Chapitre 41 - Nombreux sont mes soupirs

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Il y avait rarement eu autant d'agitation dans la Grande Salle que ce soir-là. Les élèves racontaient ce qu'ils avaient pu apercevoir, partageaient les rumeurs déjà maintes fois rafistolées par les légendes scolaires. Mais parmi eux, ils n'étaient que trois à connaître la vérité sur ce qu'il s'était vraiment produit.
Le cœur en liesse, Kate traversa la salle pour rejoindre la table où s'étaient assis ses deux amis. Tout était redevenu comme avant. La vampirette n'était plus et la vie reprenait son cours. Arrivant derrière Terry, elle lui enlaça le cou avec une allégresse qu'elle ne put retenir. Elle n'aurait pu supporter l'idée qu'elles grandiraient sans lui, éloignés par cette malédiction que Callidora lui aurait implantée. Pouvoir serrer son ami contre elle la réconfortait. Surpris par ce geste inopiné, Terry y répondit cependant en attrapant les bras de son amie qui étreignait ses épaules, sous le regard favorable de Maggie, assise sur le banc d'en face.
Ils étaient tous les trois sains et saufs, désormais à l'écart du danger. Cet épisode restait gravé dans leur mémoire. En deux exemplaires pour l'une d'entre eux.

— Tout ça, ça m'a donné une faim de loup ! s'attabla Kate, qui n'avait, en réalité, pas mangé depuis bien longtemps, à cause de son retour dans le temps.
— On vient de réchapper aux griffes d'un vampire sanguinaire et la seule chose à laquelle tu penses, c'est à ton estomac ? releva Maggie. Whisper, Diggle déteint sur toi.

Tout en se servant de nuggets, Kate examina les environs, à la recherche d'une certaine personne. Ne la distinguant pas, elle interrogea ses amis :

— Quelqu'un a vu Electra Byrne ?
— La surveillante ? Non ! Et tu sais que personne ne la voit ! Elle est trop discrète ! Elle pourrait être sous la table qu'on ne le remarquerait même pas !

Cependant, Kate ne leur révéla rien de suite. L'endroit n'était pas tranquille et les oreilles indiscrètes étaient légion dans la Grande Salle. Elle attendit donc la fin du dîner pour leur suggérer de rester encore quelques instants sous le préau, éclairé par les torches qui soulignaient les contours des arbres et des buissons de la petite cour intérieure.
Kate ne fit que peu d'impasses sur le récit qu'elle leur rapporta, entre autres la raison de sa mort dans le futur, de la main de Maggie devenue vampire, et la relation qui liait dans cette ancienne réalité les deux amis. Le voyage dans le temps grâce à Orpheus, l'altercation avec Electra, l'histoire du Don, l'équipe de son père à Pré-au-Lard, elle leur exposa tout. Leur scepticisme disparut bien vite lorsqu'elle appuya ses dires de ses preuves, avec le parchemin confié par le journaliste, le foulard rouge autour de son poignet et surtout les débris du Retourneur de Temps.

— Pourquoi c'est toujours à toi que ce genre de choses arrive, Whisper ? fit mine de bouder Maggie.

A côté, Terry demeurait plus soucieux, encore choqué d'avoir appris qu'il aurait été métamorphosé en vampire sans l'intervention miraculeuse et couplée d'Orpheus et de Kate.

— Si Electra est bien la Sorcière Bleue, qu'elle maîtrise l'Immatériel, comme toi... Pourquoi, elle, elle le considère comme une malédiction ?
— Je... peut-être parce qu'elle ne sait pas le contrôler ?
— De ce que tu nous en dis, elle sait très bien le contrôler aujourd'hui !
— Et pourquoi chercherait-elle à te tuer, alors ? rebondit Maggie. Parce que tu lui fais de l'ombre ?
— N-non, je... je ne sais pas ! trembla Kate.

Ses réponses floues lui indiquaient bien à quel point le mystère demeurait encore. Cette altercation lui avait prouvé que son propre Immatériel gagnait de la puissance, d'année en année. Cependant, elle ne pouvait se mentir : elle l'avait laissé la guider dans les moments insoutenables. Elle s'était abandonnée à lui afin qu'il la sauve. Cela avait commencé ainsi pour Electra. Qu'en était-il alors si l'Immatériel méritait cette réputation ? Celle d'une malédiction ?

*** *** ***



Les choses rentrèrent dans l'ordre dans les jours qui suivirent. Avertis, les Nettoyeurs retrouvèrent Amanda Grant, enfermée dans une petite caverne creusée dans la colline de la Forêt Interdite, où Callidora l'avait torturée et piquait régulièrement une mèche de ses cheveux pour prendre son apparence grâce à une réserve de Polynectar, qui lui permettait ainsi d'infiltrer Poudlard sans éveiller les soupçons. Les Nettoyeurs quittèrent les lieux, trio par trio, et Kate ne put saluer son père avant son départ, l'un des premiers à être renvoyé à son poste d'origine, avec l'obligation d'un rapport détaillé concernant les événements qui conduisirent à la mort de Callidora. La vérité ne pouvait être révélée, mais Kate s'en inquiétait bien peu : Phil inventerait un mensonge pour cacher le voyage temporel de sa fille. Elle lui vouait toute sa confiance.
En effet, quelques semaines plus tard, Kate reçut une lettre de Littleclaws, dans laquelle son père lui annonçait, non sans fierté, que son intervention avait été remarquée aux yeux du ministère, quoique qualifiée d'audacieuse. Il avait même reçu une coquette prime pour avoir débarrassé l'Angleterre de cette plaie et promit à sa fille de leur préparer quelques jours de vacances en famille, loin de Carlton. Ceux dont Kate n'avait jamais pu profiter depuis bien des années.

