiment vécu ce que vous soutenez ?
— Avez-vous déjà subi un sortilège d'Endoloris, Mrs Hopkrik ? lui demanda-t-il, avec un ton presque de défi. Est-ce que vous pouvez à peine imaginer ce que j'ai enduré ? La souffrance que j'ai vécue ?
— Ne vous adressez pas à moi sur ce ton, jeune homme !
— J'ai été torturé ! Et la seule chose que vous retenez est mon ton ?
— Calmez-vous, Herr Beckett.

Wolffhart s'avança avec une mine sombre, presque soucieuse. Puis, il prit la parole pour exposer son opinion sur ces éclaircissements.

— Fraülein Whisper a elle-même avoué qu'elle avait utilisé l'Immatériel pour se défendre. Si vous l'ignorez, Frau Hopkrik, cette magie s'emploie sans baguette. Comment pouvez-vous concevoir qu'un tel sortilège soit jeté sans baguette ? Et surtout, de la part d'une élève ? Vous êtes sûrement la première à savoir qu'un sortilège Impardonnable ne peut être lancé et réussi que par un sorcier qui a la vive intention de faire souffrir, en plus d'être un sorcier puissant. Et vous voilà à accuser des élèves de sixième année qui profitent d'être encore assez innocents et stupides pour faire la fête ?
— Miss Whisper pourrait avoir envie de faire souffrir miss Byrne, c'est un fait ! Et je pense qu'elle-même ne démentira pas ce fait !

Elle jeta un bref regard à Kate, qui lui adressa des yeux noirs. Mais Wolffhart prit la relève en répétant, mot après mot, d'une voix lente et grave.

— Fraülein Whisper n'avait pas sa baguette.

Après un combat de regards, Mafalda Hopkrik leva le nez d'un air hautain.

— Parfait ! Eh bien, si tel est le cas, miss Whisper acceptera sans mal de confier sa baguette pour un examen approfondi.
— Avec plaisir, grommela Kate.

Mafalda Hopkrik ne perdit pas une seconde et s'approcha, tendit la main, dans laquelle Kate déposa sa baguette, sortie de sa poche avec un soupir.

— Votre coopération sera remerciée, miss Whisper.
— Pas de quoi...
— Une enquête restera ouverte tant que nous n'aurons pas un maximum d'informations ou de preuves, les informa l'employée, manipulant précieusement la baguette d'amarante entre ses doigts. Je vous remercierai de bien vouloir vous plier aux éventuelles questions supplémentaires qui pourraient survenir dans les jours prochains. Vos professeurs...

Elle lança un regard dégoûté vers Wolffhart, sévère.

— ... veilleront à la véracité de vos propos.
— Vous pouvez disposer, les congédia MacGonagall, sèche.

Ils se levèrent alors, après de dernières salutations, et quittèrent les lieux. Les premiers mots qui résonnèrent furent les exclamations de Terry :

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ?!

Cela retomba évidemment sur Kate.

— Je ne voulais inquiéter personne ! soutint-elle. Si j'avais dit que c'était Electra, tout le monde aurait été pris de panique ! C'était ça que tu voulais ?
— Non ! Mais j'en ai assez de ne rien savoir !

Le visage de Terry était rougi de colère : ce n'était décidemment pas son année. Il avait enchaîné plus de crises de colère en cinq mois qu'en cinq ans !

— Tout le monde me cache toujours tout ! Maggie, qu'elle a un fiancé ! Emeric, qu'il est un Animagus ! Et toi, qu'Electra était là hier soir ! Quoi, je ne suis pas digne de confiance, c'est ça ?
— Non, Terry, ce n'est absolument pas ça !
— Arrête, Kate, arrête ! Je sais que tu vas me répondre « c'est pour te protéger » ! Parce que tout le monde me croit faible, c'est ça, hein ? Le gros Poufsouffle incapable de faire bien les choses, on va lui cacher la vérité, parce qu'il n'est pas fichu de se défendre tout seul !
— Mais ça ne va pas ?! Je n'ai jamais dit ça ! Je n'ai jamais osé penser ça !
— Ce n'est de la faute de personne !

Emeric s'était interposé en les séparant.

— Il s'est passé des choses et oui, on aurait dû en parler. Désolé, Terry.
— C'est bien la peine de s'excuser après coup !
— Et tu aurais fait quoi, Terry ? relança Kate, elle-même sur les nerfs.
— Rien de plus, admit-il, mais au moins, j'aurais été mis au courant ! Pour changer !
— Hm, vous continuerez cette querelle puérile plus tard, naja ?

Wolffhart était arrivé par derrière sans se faire remarquer, les faisant sursauter.

— Herr Beckett, Fraülein Whisper, j'aimerais vous parler. Herr Diggle, votre présence n'est plus requise, merci pour vos interventions.

L'expression de Terry se referma dans un hochement de tête, puis il adressa un dernier regard sévère à Kate avant de repartir, le poing serré. Kate était partagée entre deux sentiments : elle ne voulait pas faire tremper Terry dans toutes ces magouilles mais ne désirait pas l'écarter non plus. Elle se demanda si un jour, elle serait capable de sacrifier leur amitié si cela se faisait au prix de la vie de Terry ou d'un autre de leur ami...
Elle et Emeric suivirent Wolffhart jusque dans sa salle de classe, échangeant de temps à autres des regards soucieux. Puis, quand la porte se referma derrière eux, leur enseignant en métamorphose se pressa :

— Herr Beckett, votre baguette, réclama-t-il.
— Quoi ? s'étrangla Emeric.
— Wand. Jetzt !

Le jeune homme ne se fit pas prier et confia sa baguette d'une main tremblante à Wolffhart. Ce dernier l'analysa d'un bref regard, avant de se diriger vers son bureau, de déposer la baguette d'Emeric sur la surface en bois et de braquer la sienne dessus.

— Qu'est-ce que vous faites ?
— Ça ne se voit pas ? cracha Wolffhart, sans lever le regard. J'efface la mémoire de votre baguette, Herr Beckett ! J'efface vos... imbécilités !

Kate et Emeric se raidirent : il savait. Quand il eut terminé, Wolffhart se redressa dans un soupir agacé.

— Fort heureusement, les autres personnes présentes lors de ce misérable entretien n'ont pas eu assez de clairvoyance pour comprendre votre mensonge ! Et savoir que vous ne faisiez que couvrir Herr Beckett, Fraülein Whisper !

Elle ne répondit rien, avalant difficilement sa salive, la gorge nouée. Puis, Wolffhart attrapa la baguette d'Emeric délicatement avant de la lui remettre.

— Soyez prudent avec votre baguette. C'est du pommier. Ça supporte très mal la magie noire. Elle commence déjà à se fendre... Ne la rendez pas en pire état encore.
— C-compris, professeur.
— Et expliquez-moi, im Namen eines zersetzten Drachen ! Qu'est-ce qui vous est passé par la tête ?! Avez-vous perdu l'esprit ?!

Emeric ne faisait pas le fier devant la colère de Wolffhart, les mains à plat sur son bureau.

— J'ai... j'ai voulu défendre Kate. Elle a dit la vérité, Electra Byrne était bien là hier soir.
— Et donc vous avez trouvé que la meilleure idée du monde était de la torturer ?!
— Elle allait la tuer ! Kate n'était pas en capacité de la battre !
— Vous avez si peu confiance envers les capacités de votre Freudin ?
— Ce n'est pas ça ! Mais... Kate avait bu. Un peu. Et ses pouvoirs étaient bridés. Elle ne pouvait pas faire le poids. Même si elle le voulait.

Kate devait lui accorder cette réalité et appuya ses propos :

— Emeric dit la vérité, professeur. J'ai foncé tête baissée, sans réfléchir. Et je n'aurais pas pu la battre. J'avais envie de le croire, mais avec le recul, je n'aurais jamais pu.

Se massant le front, Wolffhart grommela.

— Mais pourquoi ce sort ? Vous aviez toute une palette à votre disposition ! Vous êtes le moins stupide de mes élèves, Herr Beckett ! Et vous usez d'un sortilège impardonnable ! Avez-vous la moindre idée du pourquoi il est interdit ? Du nombre de personnes qui sont mortes à cause de lui, qui sont aujourd'hui à Ste Mangouste ?
— Et Electra Byrne ? répliqua Emeric, de plus en plus tendu. Combien de personnes sont mortes ou ne sont plus là à cause d'elle ? Le professeur Higgins est morte dans la Cabane Hurlante ! Elle a contrôlé des centaines d'élèves américains innocents ! Elle a agressé l'oncle de Kate ! Elle a privé sa mère de ses souvenirs ! Et vous voudriez que je trouve une raison pour ne pas l'avoir prise en pitié ?
— Je n'ai parlé à aucun moment de la prendre en pitié. Mais vous n'aviez aucune raison d'utiliser ce sortilège. Il existait beaucoup d'autres possibilités pour la neutraliser.
— J'ai eu peur ! lâcha Emeric, hors de lui. Et j'étais en colère ! J'ai vu Kate là et j'ai perdu le contrôle ! Je ne pouvais pas la laisser tuer Kate comme ça ! Et j'étais capable de tout ! Non, je ne regrette pas ce que j'ai fait ! Avec le recul, oui, je n'aurais peut-être pas dû, mais cela ne m'empêche pas de dormir, professeur ! Elle le méritait !

