Chapitre 14 - Les manières de Mister Fawley

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Ce jeudi matin qui marqua la première journée de cours pour sa deuxième année à Poudlard, Kate le vécut dans les cachots du château. Il s'agissait peut-être du seul lieu qu'elle regrettait de retrouver. Les odeurs écœurantes, doublées de la chaleur étouffante émanant des multiples chaudrons, enfoncés dans toutes les tables, n'avaient pas terminé de la faire grimacer. Elle ne s'étonnait désormais plus que Slughorn ressemble à un gros asticot cloîtré dans sa pomme, sa peau grasse d'une pâleur verdâtre reluisant à la flamme des torches, seule source de lumière. Son rictus grimaçant, qu'il désirait débonnaire, le rendait plus repoussant encore.

— Bienvenue pour ce premier cours de deuxième année, chers élèves, annonça-t-il en tirant sur ses épaisses bretelles, basculant vers l'avant. J'espère que vous avez passé d'agréables vacances et que vous êtes tous parvenus à vous fournir votre nouveau manuel pour les mois à venir, comme il l'était notifié sur votre lettre... !

D'un geste instinctif, tous mirent la main sur le grimoire ou le rapprochèrent d'eux, sans prononcer le moindre mot.

— Même vous, miss Simmons ? questionna-t-il en passant près de Suzanna, qui s'était déjà forgée une belle réputation.

Cette dernière étira un sourire pincé en sortant son livre de son sac. Un murmure retint l'attention de Kate.

— Elle a peut-être son livre aujourd'hui, mais je suis certaine qu'elle a oublié son cerveau au dortoir... !

Le cœur rongé par une colère croissante, Kate se retourna sur son banc et croisa le regard acéré de Morgana McNair. Sa fureur silencieuse l'empêcha d'en être glacée. Les deux fillettes partagèrent, dans ce nouveau lien de haine, des souvenirs proches, encore béants. Si elle l'avait voulu, Kate se serait empressée d'aller dénoncer Morgana suite à sa tentative de l'an passé et ce genre de provocation, visant ses camarades les plus chers de la part, attisait cette envie. Un sourire sardonique, soulignant sa réussite, se dessina sur les lèvres de la jeune Serpentard, subitement passée du statut d'amie à celui d'ennemie. Maggie, qui remarqua que sa voisine tournait le dos, observa l'échange de regards noirs et attrapa les épaules de Kate pour la forcer à pivoter et à ignorer Morgana.

— N'y prête pas attention... lui chuchota-t-elle. Elle, elle n'a même pas eu la chance de bénéficier d'un cerveau dès la naissance... !

Elles ricanèrent en silence, penchées au-dessus de leurs bureaux, tandis que Slughorn expliquait en quoi consisterait la préparation du jour : une potion d'enflure. Tous eurent à disposition un chaudron et les ingrédients nécessaires. De temps à temps, Kate ne manquait pas de vérifier si elle exécutait les mêmes gestes et techniques que Scarlett, qui avait été désignée d'office comme meilleure élève de potions. Mais l'intérêt que Slughorn portait à sa préparation lui laissa penser que ce dernier tentait une approche subtile :

— Si vous la préparez correctement, cette potion est censée prendre une teinte violette, lui disait-il alors qu'elle écrasait consciencieusement ses graines de cranson dans son mortier. Comme la couleur qui devrait être celle de votre maison...
— O-oui, professeur.
— C'est bien cela, violet ? Je vous vois souvent porter cette couleur en dehors des cours...
— Peut-être, professeur. Je ne sais pas... ! Juste que... j'aime bien le violet !

Slughorn hocha la tête, son menton ne se détachant pas de son cou épais, tandis que Kate, embarrassée, tentait de ne pas trembler en soupesant la quantité de poudre à ajouter dans le chaudron.

— Et donc... vous avez une idée de ce qui aurait pu provoquer cette ouverture impromptue de maison ? Dans votre sang, aviez-vous dit l'an passé.

Il prenait désormais l'affaire au sérieux...

— Oui, professeur...
— Je me souviens bien de votre père, ricana-t-il. Mais votre mère... peut-être est-elle l'une de mes anciennes élèves ? Je ne me souviens plus. Si vous pouviez me rafraîchir la mémoire, miss Whisper... !
— Elle est moldue.

