Chapitre 48 - Traditions d'Outremer

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Il allait de soi que les gradins allaient se remplir pour le premier entraînement de l'équipe de Quidditch de Gryffondor. Comparée aux autres équipes, à l'exception de celle de Papillombre, beaucoup de ses membres n'avaient pas encore quinze ans, ce qui attisait la curiosité de bien des élèves. Et en l'occurrence, trois d'entre eux appartenaient à la même promotion maintenant que Griffin avait rejoint l'équipe au poste de gardien. Les sélections s'étaient rapidement conclues. Il fallait avouer que le jeune homme regorgeait de talent dans ce rôle, pour lequel il semblait s'être entraîné durant des années.
Kate y avait assisté, comme ce jour du premier entraînement. Mais cet après-midi-là, bien des filles étaient venues grossir les rangs. Des élèves de Poudlard, d'autres de Salem. Et il ne fallait pas aller chercher bien loin la raison de cet attroupement. Certaines étaient parvenues à dégotter les vieilles banderoles déroulées à l'attention de Gareth, le grand frère de Griffin qui avait désormais quitté les bancs de Poudlard, sans même prendre la peine de changer les mentions. Aussi, les broderies défilaient sans fin : « Gale, t'es le meilleur ! ».

Ces niaiseries rendirent Kate amère, ne sachant plus apprécier le moment à sa juste valeur. Elle n'était pas venue pour deviner les commérages qui se chuchotaient. Personne n'ignorait aujourd'hui l'attirance qu'elle avait pour le jeune Gryffondor, et qu'elle partageait hélas avec une bonne dizaine de filles.

— Je n'y connais rien au Quidditch, mais... c'est permis de donner un coup de coude dans le souaffle ?

Kate se tourna vers Terry qui observait l'entraînement à ses côtés.

— Normalement oui. Juste qu'on ne doit pas shooter dedans avec le pied. Sinon, c'est du football.
— Ah, c'est le nom d'une faute ?
— Euh, non. C'est le nom d'un sport moldu.
— Je croyais que les moldus n'avaient pas de balais volants...
— Non, ils n'en ont pas. Ils courent sur l'herbe et shootent dans un ballon pour marquer des buts dans des cages.
— Des cages ? Genre... des cages à animaux ?

Les questions de Terry ne sonnaient jamais comme de la naïveté pour Kate lorsqu'il l'interrogeait sur les mœurs moldues, mais plutôt comme de la curiosité, l'envie d'en découvrir plus sur ce monde qu'il ne connaissait pas.

— Non, des... sortes... d'arches blanches, avec des filets. Pour arrêter la balle.
— Ah, d'accord ! Et ils ont des cognards aussi ? Ou des équivalents ?

Alors que Kate expliquait à son ami les principes du football, un groupe de filles s'installa sur les gradins, deux rangs derrière eux. Aucun des deux ne les remarqua, jusqu'à ce que l'une d'elle ne lance, d'une voix trop haute pour être discrète et inintéressée :

— De toute façon, on ne peut pas vraiment dire que les Anglais sont... des canons de beauté. Avec leur teint rougeaud et leurs manies de bourgeois un peu... comment on dit... obscurantistes.

Stupéfaits, Kate et Terry interrompirent leur conversation pour se retourner vers les filles. Et le regard de la jeune Papillombre croisa celui, malicieux, de la grande blonde, son front engoncé d'un bonnet d'automne rouge et brun. Elle avait la morphologie d'une fille de dix-sept ans qui en réalité en avait trois de moins, avec ce visage bien proportionné, les pommettes saillantes et le regard encadré par de grands cils et des sourcils soignés. Décidant d'ignorer une fois de plus ce genre de bêtise, elle préféra se reconsacrer à l'entraînement. Mais une autre Américaine reprit :

— Sauf le gardien, là. Il est plutôt beau gosse.
— Oui, c'est vrai ! Tout à fait mon genre !
— Grave, c'est ce que j'allais dire ! Toi et lui, vous seriez trop bien ensemble, quoi !
— Tellement ! Puis par rapport à la concurrence, franchement, j'ai pas trop de souci à me faire.
— Tu m'étonnes !
— Ouais. J'espère juste qu'il n'a pas mauvais goût. Ça me fait peur... Parce que des fois, je le vois traîner avec de ces filles. Sérieux, quoi. Le genre de nana, mais comment on pourrait s'imaginer qu'elle sorte avec un mec comme ça quoi ! Qui n'y connaît absolument rien. Ah ! Vraiment... !