Kate trembla : la voix d'Emeric la terrifiait, la troublait. Comment pouvait-il s'excuser d'avoir jeté un Endoloris, quelles que soient les circonstances ? Cependant, sensible à son emportement, elle s'approcha de lui et lui frotta le bras, malgré la présence de leur professeur, qui soupira de dépit. Emeric sembla s'apaiser un court instant.

— Je sais tout ça, Herr Beckett. Dans le cas contraire, je n'aurais pas effacé la mémoire de votre baguette. Je protège vos arrières pour aujourd'hui, mais seulement pour aujourd'hui.

Puis Wolffhart prit place dans sa chaire de professeur, liant les mains sur son bureau. Ses yeux perçants piquèrent tour à tour Kate et Emeric.

— Que faisait cette folle là-bas ?
— On se pose la même question, professeur, admit Emeric, en jetant un coup d'œil à Kate.
— Warum ?
— Elle ne m'a pas attaquée, expliqua Kate. Elle était... juste là. Comme si elle observait.
— Und ? Vous l'avez trouvée par surprise dans un buisson ?
— J'ai senti son aura, comme le professeur Higgins me l'avait appris. Et... je n'ai pas résisté. Je... je...

Dépité, Wolffhart se frotta le front en grommelant.

— Vous vous êtes ruée dans la gueule du loup... Ich sehe... Je ne ferai aucun commentaire, au risque de dériver dans des insultes qui feraient pleurer votre tombe dans laquelle vous avez manqué d'être expédiée. Mais ce qui me questionne c'est « qu'attendait-elle de vous » ?
— Je n'en ai aucune idée, professeur. Elle... elle semblait blessée. Faible.
— Pourtant, Herr Beckett a attesté qu'elle était sur le point de vous tuer.
— Elle était en réalité plus puissante, c'est vrai. Mais elle n'est plus comme avant. Et elle ne voulait pas se battre contre moi, à la base... Je ne sais pas comment elle a su qu'on était là. Je ne sais pas pourquoi elle est restée à distance alors qu'elle aurait pu s'en prendre à moi ou à d'autres...
— Peut-être qu'elle a le don des visions du présent, comme toi ?

L'hypothèse d'Emeric fut accueillie d'un silence, mais Kate la rejeta :

— Electra a des visions du futur, pas du présent. Peut-être qu'elle savait qu'on allait faire une fête là...

Elle ne voyait que cette supposition... À moins que quelqu'un, au courant de la fête, l'ait trahie et l'ait dénoncée.

— Mais dans ce cas, pourquoi être venue et n'avoir rien fait ? Ça n'a aucun sens.
— Tu ne peux pas te mettre à sa place et réfléchir comme elle, la raisonna Emeric. Il y a encore trop de choses qui nous échappent...

Un nouveau silence balaya leurs conjectures jusqu'à ce que Wolffhart s'exprime :

— Sehr gut. Maintenant, si vous me permettez, j'aimerais m'entretenir avec Fraülein Whisper, bitte.

Comprenant qu'il n'était plus désiré, Emeric n'insista pas. Il récupéra sa baguette, le visage blême, et hocha la tête comme remerciement, avant de quitter la salle de classe sans un regard en arrière. Le son de la porte qu'il referma résonna dans la grande pièce au haut plafond. Kate et Wolffhart partagèrent un long regard : elle savait que la conversation qui s'ensuivrait concernerait l'élève qui venait de partir.

— Was passiert ?
— Rien de plus que vous ne le savez, maintenant.
— J'aimerais avoir votre version, bitte, demanda-t-il, liant ses doigts osseux, les coudes plantés sur son bureau.
— Electra était là, soupira-t-elle en répétant tout. Elle ne voulait pas m'attaquer. Mais je l'ai poursuivie. Et Emeric m'a rattrapée.
— En se transformant en chouette. Ja... J'étais l'un des premiers à apprendre qu'il avait appris à devenir Animagus à Durmstrang. Poursuivez...
— Il s'est transformé. Il a pris Electra par surprise. Et il a jeté... Il a jeté...
— ... un sortilège d'Endoloris, compléta Wolffhart, qui sentait qu'elle ne parvenait à délier les mots sur sa bouche.

Kate hocha la tête. Une ride se creusa sur le front de son professeur.

— Décrivez-moi. Comment il était.
— Terrifiant. Il... il souriait.
— Ses yeux, comment étaient-ils ?
— Ses yeux ?

Le mot resta en suspens dans les airs. Et Kate comprit alors qu'ils pensaient à ce moment-là exactement à la même chose.

— Non... professeur, ça ne peut pas être possible. Vous ne pensez pas ça sérieusement ?
— Au moins, tout autant que vous.
— Ça n'est pas possible ! répéta-t-elle.
— Nous avons désormais un certain nombre de preuves.
— Comment vous le savez ? Qu'est-ce qui vous a laissé penser cela ?
— J'ai eu des échos de Durmstrang. De la part de ses professeurs. De ses camarades.
— Quels échos ?
— Un certain intérêt pour la magie noire. Qu'une créature aurait détectée chez lui. Elle a réagi très fortement à sa présence. Des crises de colère. Et des yeux...
— ... des yeux orange.

Elle n'avait donc pas rêvé, cette nuit-là. Cela n'avait pas été un reflet des flammes. La vérité l'ébranla tant qu'elle dut s'asseoir pour la digérer. Elle décida de la compléter :

— L'Immatériel n'a pas eu d'effet sur lui.
— Une aubaine. Il me semble que sans ça, Herr Beckett aurait été réduit à l'état d'une pierre tombale.
— Professeur, vous ne pensez pas sérieusement que... que...

Cette fois, Wolffhart lui laissa le soin de terminer sa phrase. Il voulait l'entendre de sa bouche.

— ... qu'Emeric est un cambion ?
— Ce n'est pas une histoire de « penser sérieusement ». Il l'est. Malheureusement, il remplit tous les critères. Et vous le savez tout autant que moi. Vous l'avez su dès le moment où il a survécu.

Wolffhart n'avait pas tort. Toutes les preuves étaient là : yeux orange, insensibilité à l'Immatériel, capacités cognitives et mnésiques dépassant toutes les normes, talent magique incontesté, tendance à s'intéresser à la magie noire et prenant parfois du plaisir à faire mal à autrui. Kate se souvenait nettement du tournois de duels, en troisième année, quand Emeric avait manqué de faire fondre une armée d'abeilles géantes sur un Griffin désarmé, incapable de se défendre. Et ce sourire, quand il avait torturé Electra. Il avait aimé ça... Se sentir puissant.

— Et vous le saviez aussi, souligna Kate, toujours sous le choc. Et vous n'avez rien dit.
— J'attendais d'être sûr.

Il n'y avait qu'un élément qui ne collait pas.

— Un cambion est un demi-démon, se rappela Kate. Cela signifie... que l'un de ses parents serait un démon ? De ce que j'en sais, ce n'est pas le cas.
— Qui vous dit que ses parents sont ses vrais parents ?
— Quoi ? Mais vous n'allez pas bien !
— Je ne fais qu'énoncer une implacable vérité. Soit Herr Beckett a été adopté, soit celui qu'il appelle aujourd'hui « papa » est un pauvre homme qui s'est fait avoir depuis le début.

La seconde hypothèse était clairement la plus probable ; Emeric ressemblait trop à sa mère, autant sur un plan physique que caractériel, pour que l'on puisse penser qu'ils n'étaient pas apparentés.

— Vous pensez... qu'il en est au courant ?
— Nein. Et il ne faudrait surtout pas qu'il l'apprenne !
— Pourquoi ?
— Vous savez de quoi il est capable quand ses émotions débordent. Quand il est en colère. C'est un gamin qui percute extrêmement vite. Aussitôt auriez-vous prononcé la première lettre du mot qu'il se rendra voir l'homme qui l'a élevé pour lui faire cracher le morceau... Herr Beckett doit continuer d'ignorer ce fait.
— Il finira par le découvrir.
— Vielleicht. Vielleicht nicht.
— Mais je ne comprends pas, professeur. Si Emeric est vraiment un cambion, pourquoi n'a-t-il pas tout le temps les yeux orange ? Merlin les avait.
— Je ne pourrai pas vous l'expliquer. Vous pensez que j'ai déjà fréquenté des cambions dans ma vie pour vous faire un exposé à ce propos ? Hm. Peut-être que le démon qui l'a enfanté était moins puissant que celui qui est à l'origine de Merlin. Peut-être qu'au contraire, il est plus puissant, et arrive à se camoufler.