Cette assertion pétrifia Slughorn, ce qui valut l'attention des élèves les plus proches, qui observaient l'échange en toute discrétion. Kate savait fort bien à quoi pensait son enseignant à cet instant précis : le fait qu'un ancien Serpentard ait pu épouser une moldue lui paraissait être une aberration.

— Ce... ce sont des choses qui arrivent ! Vous savez, certains de mes élèves les plus brillants étaient des Nés-Moldus ! Comme la défunte mère de votre bien célèbre professeur, Harry Potter.
« Ça arrive... Genre, c'était un accident regrettable... » pensa Kate.
— Mais voyez-vous, je serai intéressé de connaître vos hypothèses vis-à-vis de Papillombre, en tant que sa créatrice par procuration. Que diriez-vous ? En partager quelques mots autour d'un succulent repas ?

Kate comprenait très bien où Slughorn voulait en venir, le tout gratifié de son sourcil gris rehaussé par-dessus son œil porcin et insistant : elle était désormais une nouvelle invitée pour le bien célèbre club de Slug. Il ne pouvait pas passer à côté d'une telle opportunité. Elle-même avait su, dès l'instant où le Choixpeau avait clamé sur sa tête, qu'elle serait différente et qu'elle attirerait un jour ou l'autre l'attention des gens. Cependant, si elle en parut perturbée, elle n'en était pas mécontente au fond d'elle-même. La petite adolescente qu'elle était ressentait ce besoin d'être reconnue, surtout par ses professeurs, c'était bien naturel.

— Si vous voulez, professeur... !
— Ah non, miss Whisper, si vous voulez, vous ! Je ne voudrais en aucun cas vous y forcer !
— Eh bien... ça serait avec plaisir !
— Parfait ! Vous m'en voyez ravi... !

Puis, il s'en retourna vérifier les préparations de ses camarades tandis que Kate avait du mal à digérer la nouvelle. Elle fut sortie de sa méditation par le coude de Maggie :

— Ta potion est en train de déborder, madame la célébrité... !

Paniquée, Kate tenta de rattraper son erreur, en vain.
A la fin de l'exercice, ils versèrent une goutte de leur préparation sur le dos d'un crapaud attribué à chacun. Celui de Kate éructa une grosse bulle, tandis que celui de Maggie vit apparaître un unique bouton, qui passait inaperçu parmi tous les autres. Le crapaud qui remporta le plus de succès fut celui de Marvin Ledger, qui gonfla et s'éleva dans les airs, comme un ballon d'hélium, jusqu'à heurter le plafond en pierre dans un « CROÂH » troublé, sous le rire hilare des autres élèves.
Lorsqu'ils sortirent du cours de potions pour rejoindre la cour, le temps d'une courte pause, les deuxièmes années se retrouvèrent catapultés au milieu d'une foule d'élèves, rassemblés sur l'herbe. Les gens se poussaient, chahutaient, désiraient d'approcher.

— Il se passe quoi au juste, dans le monde des géants ? grommela Moira qui tentait de sautiller sur place pour distinguer autre chose que des uniformes.
— Je ne sais pas, je ne vois rien, déplora Scarlett, qui s'était aussi haussée sur la pointes des pieds.

Maggie, la plus entreprenante de toutes, tapa l'épaule de l'élève devant elles, visiblement en sixième ou septième année, qui la questionna d'un haussement de sourcil surpris.

— Pourquoi tout le monde est rassemblé ? lui demanda Maggie.

Cependant, la jeune femme aux cheveux platine ne lui répondit pas et dévisagea Kate, immobile à côté de son interlocutrice, avant de s'exclamer :

— Ah, ils te cherchent Whisper !
— M-moi ? hoqueta-t-il. C'est qui « ils » ? Les professeurs ?

Néanmoins, elle ne lui laissa pas le temps de réagir, que l'aînée s'écarta et la sollicita à avancer dans le mouvement de la foule, ballottée comme un vulgaire sac de plumes. Les réactions autour d'elle s'enchaînaient sous son regard perplexe. Certains se voulaient rassurants, d'autres railleurs. Enfin, elle parvint à distinguer cinq sorciers et sorcières, des adultes de l'extérieur à première vue, puisqu'ils ne portaient pas d'uniforme, mais de belles robes colorées. Tous interrogeaient des élèves à la volée. Certains s'étaient munis des fameuses plumes à papote, qui transcrivait tout ce qu'elles entendaient.

