Chapitre 42 - Preuves sous escorte

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Il n'existait pas meilleur endroit pour apprécier la lumière des premières étoiles que les collines de Greenfield. L'herbe y était drue, ni trop sèche, ni trop grasse. Ni trop haute, ni trop humide. Le crépuscule conférait des contours dorés aux arbres qui bordaient les layons en terre, grimpant jusqu'au sommet. Depuis la pointe du plus grand monticule, les bruits de la vallée résonnaient par-dessus les multiples lumières de la ville de Carlton, qui s'allumaient tour à tour alors que déclinait le soleil. Les aboiements des chiens, qui se répondaient les uns les autres, ponctuaient quelquefois le silence. Un très lointain clocher sonnait sur le coup de 22h tous les soirs.

À cette même heure passait, de manière quotidienne depuis cinq jours, une ombre rapide, qui fusait dans le ciel. Les rares qui l'avaient capté pensaient avoir aperçu une chauve-souris particulièrement replète, quittant son nid de la ville pour aller chasser des petits mammifères dans les bois de Greenfield. Mais il n'en était rien.

Quand la jeune sorcière posa pied à terre sur la colline, elle tendit l'oreille pour vérifier qu'aucun Moldu ne traînait encore dans les parages. Cette précaution accomplie, Kate s'assit dans l'herbe en soupirant et posa son Fuselune sur ses cuisses. Elle en caressa le manche, qu'elle venait de lustrer dans l'après-midi, appréciant cette odeur de cire à balais qui lui rappelait les vestiaires du terrain de Quidditch, à Poudlard.
Les étoiles s'allumaient une à une, tout comme les pensées dans son esprit apaisé. Il n'y avait que cet endroit, loin de tout, loin de ses tourments et des pleurs d'Abby, qui parvenait à la rasséréner. Cet endroit et les cigarettes de son père. Elle se souvenait du soir suivant l'arrestation de Phil, durant lequel elle avait fouillé en vain dans son bureau dans l'espoir d'y trouver un miracle. Son dernier salut s'était en réalité réfugié dans ce paquet de cigarettes moldues, rangé au fond d'un tiroir.

Depuis une semaine, le petit rituel s'était ancré. Grimpant sur son Fuselune, Kate montait sur le sommet de Greenfield, ouvrait le paquet de cigarettes, en piquait une et l'allumait. Le goût du tabac la répugnait et la faisait tousser plus qu'autre chose. Mais ce geste portait une véritable symbolique. Si pour Phil, il était celui qui marquait les moments de stress, pour Clive la saveur des moments solitaires, il représentait encore autre chose pour Kate. Un petit devoir de mémoire en l'absence de son père. Sans aucun doute serait-il furieux s'il l'apprenait, quand bien même elle aurait tenté de le convaincre que ce n'était qu'un moyen de détente passager. Mais c'était pour la jeune fille une manière de se réconforter. De faire vivre Phil dans ses pensées autrement qu'à travers les douloureux souvenirs, encore trop récents. De se détacher des images marquées au fer rouge, qui ne parvenaient pas à refroidir sur son cœur à vif.

Il y avait eu ces deux sorciers, qui l'avaient arrêté, sur le seuil de sa propre maison. S'en étaient suivi des protestations, de plus en plus violentes. Et Kate criait. Kate pleurait. Se ruant sur les Aurors, elle leur avait agrippé le bras en les suppliant de le relâcher, en vociférant qu'il était innocent. Et Phil lui répétait de s'écarter. Il lui disait d'une voix forte que ça irait. Alertée par le vacarme, Grace avait accouru. Mais elle n'eut le temps que d'apercevoir les sorciers transplaner en emmenant son mari menotté avec eux. Kate était tombée sur le paillasson, sous le poids de ses larmes. Les deux femmes restèrent là, sans la moindre information sur ce qu'il était advenu de Phil. Jusqu'à ce qu'un individu ne vienne à leur rencontre alors qu'il marchait tranquillement dans la rue peu fréquentée d'Owlstone Road. Un sorcier facilement reconnaissable, un Deerstalker sur sa tête qui jurait avec sa cape rouge. Peu de sorciers étaient futés pour se camoufler dans un environnement moldu, ce qui les rendait bien vite identifiables par leurs confrères. Le sorcier les aborda avec nonchalance, ce qui lui valut une certaine réplique ardente de la part de Grace, déroutée, voire déchaînée. Cependant, l'inconnu la recadra bien vite en se présentant.