Les émotions débordant, Kate se leva avec précipitation.

— Il ne doit rien savoir ! Emeric ne doit rien savoir ! S'il apprend ce qu'il est, il... il...
— Vous percutez vraiment très lentement, Fraülein Whisper... C'est exactement ce que je viens de dire. Mais cela exigera beaucoup de discrétion de votre part. Si vous ne lui donnez rien qu'un seul indice, il en viendra lui-même aux conclusions. Et s'il comprend ce qu'il est et que son père, au moins, n'est pas le sien, je crains qu'il ne devienne ingérable.

Il eut un sursaut de ricanement contenu.

— Finalement, vous vous ressemblez bien plus que prévu, tous les deux...

Kate ne réagit pas, obsédée par son angoisse. Une question la taraudait. Elle hésita à la poser à Wolffhart, mais finit par se convaincre qu'il était le seul ici à pouvoir comprendre :

— Professeur. Est-ce que vous croyez que je devrais... arrêter de fréquenter Emeric ?
— Warum ?
— Me fréquenter... c'est dangereux pour lui. Ce qu'il s'est passé avec Electra... Si je ne lui avais pas couru après, il n'en serait pas arrivé là. J'ai peur de l'emmener avec moi. Vers le fond...
— Vous n'irez jamais vers le fond, Fraülein.
— Peut-être. Mais vous ne pouvez pas nier ce qui plane au-dessus de moi. On essaie de trouver une solution. Mais j'ai l'impression de ne cesser de m'enfoncer dans un monde de plus en plus noir. Et je ne veux pas qu'il arrive la même chose à Emeric. Je ne veux pas le faire couler avec moi...

Wolffhart s'accorda quelques secondes de réflexion, le regard baissé. Il voulait être aussi honnête que possible :

— Il est vrai qu'ensemble, vous pourriez devenir des sorciers redoutables, noirs et craints. Une sorcière maudite, un cambion. Vous seriez invincibles. Vous pourriez asservir le monde. Aber...

Il marqua un silence après ce mot qui fit rejaillir de l'espoir en Kate.

— ... je pense que vous pouvez vous entraider mieux que quiconque. Vous comprenez ce qu'il vit. Et inversement. Seuls, chacun de votre côté, vous auriez sombré, c'est vrai. Mais il fait ressortir le meilleur de vous. Et vous faites ressortir le meilleur de lui.
— Je ne pensais pas un tel discours de votre part, professeur... ! lâcha Kate, épatée, quoique troublée.
— Vous allez chacun vous retenir de devenir des mauvaises personnes. Il a dû empêcher certaines de vos crises plusieurs fois et vous l'avez retenu de torturer Fraülein Byrne. Sans oublier que, d'un point de vue purement technique, Herr Beckett est le seul à être immunisé contre votre Immatériel et votre Allégeance. En d'autres termes, il est votre meilleur atout et votre meilleure chance. Loin de moi l'idée de défendre pleinement et sans pudeur une valeur telle que l'amour, mais dans votre cas, je dois admettre qu'elle est votre salut.

Cela fit trembler Kate, qui se permit de sourire : si quelqu'un lui avait dit qu'un jour Wolffhart soutiendrait ses histoires de cœur, elle lui aurait certainement ri au nez ! Mais son professeur rajouta :

— Aber, par pitié, faites-moi une promesse, Fraülein Whisper.
— Laquelle ?
— N'ayez JAMAIS d'enfant avec Herr Beckett ! NIE ! Je n'ose même pas imaginer les monstres que vous seriez capables de nous créer avec vos deux potentiels combinés !
— Quoi ?! Mais... Ce n'est pas prévu ! Professeur, j'ai dix-sept ans !
— Mais gardez en tête mon avertissement !
— O-oui ! Je le ferai !

Dans toute cette histoire, Wolffhart n'avait, au fond, pas tort. Et tout cela donnait une autre dimension à leur relation. Peut-être s'aimaient-ils et étaient-ils ensemble pour survivre ? Cependant, Kate voulait se convaincre du meilleur : si Emeric était réellement un Cambion, il n'était sensible ni à l'Immatériel ni à l'Allégeance. Les sentiments qu'il avait longtemps nourris à son égard étaient véritables, et non influencés par la magie, comme ceux de Griffin ou de Terry.
Elle s'en surprit à lâcher un petit sourire naïf, sous le regard perplexe de son professeur.

— Je tâcherai de garder Herr Beckett sous ma surveillance. Tout comme je le fais avec vous... Kindergarten.
— Pourquoi, professeur ? demanda Kate. Pourquoi vous passez tellement de temps à vous soucier de nous ? Vous pourriez... nous dénoncer. Expliquer aux instances que nous sommes tous les deux dangereux et que nous mériterions d'être renvoyés de Poudlard. Voire envoyés à Azkaban en prévention !
— Si vous voyez le plus mauvais côté des gens, vous le faites irrémédiablement ressortir. J'ai envie de miser sur le reste. Quelles que soient les proportions. J'ai traversé tellement de choses dans ma vie, Fraülein. Vous n'avez pas encore les décennies derrière vous. J'ai assisté à un certain nombre d'horreurs. Pourtant, j'ai pris le parti de ne voir que le meilleur de l'humanité. Sinon...

Il soupira.

— Je n'aurais jamais survécu à tout cela. Et je ne serais pas ici aujourd'hui.

Sa voix se fit plus grave encore et il pointa ses deux index liés vers elle.

— J'ai confiance en vous. Et en Herr Beckett. Et si déjà cette pensée peut vous réconforter et vous empêcher de commettre l'irréparable, alors, cela sera une première victoire.

Wolffhart avait beau être parfois le pire être du monde, capricieux, maussade, orgueilleux, colérique et imbu de lui-même, mais ses mots étaient souvent les plus vrais que Kate pouvait entendre. Et elle lui en était infiniment reconnaissante.
Pour conclure cet entretien, il la chassa d'un geste de la main :

— Raus, jetzt. Je ne veux plus vous voir aujourd'hui...

Elle n'eut pas le temps de prononcer le moindre mot qu'il embraya :

— Je vous préviendrai quand sera prévu notre prochain entraînement.

Indisposée à pouvoir répliquer davantage, Kate hocha la tête et quitta l'endroit, le cœur mitigé. Mais elle se promit de garder le secret. Pour Emeric.

*** *** ***


Comme elle l'eut prédit à Mrs Hopkrik, Kate retrouva sa baguette le surlendemain à la suite d'un examen qui se découvrit, sans surprise, négatif. Mais le lundi sans baguette fut un handicap pour la jeune fille, qui dut observer ses camarades expérimenter le sortilège de projection de pensée, sans qu'elle puisse y être conviée, se contentant tristement de la théorie.
Sa semaine fut entachée par son cours de botanique, normalement en binôme avec Morgana. Cette dernière ne lui adressa pas un regard.

— Bonjour, Morgana ! lui souhaita Kate avec un sourire.

Mais la Serpentard ne lui répondit rien. Cet échange glacial raidit Kate qui laissa échapper :

— J'ai fait... quelque chose qui vaudrait que tu tentes de me tuer pour la euh... quatrième fois ?
— Ne me tente pas, Whisper.
— Tu me fais la gueule ?
— Non.
— Tu me fais la gueule.

Morgana l'ignora de nouveau et déballa ses instruments de collecte et de taille pour s'occuper du ficus lumineux qu'elles avaient commencé à entretenir la semaine précédent et dont elles devaient récupérer les feuilles sans abîmer les connexions végétales. Cette impression ne plaisait pas à Kate, qui préféra creuser le problème plutôt que de le laisser s'endiguer :

— Qu'est-ce qu'il se passe, Morgana ?
— Pourquoi je te répondrais ?
— Je ne sais pas. Peut-être parce que je te le demande gentiment ? Et que je suis soucieuse du pourquoi tu es « revenue à la normale » ? Je croyais que c'était bon entre nous.
— Je pensais aussi.
— Mais ?
— Mais apparemment, je ne suis pas assez bien pour être inv-... Laisse tomber, Whisper.

Les oreilles de Kate n'entendirent rien aux explications du professeur Londubat ; la jeune fille restait focalisée sur ses pensées. Alors elle comprit :

— C'est par rapport à la fête.
— Ah ? Tu as remarqué que tu m'avais oubliée ?
— C'était une surprise ! Je... Personne ne m'avait prévenue ! C'est quelqu'un d'autre qui a dû préparer la liste des invités ! Mais il n'y a pas beaucoup de gens dans la classe qui savent qu'on arrive de nouveau à se parler sans en venir aux poings ou à la baguette ! Tout le monde pense encore qu'on se déteste !
— Et ça a l'air de te convenir.
— Je n'ai pas dit ça, Morgana.

Contrariée, la Serpentard préféra se consacrer à sa plante, attrapant une petite feuille à l'aide d'une pince, avant d'en sectionner la base avec le plus grand soin. Kate était elle-même excédée et elle leva les mains :

— Très bien ! Très bien, Morgana. Si tu veux me faire la gueule, fais-le ! Je commence à m'habituer.
— C'est pas comme si cela allait te rendre malheureuse, hein ?