Electra Byrne ne reposa pas le pied à l'école. Si elle inquiéta les professeurs, sa disparition rassura bon nombre d'élèves, qui pouvaient désormais s'adonner à leurs bêtises coutumières. C'est ainsi qu'un beau matin, tous les drapeaux et toiles de Gryffondor avaient troqué leur rouge royal pour un rose fuchsia de goût discutable ; un nouveau coup de Marvin Ledger, cela ne faisait l'ombre d'un doute ! Les plus folles rumeurs couraient à propos de l'évaporation d'Electra, d'autant plus que la directrice n'y apporta pas plus d'explication, elle-même en étant dépourvue. Ainsi, une majorité était persuadée que la concierge avait été un obstacle à Callidora pour entrer dans l'enceinte de Poudlard, qu'elle s'était ainsi débarrassée d'elle et l'avait emmurée dans le couloir du troisième étage. Un excellent moyen d'éveiller les plus sombres histoires une fois la nuit tombée !
Pourtant, Kate connaissait la vérité. Electra s'était enfuie à cause de son échec. Démasquée, Kate pouvait en avertir n'importe quel adulte compétent. Ce qu'elle se résolut à faire le jour où elle en toucha quelques mots à Wolffhart au détour d'une nouvelle autorisation de Quidditch :

— J'ai retrouvé la Sorcière Bleue, lui lança-t-elle sans ambages, ne sachant comment aborder le sujet.
Les épaules de Wolffhart frémirent, signe qu'il en ricanait alors qu'il griffonnait sur un parchemin.

— Laissez-moi deviner, Fraülein. Elle est bleue.
— Oui mais... professeur ! Il s'agit d'Electra Byrne !
— Ich weiss.
— Comment ça, vous saviez ?! saisit Kate.
Cette nouvelle l'estomaqua. Si Wolffhart en avait été au courant, pourquoi ne l'en avait-il pas averti ? Son professeur se leva en soupirant et attrapa le parchemin pour le rouler entre ses doigts osseux.

— Ca, c'est vous qui le savez, Fraülein.
— Pourquoi vous ne m'avez rien dit ?! Elle voulait me tuer ?!
— Et vous êtes morte ? la questionna-t-il en l'étudiant de bas en haut. Dans ce cas, vous imitez fort bien l'adolescente pour quelqu'un qui n'a plus de cerveau en état de fonctionner. Même si l'intelligence doit s'équivaloir...
— J'aurais pu mourir, professeur ! Vous le saviez et vous n'avez rien fait !
— Ja, je suis en tort, Fraülein, mais un homme parfait ne saurait être de ce monde. Ou appartient au passé, dans mon cas.

Il ne manquait vraiment pas de toupet quand il s'agissait de remettre sur le tapis l'excellence dont il ne cessait de se vanter !

— Pour tout avouer, je nourrissais l'espoir d'une nouvelle confrontation, susurra-t-il en s'avançant vers elle, la posture raide. Avant d'éliminer les risques, il fallait collecter plus d'informations sur cette soi-disant Sorcière Bleue. Sa proximité rend la source accessible.
— Et j'ai eu les informations, professeur, rétorqua Kate.
— Ach, et vous ne m'avez rien dit ?! Comment osez-vous me reprocher de vous cacher des vérités si vous en faites de même ! Hm, gut... Dites-moi tout...

Kate devina qu'elle n'obtiendrait pas son autorisation tant que sa langue n'était pas déliée.

— L'Immatériel, elle l'appelle « le Don ». Elle le maîtrise aussi. Mais il a pris le contrôle sur elle et elle a cherché à s'en débarrasser. Ce qui m'échappe, c'est qu'elle a tué ses parents et...

En remarquant la ride supplémentaire sur la mine fermée de Wolffhart, Kate s'interrompit et le questionna d'un regard. Il y apporta son éclaircissement.

— Quand une personne commet un meurtre, il divise son âme. C'est ainsi qu'a procédé celui que vous n'osiez même pas appeler.
— Voldemort ?
— Ja. Sept fois, pour sept fragments d'âme. Qu'il a pu dissimuler dans des objets. Tous les journaux le hurlent désormais, ça en deviendrait de la propagande à l'homicide. Comme beaucoup de leurs articles. Letztlich ist dies jedoch nicht das heutige Thema(1). Si Electra Byrne a effectivement privé ses parents de leurs vies pour lui permettre de se séparer de son âme, de son Immatériel... pourquoi n'y est-elle pas parvenue ?
— Je ne sais pas, professeur, trembla Kate, dérangée par le sujet.
Wolffhart médita quelques secondes.