Comprenant l'attaque délibérée, de par l'attention particulière et privilégiée que lui consacrait Griffin de temps à autre, Kate se leva en soupirant.

— Tu vas où ? s'enquit Terry, qui avait également entendu des bribes de la conversation sans réel intérêt.
— Respirer. Là où l'air sera moins puant...

Elle adressa alors des yeux indifférents aux deux filles, qui la fusillèrent du regard en silence.

— Reste là, toi, sourit-elle à Terry avec un geste de main, interrompant son action, alors qu'il s'apprêtait à se lever. Tu as encore beaucoup à apprendre sur le Quidditch.

Reconnaissant, Terry hocha la tête. Après tout, il n'était pas ici pour des raisons bien différentes que celles de Kate. Maggie avait été la première à se réjouir de la reprise des entraînements et, pour cause, démontrer toutes ses qualités en tant que poursuiveuse de l'équipe de Gryffondor la démangeait depuis juin dernier. D'autant plus qu'elle s'était exercée une grande partie de l'été, certes seule, dans les grands jardins aménagés de Thinkshold, mais ses progrès n'en étaient pas moins visibles. Ce n'était pas tant pour constater son perfectionnement que Terry assistait à ses prouesses d'entraînement, mais pour entretenir son propre rôle de supporter.

En longeant les berges du lac noir, Kate apprécia un temps le vent frais qui venait du Nord. La brise léchait la surface de l'eau, formant des rides sur l'onde, glissant dans sa direction. Comme si le souffle descendant des grandes collines rougeoyantes tentait de lui parler. Les températures qui baissaient en déprimaient beaucoup, mais Kate savourait cette transition, premier pas vers la saison d'hiver, sa préférée. Car synonyme de neige, de fêtes et de joies partagées, entre amis ou en famille.

Cependant, ce Noël différerait bien des précédents. Certes, des cadeaux l'attendraient sous le sapin, sa mère préparerait un faste repas. Les décorations resteraient immuables, comme cette étoile qui crachait des étincelles au sommet de l'arbre de Noël, de même que les musiques d'occasion. Mais une chaise demeurerait vide autour de la table ce Noël-ci. Elle n'irait pas acheter le sapin avec son père, elle ne choisirait pas celui qui était, selon lui, toujours le plus encombrant, qu'il aurait eu du mal à faire rentrer dans sa voiture, jurant après Merlin qu'un arbre puisse perdre autant d'aiguilles dans son coffre.
Plutôt que de sombrer à nouveau dans la tristesse, Kate sortit dans un réflexe son paquet de cigarettes, tout abîmé et écorné. La marque s'était effacée sur le carton ramolli à force de se frotter dans sa poche. Alors qu'elle porta une cigarette à sa bouche, une voix l'interpella. Elle bondit en pensant qu'il s'agissait là d'un préfet qui la surprenait en flagrant délit.

— Yo, euh, excuse mademoiselle, t'en aurais une à me filer ?

Kate se retourna vers le jeune homme qui était descendu jusqu'à elle sur les rives. Il portait un bandana sur sa tête, un gros sweet gris par-dessus un jean délavé et visiblement trop grand pour lui. Plusieurs fois depuis l'arrivée des élèves de Salem à Poudlard, Kate l'avait aperçu. Jusqu'à présent très discret, le jeune homme semblait se dissocier de ses autres camarades, comme tombé dans un monde de magie qui n'était pas le sien. On aurait pu le croire tout droit issu d'un gang. Ce n'était pas sans rappeler à Kate les voyous qu'elle avait pu voir dans certaines séries télévisées, petits criminels de basse extraction qui vivaient du vol de voiture et de la vente de victuailles illégales. Il portait à son cou une chaise soutenant une petite plaque métallisée.
Après avoir vérifié dans son paquet, Kate lui lança :

— Oui, bien sûr.

Elle lui proposa alors une, qu'il attrapa d'un hochement de tête. Le voir l'allumer avec sa baguette magique, comme n'importe quel autre sorcier, semblait dépasser l'entendement. La scène inhabituelle n'éveilla cependant aucune expression sur le visage de Kate, suspicieuse. En soufflant sa première bouffée de fumée, l'Américain lâcha un sourire.

— Wah, en plus, c'est pas de la daube. Ça fait plaisir...
— Y a pas de quoi.
— J'ai toujours trouvé les cigarettes sorcières dégueulasses. Même les pires pétards sont pas aussi dégueu...