Mais Kate refusait également d'entrer dans son jeu et faire de Morgana une victime. L'adolescente aux cheveux noirs haussa les épaules, penchée au-dessus de la paillasse.

— Je comprends ! Tu as des super amis, tu as un copain, tu es entourée... d'amour.

Elle appuya le mot d'une manière à le ridiculiser.

— Tu as ta famille et...
— Je t'arrête tout de suite.
— Donc c'est sûr. Moi, je ne suis là que pour être ton faire-valoir. Les Serpentard bouchent les trous. Tu fais quoi avec moi, Whisper ? De l'humanitaire ? Tu traînes avec moi pour te donner bonne conscience ?
— Tu psychotes complètement, Morgana ! Tu nages en plein délire !
— Dis-moi en quoi j'ai faux, vas-y. Je t'écoute.

Se relevant, Morgana appuya son poing sur sa hanche avec un regard mauvais pendant que Kate cherchait ses mots. Elle aurait pu abandonner le point, mais elle se le refusait.

— J'aime être avec toi, articula-t-elle, prenant soin de peser chaque mot, parce que j'ai l'impression que tu es la seule à pouvoir me comprendre ici.
— Quand je dirai ça à ton copain... ricana Morgana, sarcastique.
— Non, ce n'est pas ça. Oui, mes amis peuvent comprendre certains points. Terry a vécu la guerre comme moi. Emeric...

Elle ravala ses paroles, de peur d'en dire trop.

— Mais avec toi, c'est différent. Je ne saurai te l'expliquer mais... tu es mon complément. Quand je suis arrivée à Poudlard et que je ne connaissais personne, tu m'as expliqué comment fonctionnaient les choses. Qui était chaque élève ici. À l'époque, tu m'as toujours donné ce qu'il me manquait. On aurait pu être les mêmes. J'aurais pu être toi, tu aurais pu être moi. Mais la guerre nous a opposées.
— Je ne suis pas toi, Whisper.
— Merlin, je ne te le souhaite pas !

Elles ricanèrent et se firent plus discrètes, le temps que Neville passe derrière elles pour vérifier leur travail, qui avançait peut-être un peu trop lentement à son goût. Elles continuèrent de tailler leur ficus magique, suspendant leur conversation. Puis, Morgana se redressa dans un soupir, fouilla dans sa poche et fit rouler une petite fiole rouge devant Kate, qui fronça les sourcils.

— C'est toi qui en voulais, non ?

Kate frémit en la récupérant, la rangeant à toute vitesse en espérant que personne ne l'ait remarquée.

— Merci mais... je n'en ai plus besoin ! Terry et Maggie sont de nouveau ensemble ! Des fois que tu aies manqué l'information !
— Qui peut louper ça...
— Et puis pour moi... non ! C'est bon, Morgana !
— Garde-la. Tu en trouveras toujours plus d'usage que moi.

Toute la journée, Kate se promena avec la fiole d'Amortentia dans sa poche, effrayée à l'idée de la briser ou de se la faire voler. Elle attrapa Terry et Maggie au vol, à la sortie de leurs cours optionnels respectifs. Les deux amis, assis dans une niche bordée de fenêtres gothiques, au milieu d'un couloir, furent interrompus dans leur discussion quand Kate les aborda.

— Vous ne devinerez jamais ce que j'ai...
— La carte chocogrenouille d'Hermione ? tenta Terry.
— Une MST imaginaire, vu que tu as encore loupé ton coche avec Beckett ? nasilla Maggie, les bras croisés.
— Aha. Très drôle. Non. Regardez.

Elle fit rouler la fiole rouge dans les callosités de sa paume après avoir retiré son gant violet.

— Qu'est-ce que c'est ? s'interrogea Maggie, perplexe.
— De l'amortentia...
— Genre... le philtre d'amour le plus puissant ? s'exclama Terry. Comment... qui te l'a procuré ?
— C'est Morgana.
— Hem. Attends, Whisper, je me permets de résumer. Morgana MacNair, la fille qui a tenté de te tuer un nombre incalculable de fois, t'a donné un philtre d'amour. C'est quoi la prochaine étape ? Et un pégase bleu vient te chercher pour t'emmener au pays des rêves ?

Kate se rendit compte qu'elle s'était piégée elle-même : elle ne pouvait pas leur confesser que ce philtre leur était au départ réservé, du temps où ses meilleurs amis avaient rompu.

— Je... c'était juste un pari.
— Tu sais pourtant en nous fréquentant que ce n'est pas la meilleure des idées, sourit Terry.
— Et tu vas en faire quoi, au juste ? demanda Maggie, en haussant des épaules, peu impressionnée. Au stade où il en est, Beckett ne peut pas t'aimer davantage. Après t'avoir ramené ton monstre de chat, il pourrait aller te chercher la Lune si tu le voulais. Genre, littéralement. Je suis sûre qu'il trouverait un moyen de le faire.
— Emeric est toujours plein de ressources ! lui accorda Terry.
— Je ne sais pas, marmonna Kate en observant la fiasque de plus près. La garder... On verra. Je pourrais l'envoyer à mon père pour qu'il la fasse boire à ma mère ?
— Pire idée du monde.
— Oui, je sais, Maggie. Je disais ça pour déconner.
— Ou alors, proposa Terry, tu nous crées une incroyable histoire d'amour entre MacGonagall et Wolffhart !
— Euh, Whisper, dis-moi, j'ai du sang qui sort par l'oreille ? lui demanda Maggie en pointant sa tempe. Non, parce que mon cerveau a décidé d'exploser plutôt que d'imaginer ce que Diggle vient de dire...
— Non mais imagine !
— Justement, je ne veux pas imaginer !
— Si ça tombait entre les mains de Ledger, ça serait la catastrophe !

Depuis l'épisode de la liste, Marvin avait fait profil bas mais personne n'avait éventé qu'il était le responsable. Pourtant, Evan ou d'autres auraient bien pu le dénoncer. Kate espérant que l'affaire s'était résolue en interne et que Marvin allait mieux. Cependant, ce calme, ce manque de blagues à grande échelle, ne la rassurait pas non plus. Tout était trop tranquille à Poudlard pour que ça soit anodin...

— En tout cas, marmonna Kate avec un sourire, je suis curieuse de savoir ce qu'on peut sentir avec cette potion.
— Sentir ? répéta Maggie, qui ne la suivait pas.
— La potion d'amortentia n'a pas le même parfum pour tout le monde. Tiens. Essaie toi-même !

Elle déboucha avec grand soin la fiole et la tendit à sa meilleure amie, qui l'approcha de son nez avec un air circonspect. Puis, les traits de son visage se détendirent. Elle se surprit même à en sourire.

— Alors ?
— Je sens... la cire pour lustrer le bois des balais, du thé fumé avec des biscuits et...

Elle se tourna vers Terry. Le rose lui monta aux joues.

— ... ton odeur, aussi.
— Elle n'a pas l'air désagréable, se rassura-t-il.
— J'ai presque eu peur d'avoir à sentir ton appartement !
— Mais... ça ne pue pas, chez moi ! On n'est pas négligés ! Juste... désorganisés.
— C'est un faible mot.
— À toi, Terry ! l'invita Kate.

Le jeune homme hérita du flacon et en huma les petites vapeurs. Il lui fallut davantage de temps pour reconnaître.

— L'odeur d'une brioche sortant du four et... euh... celle des compartiments du Poudlard Express. Et puis...
— Et puis ? le pressa Maggie.
— Des arbres. Épineux. Comme les grands arbres dans le parc de ton manoir...
— Ah. D'accord, bouda-t-elle en croisant les bras, lui tournant le dos. Ce n'est même pas mon odeur, c'est celle des arbres. Génial.
— Mais ne te vexe pas ! C'est sûrement parce que quand je suis venu chez toi, on s'est beaucoup promené dans le parc !
— Heureusement qu'on n'a pas fait que ça, hein.
— Avec la bataille de boules de neige, tout ça !

Maggie reprit la fiole des mains de Terry et la tendit vers Kate.

— Tu n'échapperas pas, Whisper !
— Très bien ! Si tu insistes. Alors... celle-là, facile, l'intérieur de la voiture de mon père. De la confiture d'abricot. Et... l'odeur de l'hiver.
— L'hiver a une odeur ?
— Oui. De houx. Avec de la cannelle.
— Du houx à la cannelle. Fort bien, Whisper.
— Tu vas en faire quoi ? s'interrogea Terry, suspicieux. Ce n'est pas une potion anodine.
— Bien la cacher. Personne ne doit la trouver et savoir que je l'ai en ma possession. Je compte sur votre discrétion !
— Et tu viens dire ça à Terry ? Tu te bases sur quelle logique, Kate ?
— Et c'est toi qui fais la morale sur les secrets ? rebondit le concerné, avec un air grondeur.