— Et donc, vous la connaissez bien ? Vous savez quel genre d'enfance elle a vécu ? La guerre, tout ça ? débitait une jeune sorcière aux longs cheveux bruns, affublée de lunettes et d'un grand chapeau orange, face à un élève de Serpentard à l'air plutôt pédant.

Kate n'écouta pas la réponse, trop troublée par la situation. Un seul nom résonnait dans leurs bouches : le sien.

— Elle est là ! Elle est là !

L'exclamation retentit longtemps et se propagea. Alors que tous se retournèrent vers elle. L'espace d'une seconde, Kate n'entendit que les échos de son propre cœur qui tapait contre ses côtes, avant qu'elle ne soit assaillie par les journalistes.

— Katelyna Whisper ! Quelle joie de vous rencontrer !
— Vous accepteriez de répondre à quelques questions ?
— Une petite photo pour la Gazette du Sorcier !

Le flash qui émana de l'appareil photo éblouit la jeune fille, qui papillonna des yeux, la tête secouée de vertiges, au milieu du chahut assourdissant des autres élèves.

— Qu'est-ce que ça vous fait d'être à l'origine de l'un des plus grands retournements de l'école de sorcellerie depuis des siècles ?
— Eh bien... je...
— Votre question est tout à fait risible ! ricana l'un des journalistes, s'adressant à son collègue avec dédain. Bien sûr que cela ne la laisse pas indifférente ! J'aurais une question plus pertinente pour vous, miss : est-ce vous qui avez choisi le nom de cette nouvelle maison ?
— Non, bien sûr que non... ! C'est le Choixpeau qui a décidé que...
— Aviez-vous eu ce pressentiment que cela allait se passer ainsi, avant la répartition ? Que vous saviez ce qui allait se produire ?
— Mais pas du tout !
— Que pensez-vous qu'il adviendra de Papillombre ?
— Avez-vous trouvé des dortoirs ?
— Comment expliquez-vous que deux élèves, étrangers de surcroît, aient rejoint Papillombre hier ?

Les questions se bousculaient dans la tête de Kate, submergée par le bruit et les émotions. Dans un premier temps, elle chercha un soutien, de l'aide du regard. Une imploration silencieuse, priant que quelqu'un la saisisse. Sa panique prit le contrôle de son corps : elle fit volte-face et tenta de s'enfuir, les larmes saillantes. Cependant, les journalistes ne lâchèrent pas la prise :

— Avez-vous songé à devenir préfète dès la deuxième année ? Pour trois élèves ?
— Pensez-vous lancer des démarches afin que Papillombre soit reconnue par le Ministère de la Magie ?

Culbutée en tous sens, Kate ferma les yeux, grinça des dents et pria pour que tout s'arrête, serrant les poings. Ses jambes tremblaient, menaçant de la faire vaciller sous son propre poids et sur celui des nombreux regards tombés sur elle. Elle avait envie de crier, mais elle avait peur. Elle avait envie de pleurer, mais elle avait honte.

— Laissez-la tranquille !

Un grand bras s'interposa et poussa la petite Kate dans l'ombre d'une silhouette. C'est avec un regard hargneux qu'Eliot fit face aux cinq journalistes, assoiffés de questions, tandis que les élèves s'étaient tus dans la même seconde. Les adultes observèrent un temps avec surprise et profond mépris le jeune homme pour cette interruption. Kate frissonna, retranchée derrière son cousin qui ne cillait pas.

— Vous faites opposition à la couverture médiatique, jeune homme ! s'offusqua la sorcière au chapeau orange, les lèvres pincées. De quel droit vous permettez-vous...
— Et vous ?! De quel droit vous permettez-vous de harceler Kate en plein milieu de l'école ?!
— Vous la connaissez ? s'intéressa le plus vieux des cinq, se voûtant vers lui en plissant les yeux.
— Kate est ma cousine, clama-t-il, furieux, secouant ses mèches châtain devant ses yeux. Et personne ne la touchera ou ne lui posera de question stupide tant que je me tiendrai ici ! Compris ?