Gawain Robards dirigeait le département des Aurors depuis déjà presque cinq ans et avait été à l'initiative de l'incident qui venait de se produire sous les yeux de Kate. Il chercha donc à expliquer la situation aux Whisper après que Grace eut accepté, à contrecœur, de l'accueillir dans son salon. La discussion fut tendue, la mère de famille réclamant qu'on lui explique ce qui valait l'arrestation forcée de son mari.

— Merrick MacNair, avait déclaré avec tact Robards. Ce nom vous dit-il quelque chose, Mrs Whisper ?

Il y eut un silence crispé.

— Oui, souffla Grace, qui retenait ses émotions croissantes, alors qu'Abby, ignorante de la situation, jouait avec ses collants.

Le sorcier prit une inspiration en se massant les mains, le regard droit.

— Son corps a été retrouvé il y a trois semaines, dans la périphérie de la ville de Graveson.

Cette nouvelle estomaqua Kate, qui comprit ce qui valut le départ précipité de Morgana.

— Des Moldus ont découvert ses os sur un chantier, avec le reste de ses habits et sa baguette magique. Ce qui a alerté mes collègues de la Brigade de police magique, qui se chargent d'enquêter sur les découvertes moldues. Il a fallu quelques jours pour identifier la victime. Et d'autres encore pour déterminer les causes de sa mort. Le dernier sortilège que Merrick a reçu provenait de la baguette magique de votre mari, Mrs Whisper...
— Je le sais.

La voix assurée de Grace trancha avec le ton diplomatique de Robards. Elle ne cilla pas en lui révélant la vérité :

— J'étais là quand Merrick est mort. Il avait sa baguette collée contre ma tempe. Il m'aurait tuée. Le geste de mon mari était de la légitime défense.
— Je ne cherche pas à savoir ce qu'il s'est réellement passé, l'interrompit-il d'un geste prudent de la main. Je ne suis qu'Auror, je réponds à des directives. Je viens vous expliquer les raisons de l'arrestation de votre époux. Quoique vous me disiez aujourd'hui, cela ne changera pas sa situation...
— Ne changera pas sa situation ? Vous voulez dire qu'elle est immuable ?!

Sentant Grace se hausser, Robards nuança ses propos.

— Je n'ai jamais dit cela. Votre mari aura le droit à un procès. Le Département de la Justice Magique a prévu de le faire passer devant le tribunal lors des semaines à venir. Vous avez un avocat ? Qui est sorcier ?
— Un avoc... ? N-non !
— D'accord. Nous ferons appel à un commis d'office, alors...
— Je veux témoigner, déclara Grace, d'une voix sèche.
— Je crains que cela ne soit pas possible, grimaça Robalds en se redressant sur son fauteuil.
— Quoi ?! Et pour quelles raisons, je vous prie ?

L'Auror eut de la peine à formuler sa pensée.

— Le procès se déroulera au sein du Ministère de la Magie. Il s'agit d'un lieu protégé et...
— C'est parce que je suis moldue, c'est ça ?

Face à son silence embarrassé, Grace préféra en ricaner, les larmes aux yeux, en se pointant du doigt et butant sur ses mots :

— Mon mari est arrêté, j'ai été témoin de ce qu'il s'est passé et je n'ai pas le droit de m'exprimer, de le défendre, parce que je suis moldue ?!
— Je ne suis pas en charge des lois, madame, lui répliqua Robalds, plus sec.
— Je suis une sorcière.

La petite voix de Kate, qui n'était pas intervenue jusqu'à présent, s'éleva et ramena le silence. Les yeux encore gonflés de larmes, elle poursuivit :

— Et j'étais là aussi. Quand Merrick est mort, à Graveson. Si ma mère ne peut pas témoigner, je le ferai.
— Tu es jeune... tenta de la raisonner Robalds. Tu es certaine que...
— C'est mon père. Il m'a sauvé ma vie. Il a sauvé celle de ma mère. Je serai prête à tout. Je veux témoigner.

Ses propres mots résonnaient encore dans sa tête alors qu'elle dégustait une nouvelle vague de fumée qui lui râpait la langue. Elle lui permettait de camoufler le goût de l'amertume et du chagrin. Avec l'arrestation de Phil, les cauchemars étaient revenus, plus intenses encore. La cave de Graveson était redevenue le refuge de chaque nuit. Et il s'y répétait les mêmes tragédies, encore et encore. Les cris de son père, les larmes de sa mère et le rire de Merrick. Pourtant, elle ne désirait pas l'oublier. Car plus la scène serait claire dans son esprit, mieux elle pourrait témoigner. Phil n'était pas un meurtrier.