Le visage de Maggie vira à l'écarlate. Terry afficha alors un air plus conciliant en direction de Kate :

— En tout cas, quoi qu'il en soit, je suis contente que tu nous en aies parlé. Et pas que tu aies gardé la chose pour toi.
— Vous êtes mes meilleurs amis ! s'exclama Kate. Évidemment que j'allais vous raconter ça !
— Mais parfois, j'aimerais bien savoir d'autres choses. Si tu vois ce que je veux dire...

Son allusion faisait bien sûr référence à l'événement, quelques jours plus tôt, dans le bureau de MacGonagall.

— Ce n'est pas à moi de raconter les secrets d'Emeric, se défendit Kate, prudente et bienveillante. S'il avait décidé de ne pas ébruiter le fait qu'il était un Animagus, c'était son choix, pas le mien.

Maggie, qui avait dû être mise au courant de ce fait par Terry, ne s'étonna pas. Au contraire, elle rebondit en soupirant :

— Je ne comprends pas pourquoi certains sorciers veulent se transformer en animaux. Des trucs qui puent, plein de puces... Quel est l'intérêt.
— C'est... un différent point de vue, proposa Kate.
— Mais Electra, poursuivit Terry, plus sérieux.
— Oui. Ça, tu aurais pu nous le dire ! se haussa Maggie, les bras croisés.
— Très bien ! Et vous auriez fait quoi ?
— Je... je ne sais pas ! Mais tu ne pouvais pas garder ça pour toi ! C'était grave !

Kate soupira : elle savait qu'elle ne pourrait pas les raisonner.

— D'accord, d'accord... La prochaine fois, je vous préviendrai. Mais je persiste à croire que ça vous met plus en danger qu'autre chose.
— On sait pour quoi on a signé depuis notre première année !

Ils échangèrent des rires ironiques, puis Kate, enchantée d'être aussi bien entourée, passa son bras gauche sur l'épaule de Maggie, tenta d'en faire de même avec le droit pour Terry, mais le déséquilibre des hauteurs ne lui permit pas.

— Vous êtes pas possibles, lança-t-elle, alors qu'ils se dirigeaient vers leur cours de sortilèges, bras dessus dessous.
— Tu as aussi signé pour ça !
— C'est bien mon malheur...

*** *** ***


Les choses semblaient aller mieux pour Kate. Les cours se déroulaient sans encombre, elle enchaînait les bons résultats scolaires. Le soir, elle se détendait souvent dans un bain magique ou autour d'un jeu de société avec les autres Papillombre. Et quand elle allait se coucher, elle retrouvait la douceur et l'odeur de la fourrure immaculée de son chat qui lui avait tant manqué et qui se lovait contre elle. Tout semblait lui sourire. Kate était heureuse. Cela lui arrivant relativement rarement, malgré sa bonne humeur générale, elle s'en fit la réflexion. Tout se déroulait sous le signe du bonheur.
Il n'y avait peut-être qu'une ombre à ce tableau : l'absence de nouvelles d'Atropos. La faucheuse ne répondait plus. Avait-elle réussi à mettre la main sur le Miroir du Risèd ? L'avait-elle trompée ? Ce silence ne lui plaisait pas.
Mais son quotidien au beau fixe lui faisait oublier ce tracas. Sans compter sa relation nouvellement assumée avec Emeric, malgré tout ce qu'elle avait partagé avec Wolffhart à son propos. Elle n'avait plus rien à cacher désormais et cela lui enlevait un sacré poids sur le cœur. Dès qu'elle le croisait dans un couloir, elle se surprenait à en rougir. Chaque moment passé avec lui la rendait allègre. Et leurs discussions étaient intarissables.
Un midi, elle l'aperçut, assis à la table des Serdaigle. Emeric était occupé à lire un livre, l'autre main trempant un biscuit dans sa tasse de thé d'un geste machinal. Bien décidée à le surprendre, Kate s'immisça derrière lui sans un bruit. Sur son visage, une expression de satisfaction à l'idée de le faire sursauter. Pus, jugeant le moment opportun, elle se rua sur lui, enlaçant son cou, en s'exclamant d'une fausse voix grave :

— DU BIST EIN GROSS KARTOFFEL !
— AHH !

Le rire de Kate tarit le cri étouffé d'Emeric qui en lâcha son biscuit dans son breuvage chaud, se morcelant au fond de la tasse.

— Pourquoi tu me sautes dessus en allemand ? ricana-t-il.
— Pour changer des conventions ?
— Hm. Et tu me dis que je suis une grande pomme de terre.
— C'est un des seuls mots que je sais dire en allemand. Merci Wolffhart.
— D'ailleurs, si on suit les accords corrects, il faudrait dire « Du bist eine grosse Kartoffel ».
— Je le saurai pour la prochaine fois. Mais tu sais que j'aime bien varier mes angles d'attaque !
— Un vrai discours de Nettoyeuse... !

Elle s'assit à ses côtés, les jambes à l'extérieur du banc et non vers la table. Emeric commença tranquillement à ranger ses affaires et lampa le fond de sa tasse de thé, avec les morceaux de biscuits en bouillie. Elle devinait à son expression que quelque chose n'allait pas.

— Ça va ? s'inquiéta-t-elle. Tu as l'air... triste.

Elle avait prononcé son dernier mot à voix basse. Emeric accueillit sa question avec un petit soupir, un haussement d'épaules et un sourire bien vite disparu, car forcé.

— Est-ce que... tu accepterais de venir avec moi ? J'ai quelque chose à te montrer.
— Oui, bien sûr.

Elle immisça sa main dans la sienne et tous deux traversèrent la Grande Salle. Les regards ne se tournaient plus vers eux, désormais. Cela faisait partie de la vie de Poudlard et tout le monde avait admis depuis quelques semaines que les deux élèves sortaient ensemble. Kate était soulagée de ne plus être au centre des attentions désormais.
Ils sortirent dans le parc, empruntant les escaliers, qui terminaient sur un chemin de terre. L'air était encore frais pour la fin du mois de mars. Emeric lui fit prendre une direction qu'elle n'avait pas l'habitude de prendre, à l'opposé de la cabane d'Hagrid et du Lac Noir. Ils passèrent non loin du saule cogneur, qui commençait à bourgeonner, ses branches inamicales clairsemées de points verts. Puis, ils contournèrent une petite colline. Plus ils avançaient, plus Kate s'interrogeait, jusqu'à ce qu'elle aperçoive une pierre de taille moyenne sur un pan du talus. En s'approchant, elle put y lire des inscriptions gravées par magie.

« Amy Colfer, 28 mars 1963 – 21 mars 1998 »

Comprenant désormais le chagrin d'Emeric, elle lui attrapa le bras alors qu'ils ralentissaient.

— C'est toi qui as fait ça..., murmura Kate dans une demi-affirmation.
— Ce n'est pas là qu'elle est enterrée, expliqua Emeric, respectueux. Elle est sur les falaises, pas loin de la maison. Mais je ne peux pas rester ici, à Poudlard, sans penser à elle. Elle a toujours rêvé de venir ici. Et on lui a toujours interdit cet endroit. Maintenant, elle y est. D'une certaine manière. J'ai fait ça quand on était en deuxième année... Et chaque année, je reviens. Sauf l'an passé...

Il se permit de se détacher de Kate pour sortir sa baguette et s'accroupir devant la pierre de mémoire :

— Orchideus.

Un bouquet de fleurs apparut, laissant éclore de magnifiques pétales blancs. Il reste un moment penché au-dessus, avant de se relever. Kate revint près de lui et se serra contre son bras de nouveau, frottant sa joue sur son épaule.

— Elle t'aurait beaucoup aimée, sourit Emeric, la voix ponctuée de tremolos.
— Tu penses ?
— Oui, j'en suis certain. Vous avez la même sensibilité. Le même besoin d'aider les autres. Le même émerveillement devant les petits miracles de la vie.
— S'il te plaît, ne me dis pas que tu m'aimes parce que je ressemble à ta mère... !
— Je n'ai pas dit ça !
— Je te taquine.
— Hm. Mais oui. Elle t'aurait adorée.
— Et sûrement moi en retour.
— Oui. Sûrement...

Il poussa un long soupir, cette fois un peu agacé.

— Elle n'avait même pas trente-cinq ans... À quelques jours près. Elle n'est pas partie dans la dignité.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Elle aurait pu être soignée. Mais la guerre... Les Cracmols. Ils étaient vus comme des moins que rien. Comme des dangers, des aimants à Mangemorts. Ste Mangouste aurait pu la sauver. Ils l'ont laissée à la porte. Et les Moldus... c'était déjà trop tard. Ils ont fait ce qu'ils ont pu.

Ses sourcils se froncèrent.