Cependant, la réaction des journalistes fut à l'opposé de ce dont il aurait pu s'attendre :

— Vous êtes son cousin ? Du côté de son père ou du côté de sa mère ?
— Vous avez toujours vécu proches l'un de l'autre ?
— N'avez-vous jamais songé que vous auriez pu être en position d'ouvrir la cinquième maison avant elle, étant donné que vous partagez une part de vos origines ?

Et c'est alors que Kate vit les poings d'Eliot se crisper, les veines battantes à la surface de sa peau, qu'intervint un autre élève ; Clive Ollivander se fraya de force un passage bruyant dans la foule pour attraper son ami par l'épaule. Il esquissait sur son visage un sourire forcé et peu rassuré, battant des mains dans un mouvement qui désirait imposer le calme.

— C'est bon, ça suffira pour aujourd'hui, messieurs, dames ! Je suis sûr que vous avez déjà matière à rédiger de bons articles.

Puis il s'adressa discrètement à Eliot dans un sec murmure :

— Maintenant, calme-toi et n'entre pas dans leur jeu !

Le regard complice qu'il tourna vers Kate par-dessus les verres de ses lunettes apaisa ses tremblements alors qu'elle demeurait cachée derrière Eliot.

— Non, pas du tout ! trancha l'une des sorcières, aigrie. Le monde des sorciers mérite de savoir qui est Katelyna Whisper et pourquoi Papillombre a été ouverte ! La nouvelle fera le tour du pays !
— Oui, bien sûr, je veux bien le comprendre, mais vous ne devriez pas épuiser votre sujet dès le premier jour, cela serait fort regrettable pour vos médias, tenta de négocier Clive, habile dans l'art du discours, quand bien même on le sentait mal à l'aise de débattre ainsi devant des journalistes, sous des centaines de regards scrutateurs.

Il se saisit des épaules d'Eliot, paumes sur ses omoplates, et tenta de l'éloigner, avec lui et Kate, de l'emprise des cinq sorciers. Pourtant, le jeune Poufsouffle demeurait pétrifié par la fureur, le regard noir dirigé vers eux.

— Offrez-nous au moins une ou deux réponses, miss Whisper ! tenta le plus jeune en essayant de distinguer le visage de Kate, dissimulé dans l'ombre d'Eliot. Quelques mots et ça sera tout... ! C'est vrai, après tout, nous aurons sûrement l'occasion de nous reparler, mais pour aujourd'hui...

Un mouvement brusque l'interrompit, tandis qu'Eliot soulevait son col avec menace, sous le regard effaré et les cris étouffés des élèves.

— Je vous ai dit « pas de question stupide » ! susurra-t-il entre ses dents, proches du visage du reporter, terrifié par cet accès de colère soudain.
— Eliot, arrête ! cria Kate, apeurée, en tirant le pull de son cousin.
— Mec, c'est bon, ça va aller, lâche-le maintenant, tentait de le raisonner Clive, anxieux. Il ne va pas lui faire du mal, il a compris la leçon...
— Je ne pense pas... Mais peut-être qu'il comprendra mieux ainsi... !

Aussitôt eut-il prononcé ses mots qu'il sortit sa baguette magique dont il enfonça la pointe entre les reliefs de la gorge pantelante du journaliste terrorisé, tandis que ses collègues reculèrent d'un pas, horrifié par la tournure des événements.

— Non, ne déconne pas, Eliot ! l'implorait Clive, hésitant à la lui dérober pour éviter un accident. Ce n'est pas le moment !
— Entfernen Sie sich !

La voix tonitruante de Wolffhart résonna si fort que tous sursautèrent et pivotèrent vers sa provenance. Les élèves n'eurent pas à se faire prier pour s'écarter et lui laisser le passage jusqu'au centre de la foule, avançant dans un pas à la fois rapide et discret, comme un fantôme noir glissant sur l'herbe. Kate ressentait toujours ce mélange d'intimidation et de fascination chaque fois qu'elle posait les yeux sur le visage cireux de son professeur de métamorphose. Les journalistes eux-mêmes demeurèrent de marbre face à cette apparition théâtrale qui avait cloué le bec à tous ceux rassemblés ici ; seul le vent de fin d'été sifflait entre les branches.