— Peut-être n'était-ce pas assez suffisant.
— Que voulez-vous dire ?
— Vielleicht, elle doit procéder à un forfait de niveau supérieur.
— M-moi ?
— Eliminer une maîtresse de l'Immatériel est peut-être la clef de sa liberté. Ce qui expliquerait son acharnement. À moins qu'elle ne soit animée d'un désir de vengeance, mais pour quelle raison ?
— Par rapport à Papillombre ?
— Quel rapport avec Papillombre ?

Kate déglutit difficilement avant de lui avouer le lien entre elle et Electra :

— Elle est la descendante de Cliodna.
— Comment le savez-vous ?
— Je le sais, c'est tout. C'est la vérité. C'est... comme ça.
— Voilà qui est intéressant, gronda Wolffhart. Mais dans ce cas... pourquoi n'est-elle pas parvenue à ouvrir Papillombre avant vous si Cliodna, qui serait sa propre ancêtre, en est la gardienne ?
— Peut-être que le Choixpeau ne répondait qu'à l'ordre de la Reine Maëva, j-je... je ne sais pas, professeur ! Je suis perdue !

Elle lâcha un souffle fébrile qui poussa Wolffhart à contenir ses propres questionnements.

— Gut... Je suppose que nous trouverons ces réponses dans un futur plus ou moins proche, Fraülein Whisper. Fraülein Byrne ne restera pas éternellement dans l'ombre si elle cherche à accomplir quelques desseins à votre encontre...
— Cela n'a pas l'air de vous inquiéter plus que ça, grommela Kate. Je suis en danger.
— Prévenez ceux que vous voulez, je ne me priverai pas du plaisir de vous voir vous porter en lâche victime incapable auprès de chaque soi-disant enseignant de cette école. Quelle en sera la résultante ? A quoi vous attendez-vous, de leur part ? Nichts. Nein. Vous nous avez montré à maintes reprises que vous pouvez vous défendre et prendre votre destin en main. Il y aura toujours des gens, des fous autour de vous, pour vous prêter main forte, mais ne déposez pas votre futur sur leurs épaules. Ça serait un fort mauvais placement... Hier, vous n'étiez qu'une enfant, mais demain, vous serez une sorcière. Vous êtes la maîtresse de votre Immatériel, de vos choix et de votre avenir, dès aujourd'hui. Gardez toujours cela en mémoire, Fraülein.

Il lui tendit alors l'autorisation, mais ne la lâcha pas de suite quand Kate vint la saisir. Ses yeux noirs se plantèrent plus encore dans ceux de la jeune fille. Elle se souvenait de ce même regard, qui l'avait dévisagé, alors qu'il agonisait entre ses bras. Comme s'il tentait d'aller plus loin que la simple superficie de son expression, de percer à jour ses émotions. En capter chaque détail, comme parvenant à lire dans ses pensées.

— Danke, Katelyna Whisper.
— Que... pourquoi me remerciez-vous ?
— Vous m'avez sauvé ma vie, est-ce donc si impromptu d'en répondre par un remerciement ?
— Non, non, mais ce n'est pas...

Jamais Wolffhart n'avait remercié quiconque. C'était à se demander s'il avait su un jour utiliser ce mot ! Pourtant, ce jour-là, Kate en fut la destinataire et ce privilège lui fit perdre tous ses moyens.

— Fraülein, sur toutes les décennies qui ont supporté ma présence, un seul sorcier a été en mesure de me secourir. Un sorcier d'exception. Aussi, votre geste salvateur est une prouesse.
Remarquant que Kate commençait à chercher quelle pouvait être l'identité de ce sorcier bien gracié, Wolffhart trouva bon de préciser :

— Bitte verstehen Sie mich nicht falsch(2). Cet homme ingénieux qui m'a permis de vivre jusqu'à là, c'était moi, Fraülein. Une démonstration supplémentaire que toute personne détient un pouvoir sur son avenir. La vie est une bête qu'il faut dompter. Il faut à la fois faire preuve de doigté, de force, de persévérance et de talent. Ne jamais cloisonner son destin : il est question de l'apprivoiser...

Ses doigts s'écartèrent du parchemin, que Kate ramena lentement vers elle, avant de le ranger dans sa sacoche de cours, qui commençait à se fendre et à se trouer au bout de trois années de scolarité.

— Je compte sur vous pour reprendre avec assiduité nos cours communs. Votre Immatériel n'a pas le droit au repos s'il peut vous permettre de vous défendre à tout instant.

Reconnaissante, Kate hocha la tête. Toutes ces paroles l'avaient réconfortée. Et elle connaissait leur valeur, Wolffhart n'étant jamais très expansif sur les compliments et les morales autres que celles qui rabaissaient les élèves au rang de vermisseaux.

— Très bien, professeur, lui sourit-elle, satisfaite. Je serai là.

Ludo Mentis AciemWo Geschichten leben. Entdecke jetzt