— Pendant un moment, j'en ai voulu au monde des sorciers. Je ne voulais presque plus aller à Poudlard. Depuis qu'elle était petite, les sorciers l'ont toujours rejetée. Pas le droit d'aller à Poudlard, d'étudier la magie, de travailler dans ce monde. Jusque dans la mort, ils l'ont rejetée... Je me suis senti trahi.
— C'était la guerre, tenta de le raisonner Kate. Tout le monde cherchait à sauver sa peau. Dans d'autres circonstances, ils n'auraient jamais fait ça.
— Je sais. Je sais...

Il y eut une minute de flottement. Puis Emeric craqua, se pinçant l'arête du nez pour essayer de contenir ses pleurs. Blessée par son chagrin, Kate se blottit contre lui pour manifester sa présence et son soutien. Les bras du Serdaigle finirent par s'enrouler autour d'elle.

— Elle aurait été fière de toi... Elle t'aime toujours. Où qu'elle soit.

Elle sentit son étreinte se resserrer et les larmes d'Emeric couler sur sa tête. Elle l'invita sans un mot à ne pas les retenir.

— C'est de ma faute. C'est de ma faute...
— Ce n'est pas de ta faute ! Emeric, ne dis jamais ça...
— Elle ne serait pas tombée malade si elle n'avait pas dû aller me chercher dans cette tempête. Si je n'avais pas été idiot et égoïste...
— C'était ta mère. Elle aurait tout fait, tout donné pour toi.
— Je l'ai tuée... ! Je l'ai tuée !
— Emeric ! Arrête ! Arrête de dire ça !

Ainsi, cela faisait donc six ans qu'Emeric s'attribuait cette responsabilité ? Kate n'osait imaginer le poids de cette accusation... Elle comprenait mieux cette réserve, chez ce jeune Emeric qu'elle avait connu dès la première année. Cette confiance en lui, détruite, anéantie. En réalité, Emeric avait ressassé cette haine envers lui-même, qu'il était petit à petit parvenu à surmonter. Ou tout du moins à camoufler.
Ce fut alors qu'elle comprit qu'ils n'étaient pas si différents que ça, elle et lui. Kate cherchait toujours à se reprocher toutes les misères. La situation de sa famille, c'était de sa faute. Tout ce qui tournait autour d'elle était de sa faute. Et il fallait qu'elle arrête. Se fustiger sur des faits passés, chercher à trouver un responsable, ne la mènerait à rien. Et Emeric aussi devait le comprendre.

— Elle t'aime, Emeric. Quoi que tu aies fait, quoi que tu fasses. Elle restera ta mère.
— Je ne suis qu'un imbécile... Ce que j'ai fait, en Irlande. Quand j'ai... quand j'ai torturé...
— Tu m'as sauvée ! Tu étais sous l'influence de tes émotions ! De ta colère ! Et tu as eu peur pour moi ! Peut-être que sans toi, je serais morte. Ce n'était pas toi. Le vrai toi, Emeric, c'est celui qui est venu à mon secours. Et elle aurait été fière de savoir que tu étais prêt à ça pour moi. Elle aurait été fière de voir celui que tu es devenu. Courageux. Qui pense avec le cœur, plus qu'avec sa tête.
— Mais j'ai fait preuve de violence. Et...
— Non. Tu as fait preuve d'amour.

Elle leva son visage vers le sien et caressa sa joue d'une main, pour l'inviter qu'à rouvrir ses yeux embués de larmes.

— Et je t'aime.
— Je t'aime aussi...

Ils partagèrent un baiser tremblant, teinté de cette émotion paradoxale. Puis Kate repensa aux dires lointains de Wolffhart et lui murmura :

— Et maintenant, quand tu te diras que c'est de ta faute, pense au jeune toi, celui que tu étais. Un Emeric arrivant à Poudlard, tout timide, tout penaud, tout peureux. Arrête de lui crier dessus. De lui dire qu'il est coupable. Console-le. Rassure-le. Dis-lui qu'il va y arriver. Qu'il va rencontrer une fille. Et qu'il va tomber fou amoureux d'elle, à tel point qu'il partira loin pour elle. Qu'il arrivera à réaliser son rêve, à force de persévérance. Parce qu'il a toujours été honnête avec lui-même. Qu'il n'a jamais tourné le dos à ses convictions.

Ces mots le touchèrent au plus profond de lui-même, eurent une résonnance qu'il n'aurait pas soupçonnée. Kate lui accorda alors un sourire, posant une main sur son cœur.

— Car c'est celui que je vois.

La main d'Emeric recouvrit la sienne, ses doigts se mêlant aux siens. Et il se pencha au-dessus d'elle, son front touchant le sien. Ils restèrent ainsi, les yeux clos, pardonnant à leurs passés respectifs.

*** *** ***

Un soir, Kate traversa la salle commune des Papillombre. Eibhlin s'était lancée dans le tricot magique, mais son début d'écharpe verte ressemblait davantage à un chou en laine. Rachel lisait, Shako roupillait, Rose gribouillait. Teffie était sûrement dans son dortoir. Quant à Tetsuya et Nestor, ils disputaient une partie d'échecs, sous le regard intéressé de Leeroy, qui décrochait quelquefois pour s'accorder une rêvasserie.

— Ah ? T-t-tu as une r-ronde ce soir ? lui demanda ce dernier, quand Kate passa devant eux.
— Je suppose que je ne sais toujours pas être discrète.
— Peut-on vraiment être discrète quand on s'appelle Kate Whisper ? se permit Tetsuya. Tour en A5. Échec.
— C'est antinomique, répliqua Nestor. Fou en E5.
— Bon courage alors, Kate !
— Merci, Rose ! Ça fait du bien, un peu de soutien !
— Essaïe de ne pas tomber dans le couloïr des dortoïrs quand ti rentreras dans la nouit. Comme l'autre foïs. Ça faït oune boucan pas possible...
— Je vais surtout retenir les encouragements de Rose, grommela Kate. Et puis, j'y voyais rien dans le noir, c'était pas ma faute.
— Tou saïs, le Loumos est oune sortilège qu'on apprend généralement en première année.
— M-m-moi aussi je t'en-t'en-cour-rage !
— Fayot.
— J'ai v-vu tes lè-lèvres par-par-parler, Ne-Nessie, mais je n'ai rien-rien ent-entendu !

Kate leur adressa un dernier geste et demanda à Cliodna l'autorisation de sortir. Il faisait froid dans les couloirs déserts et la jeune sorcière ramena les pans de sa cape devant son cou pour le couvrir et éviter de tomber malade. C'était parti pour une nouvelle nuit palpitante d'ennui et d'ampoules aux pieds...
Elle se rappelait, nostalgiquement, en montant parfois les escaliers magiques, des rondes qu'elle avait fait autrefois avec Clive, du temps où il foulait encore Poudlard. Quelquefois, quand le hasard faisait bien les choses, elle pouvait se retrouver à les effectuer avec Maggie ou Terry. Mais d'autres soirs, comme celui-ci, elle arpentait les longs corridors de l'école, seule, l'oreille à l'affût et l'esprit résistant tant que possible au sommeil.
Parfois, elle s'accordait une pause de deux minutes, à rêvasser devant les centaines de portraits endormis. Certains la saluaient. C'était par exemple le cas du tableau de l'alchimiste, qui travaillait sans relâche, jour et nuit, à la recherche de l'élixir de jeunesse éternelle. Il faisait de temps en temps goûter ses expérimentations à sa pauvre voisine qui s'était un jour retrouvée avec une peau violette, s'attirant les moqueries de la Grosse Dame. Des Serdaigle avaient bien tenté de le raisonner : quel intérêt de tester une potion de jeunesse éternelle sur un portrait... lui-même immortel, puisqu'il s'agissait d'une reproduction qui ne s'altérerait pas avec le temps ? Emeric avait clos tout débat dans l'esprit de Kate, rappelant que, de toute façon, la potion resterait éternellement fictive... Pas de quoi s'y étaler.
Depuis qu'il savait que Kate pouvait toucher les fantômes, Peeves évitait de faire son malin, les soirs de ronde. L'arroseur arrosé. Et ce n'était pas plus mal pour Kate, qui pouvait profiter de ses promenades nocturnes dans le calme.
Promenades, car rares étaient les élèves qui désobéissaient au règlement. Kate avait surpris un couple de quatrième année un soir, mais un seul rappel et un peu de compassion avaient suffi. Kate était la première à manquer à ses devoirs d'élèves quand elle fuguait la nuit avec Emeric pour apprécier le parc sous ses allures nocturnes.
Mais ce soir-là, rien n'allait vraiment se passer comme prévu... Cela ne débuta pas par un bruit. Mais par un flash. Celui d'un fantôme traversant le mur juste devant elle. Kate sursauta, le cœur bondissant dans sa poitrine, et se calma en reconnaissant le spectre :

— Merrick ! Ne fais plus jamais ça !
— Désolé, Kate, mais il fallait absolument que je te trouve !