— Je vous conseille de lâcher cet incompétent sur le champ avant de vous en salir les mains, jung Mann, lança-t-il à Eliot, qui obtempéra après un dernier regard haineux à l'égard du chroniqueur.

Puis, Wolffhart s'adressa à Kate, qui prit de s'assurance en se redressant, ne craignant plus les importuns en présence de son enseignant, qui ajusta au passage son foulard écarlate :

— Fraülein Whisper, suivez-moi, bitte...

Tous observèrent leur départ, tandis que Kate suivait d'un petit pas véloce et désorganisé le grand manteau en feutre de Wolffhart, qui prit le chemin des couloirs. Un immense soulagement débarrassa Kate de ses paniques, bien qu'elle regretta un instant d'y avoir laissé ses amies et son cousin, qui se retrouveraient certainement en proie des journalistes sans elle... Son professeur ne souffla pas un traitre mot alors qu'ils pénétrèrent dans une petite salle en pierre blanche que Kate ne connaissait pas, remplie de bancs et de tables entassés dans l'oubli. Tout n'était que chaos et poussière, comme si cette pièce n'avait jamais été autre chose qu'une remise à l'abandon dans laquelle on entreposait les vieux meubles depuis le Moyen-Âge.

— Pourquoi m'avez-vous emmené ici, professeur ? trembla Kate en étudiant son environnement.

Ce dernier qui venait de refermer la porte adopta pourtant une toute autre voix, plus douce. Une voix de jeune homme qui ne lui appartenait pas... :

— En réalité, miss Whisper, je ne suis pas votre professeur...

Le visage crayeux du vénérable allemand s'évapora dans un nuage et son grand manteau noir fut troqué, d'un coup de vent, par un ensemble élégant d'un marron tendre. L'homme qui se tenait désormais face à elle ne devait pas même avoir atteint trente ans. Un chapeau beige et raffiné, à l'image de ceux de l'après-guerre moldue, reposait sur ses boucles noires. Il portait une barbe de trois jours, tache de négligence au milieu de ce tableau de finesse qui lui donnait un air plus engageant, et une belle cravate en satin vert émeraude.
Angoissée par une telle métamorphose, Kate s'immobilisa, blême, alors que l'homme lui adressa un sourire amusé, qui ne sembla pas la rassurer.

— Je ne vous veux aucun mal, Miss Whisper...
— Q-qui êtes-vous ?
— Quelle négligence de ma part, j'en oublie les présentations... ! se confondit-il.

Dans un même élan, il s'avança, retira son chapeau d'un geste adroit, avant d'attraper la petite main de Kate à la volée et d'oser la frôler de ses lèvres dans une révérence. Les manières aristocratiques de cet inconnu la perturbaient tout autant qu'elles la charmaient...

— Mon nom est Orpheus Fawley, mais appelez-moi comme bon vous semble.

Il hocha la tête avant de lâcher la main fébrile de la fillette, qui l'observa s'asseoir sur l'un des nombreux bancs cassés, devant une table éventrée.

— Je vous en prie, prenez donc place en face de moi ! l'invita-t-il d'un geste courtois, après avoir posé son chapeau devant lui.

Sur ses gardes, Kate le rejoignit, prudente, et s'assit au ralenti, glissant sur le bois sans détacher son regard de l'étranger, bien maniéré.

— Vous êtes... un journaliste aussi ?
— En effet, confirma-t-il, son regard brun brillant d'étoiles, par-dessus son large sourire, mais me comparer à ces cloportes qui cancanent dehors serait une erreur regrettable... Je ne suis pas de leur espèce...
— Que voulez-vous dire ? Vous pensez que c'est plus... sain d'appâter une jeune fille et de l'isoler dans une pièce abandonnée... ?
— Hmm, certes, je vous l'accorde, mes méthodes ne sont pas réalisées dans des conditions optimales, cependant, je gage que j'en aurais fait autrement si le choix avait été à ma disposition.

Mister Fawley avait le langage aisé, le lien facile. Une faculté qui harponnait son interlocuteur, forcé à l'écouter jusqu'au bout et à apprécier les sourires qu'il laissait entrevoir entre deux phrases. Il enchevêtra ses doigts en un poing sur la table, le regard plongé dans celui de la jeune Kate, désemparée.