Comme chassant par ce geste ses pensées brumeuses, Kate souffla une grande volute de fumée. Elle regretta presque de ne pas tenir entre ses doigts l'une de ces cigarettes sorcières, semblables à celle que lui avait fait essayer Clive. Sa mère la tuerait si elle apprenait qu'elle se livrait à ce genre de rituel en cachette. Cependant, Grace n'ignorait pas le fait que Kate prenait la poudre d'escampette tous les soirs et ne pouvait pas le lui reprocher. Depuis la plus tendre enfance de sa fille, elle savait que cette dernière et Phil entretenaient entre eux une relation privilégiée et complice, quasi fusionnelle. L'arrestation, sous ses yeux, de son père avait meurtri Kate. Si peu de temps après leur véritable trêve... Aussi, Grace ne pouvait réprimander sa fille lorsqu'elle partait s'isoler pour savourer ces instants de liberté sur son balai volant, comme si la magie était la seule chose qui lui permettait de la relier à lui. Ils partageaient en effet ce même amour, cette même passion pour le monde des sorciers, un univers duquel Grace était exclue de nature...

Le ciel s'assombrit de plus en plus, plongeant la vallée dans l'obscurité. On entendait les premiers rapaces nocturnes hululer dans les arbres et les mammifères sortir de leurs terriers. Kate avait ainsi un soir aperçu un renard qui avait décampé en trouvant là, de manière inattendue, la petite sorcière. Celle-ci aurait bien tenté de l'appâter avec la lueur ensorceleuse que dégageait son Immatériel, cependant, l'idée d'être arrêtée à son tour pour usage de la sorcellerie en dehors de l'école l'en détourna.

Kate écrasa le mégot dans l'herbe fraîche et le rangea dans sa poche pour ne pas avoir à le jeter en pleine nature. Appréciant une dernière fois l'endroit, sachant qu'elle reviendrait le lendemain, elle soupira. Puis commença à courir dans la descente, chevaucha son balai d'un saut aisé et s'envola dans les airs. Plusieurs jours lui avaient été nécessaires pour maîtriser cette action, ses premiers essais s'étant soldé de gamelles mémorables. La déclive en gardait d'ailleurs un souvenir, à sa longue tranchée privée d'herbe, là où Kate avait dérapé, le nez dans la terre.

Le regard dans le croissant de Lune, Kate vola dans la nuit de plus en plus froide. Elle aimait jouer sur le chemin du retour, profitant des ténèbres qui lui permettaient de rester inaperçue, pour slalomer entre les antennes satellites placées sur les toits des maisons de Carlton. La lumière était restée allumée dans sa chambre aux murs menthe-à-l'eau, la fenêtre entrouverte. Atterrissant en douceur sur le rebord en pierre, elle se glissa à l'intérieur de la pièce, son Fuselune en main, le manche devenu glacé. Elle se dirigea vers son armoire, sur laquelle étaient placardées des photos animées de ses amis et des joueurs de l'équipe des Pies de Montrose, pour l'y ranger. Quand un bruit attira son attention. Une discussion. Il y avait des gens au rez-de-chaussée.
À une heure aussi tardive, cela intrigua Kate, qui sortit dans le couloir et descendit les escaliers en tendant l'oreille. Elle ne connaissait pas la voix de cet homme qui parlait à sa mère dans le salon.

— Maman ?

Franchissant la porte vitrée, trois regards convergèrent vers elle. Celui de sa mère, assise dans le canapé, de ce sorcier, tout vêtu de violet, un haut-de-forme de la même teinte posé sur ses genoux, installé dans le fauteuil d'en face, et du jeune homme debout à ses côtés. Le cœur de Kate se mit à battre plus fort lorsqu'elle reconnut son ami. Elle courut vers Terry et tous deux partagèrent une longue étreinte. Être serrée par les bras d'un homme lui donnait l'illusion d'être blottie dans ceux de Phil. Les larmes lui montèrent aux yeux. Cependant, elle hoqueta en remarquant l'expression de surprise camouflée de Terry : il devait avoir senti l'odeur de la fumée sur ses vêtements.

— Que fais-tu ici ?! l'interrogea-t-elle, toute émue par sa présence.
— On est venus te chercher, lui sourit Terry, touché par le bouleversement de son amie, chassant son expression étonnée.
— Me chercher ?

Au même moment, Grace et le sorcier se levèrent de leurs sièges. Ce dernier, de taille fort modeste, inclina plusieurs fois sa tête aux cheveux grisonnants pour saluer la jeune fille.