Le remarquant encore plus pâle qu'à l'habitude, Kate l'interrogea, suspicieuse :

— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Il y a un élève. Sur le pont.
— Et tu me surprends, comme ça, pour me prévenir de ça ? Pas de panique. Je vais aller voir et lui dire de retourner à son dortoir.
— Tu ne comprends pas ? Sur le pont et il s'apprête à sauter !
— Quoi ?

Kate ne réfléchit pas plus longtemps et bifurqua pour courir jusqu'au pont. Elle voyait par les fenêtres le fantôme de Merrick prendre de l'avance en traversant les sols et les murs. Les tableaux, réveillés par sa course, grommelèrent ou la réprimandèrent.
Parvenue à l'endroit, Kate aperçut alors une silhouette, placée dans une arche du pont, les pieds sur le rebord, les mains tenant les colonnes de part et d'autres. Son cri jaillit de sa gorge serrée :

— Marvin !

Le Serpentard, étonné d'entendre quelqu'un, se tourna vers elle. La peur succéda à la surprise sur son visage :

— N'approche pas, Kate ! Reste où tu es !

Les mains à plats, prudente et ne le lâchant pas du regard, Kate le lui assura. À ses côtés, Merrick observait la scène, peu rassuré. Lui non plus n'osait intervenir.

— Descends de là, Marvin ! lui ordonna Kate. C'est dangereux !
— Je n'ai pas à t'obéir ! Je n'obéis à personne ! Tu m'entends ?
— Je t'entends, je t'entends...

Kate tenta d'apaiser sa voix pour éviter qu'elle ne laisse transparaître trop de panique.

— Qu'est-ce que tu cherches à faire, Marvin ?
— Tu as vraiment besoin d'une réponse ?
— Ça ne résoudra pas les problèmes.
— Oh si, Kate. Le problème vient de moi. Et il faut que le problème cesse !
— Ce n'est pas un problème, ce que tu as, Marvin ! C'est ce que tu es !
— Et je ne peux plus le supporter ! Je me déteste ! Je n'aurais jamais dû exister ! Seule ma sœur aurait dû naître ! Mais pas moi, je ne le méritais pas ! Je n'ai toujours été... qu'un parasite. Qu'un truc en plus. Une anomalie... Depuis toujours.
— C'est une fausse idée que tu te fais. Tu veux t'en convaincre. Je sais que tu n'as pas eu la vie facile, dernièrement. Mais ne renonce pas. Il ne peut t'arriver que le meilleur.

Marvin afficha un sourire ironique et regarda dans le vide, en-dessous de lui.

— Tu sembles si certaine.
— J'ai vécu des choses dures et j'y ai survécu. Il n'y a pas de raison que ça ne soit pas la même chose avec toi.
— Nos situations ne sont pas comparables !
— Non, je sais, mais...
— Tu ne sais pas ce que je vis ! Tu ne peux pas comprendre ! Personne, ici, dans cette foutue école, ne peut comprendre !
— Si ! Il y a quelqu'un !

Kate jeta un coup d'œil à Merrick, toujours silencieux, tentant ainsi de l'initier à la conversation. Mais le fantôme restait trop impressionné et réservé pour oser s'exprimer. La Papillombre craqua :

— Bordel, Merrick, aide-moi ! T'es le mieux placé pour m'aider dans cette situation !

Il hoqueta et comprit. Lentement, il s'avança sur le pont : cela effrayait moins Marvin. Il savait qu'un fantôme ne pourrait pas le retenir.

— Ce que tu t'apprêtes à faire, ce n'est pas une solution.
— Alors qu'est-ce qu'il existe, comme solution ? geignit Marvin.
— Je ne sais pas. Mais ce n'est certainement pas celle-là.
— Qu'est-ce... qu'est-ce que tu as fait ?
— Mon histoire n'est pas un exemple. Et elle s'est très mal finie, d'une certaine manière. Mais j'ai eu une seconde chance. Accorde-toi une seconde chance.
— J'ai l'impression d'en avoir trop donné. Des chances... Chaque jour, je me lève en me disant « cette fois, ça ira ». Mais ça ne va jamais... Les moqueries. Le rejet. La solitude...
— Tu es à Serpentard. Comme je l'étais. Mais tu as tellement plus de courage que je n'en ai jamais eu. Tu as assumé une part de cela entre les murs de cette école. Je n'ai jamais osé. Et c'est ce qui m'a coûté cher. Car je me suis caché de ce que j'étais. Et je suis devenu quelqu'un que je n'étais pas... Un être sombre, rempli de haine, de rancœur, de vengeance, de frustration... Marvin, c'est ça ? Dis-toi que tu t'évites déjà ce parcours. Tu as fait le plus difficile. Le chemin n'est pas le plus aisé, mais il y a des gens pour t'aider. Ils ne font peut-être pas le même chemin que toi, mais ils peuvent te guider, te soutenir à distance.

Il y eut un long silence, puis un murmure de la part de Marvin :

— Qui te dit. Que j'ai besoin de leur aide. Que j'ai envie de leur aide...

Merrick eut un mouvement de réflexe, anticipant ses paroles et sa réaction :

— ... quand je suis le seul maître de ce que je fais.

Ses doigts lâchèrent leur emprise sur la pierre et son corps bascula dans le vide. Merrick tenta de rattraper son bras, mais sa nature fantomatique l'en empêcha. Kate étouffa un cri, mais son cœur ne se laissa pas submerger par la panique. Avec quelques pas d'élan, elle sauta sur le rebord et se jeta à son tour dans le vide, sans réfléchir aux conséquences. Il lui sembla entendre le hurlement spectral de Merrick dans sa chute. Sans crainte du vide, elle se focalisa sur Marvin, lui attrapa la cape et tenta de le tirer vers lui. Mais la gorge finale devenait si proche.
L'Immatériel s'éveilla dans une rafale blanche et lumineuse, englobant leurs deux corps, attirés par la gravité, formant une espèce de champ de lévitation pour ralentir leur chute. Kate parvint à attraper plus fermement Marvin, qui gardait les yeux fermés, peu conscient de ce qu'il se produisait, durant ces très courtes secondes.
Quand le pied de Kate se posa sur les roches en contrebas, elle accueillit Marvin, s'écroulant dans ses bras, alors que l'Immatériel s'évanouit. Comprenant qu'il serait contraint de continuer à vivre et par effet de la peur, du regret de son geste aussi, peut-être, le jeune homme fondit en larmes contre elle. Kate souffla un grand coup, rassurée que les choses n'aient pas dégénéré.

— Putain, Marvin, ne fais plus jamais ça !
— Tu... tu as sauté pour moi... Tu aurais pu...
— Ta gueule ! Et toi, tu aurais pu pourrir ma ronde ! Il est hors de question qu'un seul élève de plus meure ici ! Et surtout pas sous ma surveillance ! Je t'ai proposé mon aide depuis des semaines, et toi, tu fais une tentative de suicide sous mes yeux ?! Alors maintenant, putain, tu vas te ressaisir, Marvin ! Ton malheur, t'es le seul à te l'infliger, ducon ! Tu veux continuer à voir la vie comme nulle et injuste, super ! Continue à te mettre des œillères, si ça te chante ! Tu te plains qu'on te rejette, mais tu rejettes l'aide des autres ! L'éventualité même qu'il y a des gens comme ta sœur ou tes potes pour t'écouter ! Ou même moi, quoi ! Alors ce que je vais faire, en attendant, je vais te ramener à l'infirmerie et t'as intérêt à prendre le temps de réfléchir à tout ça ! Et la prochaine fois que tu me fais le coup, je te repêche et je te bute moi-même ! Ça t'apprendra à faire autant flipper avec tes conneries !

Estomaqué par ses propos, Marvin ne répondit rien ; il avait même suspendu ses pleurs. Ravalant sa colère, influencée par sa peur et par l'adrénaline, Kate poussa un nouveau soupir et aida Marvin à se relever.

— Désolée de te crier dessus... Mais tu m'as fait peur. Très peur. Allez, viens. Je t'emmène.

*** *** ***

L'affaire ne fut pas ébruitée plus que nécessaire, si ce n'est chez les professeurs. Marvin fut conduit à l'infirmerie et y resta plusieurs jours. Kate passa lui rendre visite quelquefois. Un jour, elle dut abréger la conversation car elle se rendit compte qu'Evan attendait sans se présenter. Elle espéra que le Gryffondor s'était rendu compte du mal qui avait été commis et qu'il saurait se faire pardonner auprès de Marvin.
Cependant, à côté de ce sauvetage, Kate dut récupérer les débris d'un Merrick qui s'en voulait d'avoir été impuissant. La jeune fille tenta de le raisonner. Mais elle savait que la meilleure solution pour lui de se pardonner à lui-même était désormais de faire de son mieux pour aider le Serpentard à récupérer et à s'accepter comme il était. Peut-être cela allait-il aider Merrick à son tour, dans ce chemin qu'il n'avait pas pu parcourir lors de son adolescence.
Un épisode dans la vie de Poudlard que Wolffhart ne manqua pas de mentionner quand Kate fut conviée pour un nouvel entraînement dans la salle de classe de métamorphose :

— Vous n'en manquez pas une pour vous faire remarquer, Fraülein.
— Vous auriez préféré que je le laisse mourir, professeur ? Au mieux, il s'en sortait avec un sévère traumatisme crânien ! Je m'en serai voulu toute ma vie. Et pour une fois que l'Immatériel m'est utile...
— Pourquoi ne pas avoir utilisé votre baguette ? Un Aresto Momentum ou un Wingardium Leviosa pouvait faire l'affaire.
— C'était la nuit. On ne voyait rien. Et... ça s'est passé trop rapidement ! Mais je retiens, professeur ! La prochaine fois qu'un élève cherchera à se suicider sous mes yeux, j'y réfléchirai à deux fois.
— Ce n'est pas ce que j'ai dit... grogna-t-il, pendant qu'elle retirait sa cape pour se mettre à l'aise et libérer ses mouvements du poids des lourds tissus.