— Mes principes et mes buts diffèrent des leurs. Alors qu'ils cherchent le scoop, je déniche l'authenticité. C'est ce qui créé l'attirance, chez le lecteur. Le fait qu'il se sente proche des gens qu'il rencontre au détour d'un article, car il se reconnaît en eux. Un travail de longue haleine. De recherches. Hors de question de bâcler une petite chronique pour satisfaire son supérieur... Non. Faire l'éloge de la légitimité est un exercice de style dont peu comprennent la portée de l'art.

Il poussa un léger ricanement, alors que Kate ne cillait pas, droite sur son assise bancale.

— J'ai eu l'occasion de travailler avec des vedettes. Des sorciers talentueux. Des icônes de notre monde. D'étudier des comportements sociologiques, durant la guerre. Des faits qui nous forcent à voir le monde d'un autre point de vue et ne nous intéresser à la profondeur, non pas à la superficialité, comme ces autres nigauds qui vous ont malmenée dans la cour. Et votre cas, miss Whisper, est pour moi l'une des plus belles opportunités de ma carrière. Déterrer l'un des plus grands mystères de cette école, que tous connaissent, sous le joli minois d'une élève charmante...

Kate ne put s'empêcher de rougir alors que Fawley poursuivait :

— Je me suis désintéressé depuis longtemps au phénomène Potter. Trop médiatique. Trop manichéen, trop... trop... L'excès est l'apanage de la tromperie. Alors que vous êtes une fleur naissante. Rien ne vous prédestinait à cet événement qui a, sans nul doute, changé le cours de votre vie... Et c'est cela qui m'intéresse : votre parcours et vos pensées.

Il se redressa et tapa dans ses mains avant de les écarter.

— Qu'en penseriez-vous, miss Whisper ? Vous serez ma voix, je serai votre plume...
— C'est-à-dire que... je... je ne vous connais pas... Je ne sais pas si j'ai le droit, ou même l'envie, de partager... des faits... privés... ! bredouilla-t-elle.
— Rassurez-vous, je ne compte pas commencer mon investigation ce jour... Je vous laisserai le temps qu'il vous faudra. En aucun cas, je ne vous y forcerai...

L'idée qu'elle soit suivie par un reporter, qui semblait, à première vue, talentueux et plein de ressources, ne la repoussait pas. À l'âge de douze ans, Kate était déjà en position de prétendre posséder son propre biographe...

— J'accepterai... si vous répondez à mes questions, lança-t-elle, plus sûre d'elle.
— Bien sûr, avec plaisir. C'est important qu'un journaliste puisse recevoir lui-même des interrogations qu'il serait susceptible de renvoyer... !
— Comment avez-vous fait... ?
— À quel propos, je vous prie ?
— V-vous... vous avez pris l'apparence de mon professeur ! Vous avez parlé allemand, comme lui ! C-comment avez-vous fait ?!

L'exploit exécuté par Fawley aurait, en effet, stupéfié plus d'une personne.

— Un travail de recherches très important, doublé d'un talent naturel pour la métamorphose, miss. Certains journalistes adoptent des formes animales, pour se faufiler et glaner des renseignements outre mesure, je ne m'abaisse pas à ce genre d'insanité...
— Vous vous transformez sans polynectar ?!
— Hmm, je constate que vous êtes déjà très douée pour votre âge, vous possédez de multiples connaissances qui dépassent pourtant votre niveau !

Les multiples compliments successifs n'eurent de cesse de flatter la petite Kate, qui appréciait de plus en plus ce dénommé Orpheus Fawley.