— Kate, c'est un honneur de te rencontrer. Terry m'a beaucoup parlé de toi.
— Vous êtes son...
— Son père, oui !

Kate se félicita qu'il eût terminé sa phrase à sa place alors qu'elle s'apprêtait à suggérer « grand-père ». En effet, Dédalus Diggle, par sa constitution rabougrie et son visage barré de rides, quoique souriantes, ne semblait pas avoir de lien direct avec Terry, plus haut de bien deux têtes. Elle camoufla alors sa surprise en bredouillant sa question répétée :

— Pourquoi vous... vous venez me chercher ?
— Le procès de ton père a été avancé, lui expliqua Grace, la mine fatiguée et les bras croisés contre elle.
— Avancé ?! À quand ?
— Après-demain, précisa Mr Diggle en pinçant l'arrête de son chapeau avec ses mains. Les dates sont très changeantes, au Ministère... Je suis chargé par le Ministre lui-même de t'escorter jusqu'à Londres cette nuit, pour que nous puissions préparer ton passage devant le tribunal jeudi matin.

Prise au dépourvu par cet imprévu, Kate s'affola en secouant la tête :

— Mais... je ne suis pas prête ! Mes valises ne sont pas faites ! Et puis, où je vais aller ? Je n'ai pas beaucoup d'argent sorcier sur moi, je ne sais pas où l'a rangé mon père. Je ne vais pas pouvoir payer une nuit au Chaudron Baveur... !
— On peut t'accueillir chez nous, Kate, lui dit Terry, conciliant. C'est prévu. On n'habite pas très loin du Chemin de Traverse. C'est pour ça que c'est nous qui sommes venus te chercher.

Cette nouvelle étonna Kate, elle qui s'était habituée à croiser Terry au Chaudron Baveur les derniers étés. Pourquoi y prenait-il une chambre alors que sa famille habitait vraisemblablement dans la capitale ?

— Ce n'est pas grand et pas très commode, on comprendra que tu ne veuilles pas rester éternellement si le procès se prolonge, ricana Mr Diggle dans une voix qui vira dans les aigus. Mais on pourra t'avancer sans problème des nuits au Chaudron Baveur. Ça ne nous dérange pas... Le principal, c'est que tu sois présente.

Grace approuva ses dires d'un hochement de menton.

— Va préparer tes bagages, Kate, lui conseilla-t-elle. J'ai laissé ton linge propre dans la buanderie, si tu en cherches.
— D'accord, maman...
— Je viens avec toi, l'accompagna Terry.

Les deux amis quittèrent le salon et se dirigèrent vers la cuisine pour la traverser.

— Je suis contente que tu sois là, soupira-t-elle, à l'écart des adultes restés dans le séjour.

Témoignant son soutien, Terry passa son bras autour des épaules de Kate alors qu'ils traversaient la cuisine pour atteindre la buanderie.

— Et moi d'être là. Quand Shacklebolt a demandé à mon père de venir chez toi pour t'emmener à Londres, je n'ai pas trop hésité à l'accompagner... C'est mieux que les lettres.
— Oui...

Cela ne faisait que dix jours que les deux amis s'étaient séparés, mais pour Kate, cela avait paru être une éternité. Chaque rentrée de retrouvailles, ils semblaient se redécouvrir, car deux mois suffisaient pour laisser opérer de grands changements chez les adolescents qu'ils étaient. En dix jours, aucune évolution n'était notable chez Terry. Pourtant, ce dernier constata que Kate avait, de son côté, bien changé : de profonds cernes creusaient ses orbites, son visage était plus pâle qu'à l'habitude, ses paupières plus lourdes, son sourire évanescent.

— Comment tu te sens ? se soucia-t-il alors qu'elle triait ses habits sur la table de repassage.

Kate répondit après un temps de silence :

— Mal... Mais ça passera. Je suppose.
— Et... la cigarette aussi, ça passera ?
— Ah, ce n'est pas parce que mon père n'est plus là que tu dois t'y mettre ! C'est juste une par soir. Je ne vais pas en mourir.
— Il aurait mieux valu que tu ne commences jamais.
— Oh, c'est bon, arrête avec tes morales !

Agacée, Kate quitta la buanderie, les bras chargés de linge, alors que Terry la rattrapa, tentant de se faire pardonner.

— Je ne voulais pas te vexer ! chercha-t-il à s'expliquer alors qu'il la suivait dans l'escalier.
— Je sais, je sais... soupira Kate en se dirigeant vers sa chambre. Laisse tomber, tu veux ?