En s'imaginant son interlocuteur fumer une petite fusée de feu d'artifice, Kate haussa les sourcils.

— Du coup, t'es moldue ? lui demanda-t-il, en secouant son bras dans sa manche trop large.
— Non, à moitié, lui expliqua-t-elle sans rentrer dans les détails.
— Et tu te trimballes avec des cigarettes dans ton bahut. Plutôt osé.

Kate haussa les épaules et tira de nouveau sur la sienne. Le jeune homme l'imita, pinçant l'embout entre le pouce et l'index.

— Tu viens de Salem ? demanda Kate, connaissant déjà la réponse mais désirant animer la conversation plutôt que de demeurer dans un silence gêné.
— Ouais...

Sa voix lasse, Kate ne sut comment l'interpréter.

— Je sais pas ce que je fous ici, marmonna-t-il.
— Comment ça ?
— Je préfèrerais rentrer dans ma piaule, ma vraie. Tout ça, c'est pas mon monde à moi.

Il jeta un bref regard sur le château.

— Tu... es né-moldu ? tenta Kate.
— On peut dire ça. Moi, je me dis plutôt né-sorcier.
— Né-sorcier ?
— J'ai rien demandé à personne. Mes vieux, ce sont des gens comme tout le monde, avec un taf comme les gens normaux.
— Tu ne voulais pas devenir sorcier ?
— Je comprends pas pourquoi je le suis. Et encore moins pourquoi... pourquoi on m'impose cette vie.

Les confidences de cet inconnu ne mirent pas Kate mal à l'aise, comme acceptant ce qu'il lui déversait. Quelque part, elle était en position de comprendre.

— La magie, c'est cool, j'ai rien à redire. C'est classe. Mais putain, sérieusement. Si y a du grabuge en bas de chez moi, c'est pas sortir une baguette qui va effrayer trois mecs armés avec des lames grandes comme mon avant-bras, tu vois ce que je veux dire ?
— Oui, oui, je vois...
— Et quoi. Si je veux devenir vendeur dans l'épicerie de mes darons, je peux pas ? Je suis obligé de faire un métier magique ? Je suis obligé de faire des putain d'études ? Au final... quand tu viens d'un milieu de moldu, que tout le monde est moldu autour de toi, tes potes, ta famille, si tu es sorcier, t'es condamné à le rester.

Ces mots firent méditer Kate. Elle n'avait jamais songé s'orienter vers des études moldues, comme sa mère avant elle. Cette possibilité avait toujours été, jusqu'à là, inenvisageable. Car à Poudlard, personne n'enseignait les langues étrangères, si ce n'était les runes, ni la biologie humaine, quoiqu'abordée de temps en temps en potions, encore moins la littérature anglaise ou les mathématiques. Parce qu'elle était née sorcière, des portes avaient scellées avant qu'elle n'ait pu faire le choix de se les fermer elle-même.

— Tu piges ? C'est pour ça que je dis que je suis né-sorcier.
— C'est... intelligent.

En terminant sa cigarette avant elle, l'Américain hésita à la jeter dans la boue avant de se rappeler qu'il était devant témoin. Il l'écrasa alors contre sa semelle et la casa temporairement dans la grande poche de son jean.

— Merci pour la cigarette, mademoiselle, la remercia-t-il sans un sourire.
— De rien.

Il repartit, sans plus de manières, comme si rien ne s'était passé. Kate trembla. Ce genre de rencontre inopinée avec un individu auquel elle n'aurait jamais imaginé adresser la parole auparavant la rendait toujours perplexe. Alors, elle cogita sur les paroles de ce jeune homme dont elle ignorait le nom en terminant sa cigarette. Après tout, comment pouvait-il avoir tort ? S'il désirait suivre la voie de ses parents, qui, au nom de la magie, pouvait l'en interdire ?

Une histoire d'héritage. De responsabilités. De principes. Choisir de suivre les pas de ceux qui ont précédé. Plus elle se le répétait, plus cela sonnait comme une évidence pour elle. Elle avait finalement bien des qualités requises : du sang-froid, des connaissances, un penchant pour les actions et une bonne dose d'imprudence. Quelque part, peut-être ferait-elle plus tard une excellente Nettoyeuse à son tour.
Dans un sourire, elle acheva sa cigarette, l'éteignit et fit rouler l'embout entre ses doigts. Elle avait un nouveau but dans sa vie désormais.

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now