Kate tenta une imitation à voix basse et aigue : « gnégnégné, c'est pas c'que j'ai dit... », sous le regard grondeur de Wolffhart qui passait de plus en plus l'éponge sur l'impertinence de la jeune fille à son encontre. Il rajouta cependant :

— Si c'est ça que vous attendez : bravo, miss Whisper. Mes félicitations. Zufrieden ?
— Très, professeur.
— Maintenant, permettez, je dois désinfecter ma bouche...

Il profita que Kate ne soit pas encore prête pour avaler un gorgée d'une Leidenschnaps qu'il s'était sorti à la fin d'une fastidieuse correction de devoirs qui, à en croire la quantité qu'il avait ingurgité, devait être d'une qualité déplorable.

— Non mais très bien. Continuez de boire. Ça me donne de meilleures chances, comme ça.
— Gardez espoir. Vous en avez bien besoin...
— Nous allons encore parler longtemps, professeur ?

D'une détente, Wolffhart jeta son petit verre vide qui explosa contre le mur en pierre dans une pluie cristalline. Sur son visage s'étira un sourire satisfait :

— Sie haben Recht...

Avec une rapidité déconcertante, Wolffhart avait dégainé sa baguette magique et s'était rué vers elle. D'un réflexe, Kate bondit en arrière, son saut amplifié par ses pouvoirs. Mais elle ne devait pas le laisser prendre le contrôle. Prenant appui sur son pied, elle se précipita également vers lui. Ils allaient se percuter, l'un la baguette luminescente, l'autre les mains blanches, quand Kate se laissa glisser à terre, passant sous les pans de la cape de Wolffhart. Son choix fut le meilleur, car son enseignant, persuadé qu'elle prendrait la voie des airs, avait lancé une onde de choc de bas en haut, secouant la grande porte d'entrée en bois. La jeune fille tira avantage de cette situation, déchaînant son Immatériel sur un Wolffhart surpris par cette feinte.
Le vieil allemand fut projeté à l'autre bout de la grande salle, mais parvint à retrouver l'équilibre en atterrissant grâce à un sort habile, son manteau de feutre virevoltant autour de lui. Kate allait contre-attaquer, quand il prononça une formule qui n'était pas directement adressée à la jeune fille :

— Vitreis globulis !

Elle eut bien fait de se méfier car, derrière elle, la bouteille de schnaps et les morceaux de verre dispersés sur le sol, près du mur, s'étaient transformés en minuscules billes de cristal flottant dans les airs. Elles furent attirées vers la baguette de Wolffhart avec la vitesse d'un tir de fusil. Kate aurait été criblée par ces balles magiques en verre si elle n'avait pas retenu les impacts avec un bouclier immatériel. Son professeur ne plaisantait vraiment pas... ! Un instant d'innattention et il aurait été capable de la tuer !
Mais lui tournant maintenant le dos, Kate savait qu'il pouvait reprendre l'avantage. Elle posa la paume de sa main droite sur le dos de sa main gauche et, s'accroupissant, les plaqua sur la dalle devant elle. Tout le carrelage de pierre se fendit, ouvrant de grosses zébrures et provoquant une secousse qui déstabilisa Wolffhart.
Il la sentait sûre d'elle. Enhardie de nouvelles forces. Ce n'était pas le désespoir ou la colère qui la guidait ce jour-là...
Il décida alors de passer à la vitesse supérieure, érigeant entre lui et son élève un immense rideau de flammes. L'épreuve ne différait pas tant des précédentes qu'il lui avait soumises. Il l'attendait, en position d'attaque, paré à la voir apparaître, sautant par-dessus, le traversant en courant. Mais ce qu'il vit dépassa son imagination.
La confrontation de Kate avec Electra avait laissé un enseignement. Les lames d'Immatériel tournaient autour d'elle, comme une bulle protectrice, aspirant les flammes, sans les éteindre cependant. En réalité, elle ne faisait que les aviver...
L'image de Kate franchissant les flammes sans crainte, les mains crispées tournées vers le ciel à hauteur de sa taille, accomplissant ce prodige sans ciller, médusa son professeur. Cela le fit baisser sa garde. Et quand résonna le cri de Kate, se lâchèrent autour d'elle des colonnes de feu. La déflagration fut telle que les tables furent éjectées, en feu, contre les murs, que les vitraux se mirent à exploser dans le souffle brûlant de l'explosion dont Kate était l'épicentre.
Le silence s'abattit dans la salle. Les pierres glacées étaient maintenant tièdes. Des tables et des bancs à moitié carbonisés agonisaient dans certains coins de la salle.
Le souffle de Kate était aigu, rapide. La jeune fille était accroupie. Un genou sur le bras de son professeur, dos à terre, sa baguette en bois d'aubépine ayant roulé deux mètres plus loin. L'autre, planté dans son sternum. La lumière autour des mains de l'apprentie, prête à le frapper si nécessaire, ne décroissait pas. Et ainsi vaincu, Wolffhart l'observait, de la suie sur le visage, les yeux rougis par l'explosion aussi puissante que fulgurante.
Un faible sourire éclairait son visage. Et quelques mots perlèrent sur ses lèvres :

— Vous pouvez. Faites-le... Je sais que vous en mourez d'envie.

Il y eut un moment de flottement. Kate était en position de conquérante. D'un geste, elle aurait pu ôter la vie à son professeur. Elle était désormais plus forte qu'il ne l'était...
Alors, le cœur battant, elle fit partir son bras dans une détente qui trahissait son envie d'en finir. Maintenant.
Et sa main se plaqua sur le front hâve de Wolffhart.  

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Note de l'auteur : VOILA.

Le mystère sur Emeric est enfin levé. ENFIN. Partiellement. Reste à savoir si Kate et Wolffhart pourront le lui cacher. Mais surtout... ON ARRIVE LAAAAAAAAAA. AAAAAAAAAAAAAAH.

Vous l'aurez deviné, les trois prochains chapitres seront consacrés à notre Allemand préféré. Vous avez bien lu. Il n'y aura pas un, ni deux, mais TROIS chapitres sur le passé de Wolffhart (tant à dire sur cet homme !) Ils seront écrits pendant le NaNoWriMo, cet événement qui consiste à écrire 50 000 mots en novembre. J'ai un record à battre, de 12 000 mots en un jour. Ahahaha. (12 000 mots, c'est l'équivalent d'un chapitre entier).

Vous aurez donc un certain nombre de chapitres, en prenant en compte le temps de correction et celui d'Emi, aussi. ;)

Pendant les deux prochaines semaines, vous pourrez me rencontrer à plusieurs endroits, où je présenterai mes livres !

Je serai au salon de Valjoly'maginaire (c'est dans le Nord, près de la Belgique), les 28 et 29 octobre,A la kick-off officielle de Paris la nuit entre le 31 octobre et le 1er novembre (si vous voulez rager de me voir écrire autant, c'est l'occasion)Au Salon Fantastique, les 3-4-5 novembre, à Paris, à l'Espace Champerret

Pendant les salons, je vendrai les deux premiers livres de ma saga fantasy les Chroniques des Fleurs d'Opale, plein de goodies... mais aussi quelques affiches de LMA, avec les magnifiques illustrations d'Emi, des badges LMA, des lettres de Poudlard personnalisées et j'aurai des flyers LMA pour que vous puissiez convertir le monde. VOILA. J'aurais également quelques exemplaires des parties 1 et 2 de LMA imprimées, mais vu qu'il m'en reste très peu, il faudra se battre pour les avoir !
Je ne mange personne ! Donc venez me faire un BISOU, me nourrir de COOKIES (ou de bouffe en général, je mange TOUT), boire une BIERE avec moi, discuter du monde (et de LMA), prendre une PHOTO, signer le LIVRE D'OR, ça me fera toujours plaisir !
Je vous dis à très bientôt pour la suite des aventures de Kate ('fin, de Wolffinou, en l'occurrence !)
Pluie de coeurs sur vous ! 

Poster une review blanchit vos dents.

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now