— Je consens que cela ait pu vous surprendre. Je suis, ce qu'on appelle, dans le langage courant, un métamorphomage. Un don inné que l'on partage dans ma lignée... Je peux changer de physique à volonté. Et il en va sans dire que cette faculté s'avère fort utile dans ma pratique professionnelle. Mais sa maîtrise est d'autant plus efficace si elle est liée à nos connaissances de la personne dont nous prenons la forme.
— Vous connaissez le professeur Wolffhart ?
— Je n'ai jamais eu l'occasion de lui parler en face, mais j'ai effectué des recherches sur lui afin de vous approcher. C'est d'ailleurs ce qui m'a valu ces quelques minutes de retard sur mes collègues qui vous ont assaillis. Pourquoi lui, je ne sais pas, j'aurais pu choisir n'importe lequel de vos professeurs, mais il m'apparaissait comme étant un bon choix de recherche. Tout comme j'en ai fait pour vous.
— Et... qu'avez-vous découvert à mon sujet ? lui demanda-t-elle, curieuse, se dandinant sur son banc en coinçant ses mains entre ses cuisses.
— Assez peu de choses, en somme, vous êtes encore trop jeune. Cependant, j'ai eu l'occasion d'en apprendre davantage sur vos proches... Entre autres concernant votre père, avec lequel j'ai fréquenté la même maison par le passé, et votre cousin, Eliot, qui a bénéficié d'un séjour longue durée à Ste Mangouste suite à la guerre...

Si Kate se montrait fureteuse pour les propos la concernant, le fait que Fawley se soit immiscé au cœur de sa propre famille faisait naître en elle un certain sentiment de malaise. Elle attrapa l'une de ses boucles brunes, qu'elle tripota de ses doigts nerveux.

— Etait-ce Eliot qui vous a pris votre défense tout à l'heure, alors que ces cafards vous importunaient ?

Avec un rictus fugitif, Kate hocha le menton.

— C'est un brave garçon, déclara Fawley. Il en va sans dire qu'il tient à vous...
— Nous sommes de la même famille. Et dans une famille, nous prenons toujours soin les uns des autres... Cela me paraît naturel. C'est normal.
— Et vous avez beaucoup de chance, prenez-en conscience, miss Whisper. Certaines familles se sont entredéchirées pendant la guerre. Des frères se dénonçaient mutuellement, des cousins s'entretuaient au nom d'un idéal, des pères abandonnaient leurs enfants pour suivre les pas d'un mage noir... Aussi, j'admire profondément vos principes familiaux... Beaucoup devraient en tirer une leçon de morale.

Après un court silence, ponctué par le sourire immuable de Fawley, ce dernier sortit sa montre à gousset de la poche de son veston beige et l'ouvrit.

— Dix heures et trente-quatre minutes... Au fait, n'étiez-vous pas censée être en cours ?! Oh, mes excuses si tel est le cas, je me suis laissé emporter par mes ardeurs journalistiques...
— Oh non, non, d'après mon emploi du temps, je n'ai jamais cours entre dix heures et midi les jeudis, cette année, lui assura-t-elle après avoir écourté un instant de panique incertaine.
— A la bonne heure... je vais pouvoir donc vous expliquer ce que j'attends de vous.

Tout en initiant sa démarche, Fawley farfouilla dans l'une des poches intérieures de son veston et en tira un rouleau de parchemin.

— Etant déterminée en tant que future cible médiatique, j'aimerais être à votre disposition pour retranscrire toutes informations vous concernant, qu'elles soient d'ordre publiques ou plus amène à voisiner votre sphère privée. Vous êtes encore jeune et inexpérimentée, mais bientôt, les gens réclameront à connaître votre vie. Car la vie des autres passionne. Ils rêvent d'aventures et de mystères, ce que vous allez leur donner, ceci par une simple expression de vos ressentis et des circonstances que vous serez amenée à rencontrer. Pour être plus concis, miss Whisper, vous me donnez tous les renseignements que vous voudrez vous concernant. Quel que soit le délai, quel que soit le contenu. Ce que vous aimeriez communiquer au monde entier, ce qui vous viendra à l'esprit. Et je me chargerai d'embellir tout ça, de le diffuser si besoin est...

L'offre trop alléchante cachait des choses. Que Kate soupçonna fort vite, méfiante :

— Il y a des conditions, je présume ?
— Vous présumez bien. Vous ne devrez en aucun cas transmettre ces mêmes informations à quelqu'entité journaliste que ce soit, mise à part ma propre personne.
— En gros, l'exclusivité. Je croyais que ça ne vous intéressait pas ? Qu'il fallait laisser ça aux cafards ?

Kate, plus sereine face à Fawley, cherchait ses limites et ses failles, reconnaissant que, bien que l'homme lui paraissait fort sympathique, ce dernier dissimulait certaines intentions, plus proches de sa nature réelle de journaliste peu scrupuleux...

— Je vous parlais du scoop, nuança-t-il en grimaçant, remarquant la ruse naissante de Kate, ici, nous parlons du long terme, afin d'éviter tout doublon malencontreux qui pourrait vous jouer de mauvais tours. Vous savez, si je suis un parangon de la vérité, honnête défenseur des droits des sorciers concernant l'authenticité des transpositions, certains autres de mes confrères n'ont que faire de ce genre d'éthique, tant que leurs papiers font vendre. Et je pense que vous regretteriez de vous retrouver avec deux versions d'une même histoire vous concernant sur les bras... !

Achevant son argumentaire, Fawley déroula alors devant elle un grand contrat que Kate détailla avec des grands yeux écarquillés. En bas de celui-ci était requise sa signature. Dans un nouveau sourire avenant, Orpheus Fawley fit apparaître d'un claquement de doigts une grande plume de paon dans sa main, qu'il tendit à la fillette.

— Votre premier autographe et notre affaire sera réglée. Vous ne serez plus harcelée par ces parasites et vous aurez l'assurance de la véracité des informations circulant à votre propos.

Toute frissonnante, la goutte d'encre menaçant de tomber à la pointe de la plume, Kate réfléchissait. Son regard croisa celui, à peine insistant, de Fawley, la posture penchée pour garder ses yeux à la même hauteur que celle de la jeune fille.

— J'aurais alors à mon tour une condition, déclara-t-elle.
— Quelle drôle d'idée... ! s'étonna-t-il en se passant la pulpe des doigts sur son menton rendant rugueux par sa barbe naissante. Proposez toujours, je suis curieux de savoir ce que vous apprêtez à me soumettre.
— Vous m'aviez dit que vous faisiez énormément de recherches sur les personnes...
— En effet. Et mes sources sont fiables et complètes.
— Si je vous le demande... vous me donneriez des informations ? Sur des personnes en particulier ? N'importe qui ?
— Vous désirez espionner quelqu'un en particulier ?! redoubla-t-il son exclamation amusée.
— Pas tout de suite-maintenant ! bredouilla-t-elle. M-mais... peut-être. Si un jour, j'ai besoin de connaître des choses en particulier, sur une personne. Vous pourriez me donner ces renseignements ?

Fawley se pinça les lèvres et soupira, trahissant sa réflexion et son dilemme.

— Selon les codes et les lois en vigueur, je ne suis pas en position de vous transmettre de telles choses.
— Selon les codes, les lois et le règlement de Poudlard, en vigueur ici, un étranger de l'école n'est pas en position d'exiger quelque chose d'une élève de douze ans qu'il a attiré seule dans une salle abandonnée pour lui faire signer des contrats.

Un sourire, plus amusé et gêné que les précédents, s'étira sur les lèvres de son interlocuteur.

— Vous êtes futée, miss Whisper. C'est une qualité que j'apprécie... Bien. Soit. Si un jour vous avez des questions à propos d'une personne, vous n'aurez qu'à m'envoyer un hibou, à la même adresse à laquelle vous enverrez vos concessions, et je tâcherai d'effectuer les recherches pertinentes pour vous.

Ses yeux se rabaissèrent sur le contrat. Il paraissait déjà plus nerveux...

— Ne traînez pas trop, l'encre risque de sécher, et cela crisse sur le parchemin, c'est fort désagréable...

Après un dernier temps de réflexion, que Kate accentua délibérément, elle afficha un bref sourire, posa la plume et se leva, sous le regard déconcerté de Fawley, avant de balancer son sac de cours par-dessus son épaule. Mais elle prit la parole avant qu'il ne puisse s'en scandaliser :

— Je ne suis pas encore majeure. Je n'ai pas le droit de signer un document officiel. Il me faut une autorisation parentale. Si vous tenez tant à vos articles et à vos exclusivités authentiques, adressez-vous à mon père. Et essayez de le convaincre aussi bien que moi... ! Cependant, soyez prudent... ! Il est très habile avec une batte de Quidditch dans les mains !

Ravie de ses dernières répliques, Kate trottina jusqu'à la sortie de l'immense débarras, plantant là un Fawley pour le moins stupéfait.

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now