Terry, qui découvrait pour la première fois l'antre de la jeune fille, étudia la pièce, placée sous le toit penché. Il ne put s'empêcher de rire alors que Kate s'agenouilla pour extraire sa valise d'en-dessous du lit, Mister Minnows relevant la tête alors qu'il avait piqué un somme sur l'oreiller.

— N'essaie pas de me faire croire que tu as fait dormir Maggie Dawkins par terre dans cette chambre, pour le Réveillon, ricana-t-il.
— Je lui ai prêté mon lit. Mais je pense qu'elle était prête à réclamer le lit double de mes parents ! Au final, elle s'y est faite ! Elle n'avait pas trop le choix. On ne peut pas faire le poids à côté de son manoir, d'un côté. Puis ma chambre n'est pas forcément la plus incroyable qui soit...
— Si ça peut te rassurer, ma chambre est encore plus étroite.

Un temps, il observa Kate ranger ses affaires dans sa valise, tout en jetant des coups d'oeil sur les photos accrochées sur son armoire, s'y reconnaissant sur certaines. Elle ne cilla pas, ne lui adressa pas la parole, concentrée dans sa tâche.

— Je vais t'aider, lui proposa-t-il alors qu'elle portait son bagage à bout de bras pour sortir de la chambre.
— Bas les pattes. Ce n'est pas parce que je suis une fille que je ne peux rien faire.

Attentive aux marches, elle rejoignit alors les adultes, restés dans le salon, et se présenta à eux avec sa valise.

— J-je suis prête, souffla-t-elle.
— Parfait ! la félicita Dédalus. Comme vous n'avez pas de cheminée, j'ai créé un Portoloin. Nous partons d'ici une poignée de minutes.

Ledit Portoloin était posé en travers de la table. La brosse de toilettes n'était pas du meilleur effet ainsi disposée au milieu du salon.

— Une brosse à chiottes ?!
— Oui, hmm, il me fallait quelque chose, n'importe quoi. Ta mère m'a dit que vous en aviez plusieurs ! J'ignore quel est son usage, c'est typiquement moldu comme appareil... ! On dirait un balai pour gnome.

Derrière lui, Grace en riait doucement. Les sorciers n'étaient jamais au bout de leurs bizarreries. Même si elle avait déjà transplané à plusieurs reprises, Kate n'avait jamais utilisé de Portoloin de sa vie. Cette perspective l'effraya.

— Et c'est... comment on fait ?
— Oh, c'est très simple, tu verras ! la rassura Dédalus.
— Je vous rappelle qu'il est tard et que plus vous resterez ici, moins vous dormirez !

Le sorcier en violet sortit de son veston sa Mentromention qui venait de s'exclamer d'une voix criarde et tapota sur le couvercle avant de la secouer, martyrisant ses ressorts et ses engrenages.

— Tais-toi donc, rabat-joie !

Cela n'étonna pas Kate que les Mentromentions des Diggle finissent par devenir dépressives si elles écopaient d'un tel traitement ! La jeune fille s'avança donc vers sa mère qui l'étreignit fort contre elle, lui embrassant le front, presque au même niveau que le sien.

— Tu es courageuse, ma chérie...
— Je fais ce que je dois faire, maman.
— Prends soin de toi. Je t'aime. Et si tu vois ton père, dis-lui que je l'aime aussi...
— Promis.
— Ca va bien se passer... Ca va bien se passer...

Grace se répétait ses mots, comme pour s'en convaincre, alors qu'elle berçait sa fille aînée contre elle.

— Je t'enverrai une lettre quand je peux, demain, lui déclara Kate en s'écartant. Ou si je trouve une cabine téléphonique.
— On a un hibou à l'appartement, précisa Terry.
— Il faut qu'on y aille, les pressa Dédalus Diggle, sans paraître affolé. Le Portoloin va partir sans nous sinon. Venez, les enfants, autour de la table, à genoux.

Après avoir partagé un regard avec son ami, Kate s'exécuta et analysa avec circonspection la brosse.

— Attrapez-la. Et surtout, ne la lâchez pas. Le départ est imminent !

Les yeux de Kate croisèrent ceux, rougis, de Grace. Une détermination s'accrut en elle. Elle se promit que la prochaine fois qu'elle reviendrait à Carlton, ça serait avec son père. Sa mère ne pouvait pas rester seule. Elle-même ne pouvait pas rester seule. Dédalus comptait à rebours les secondes restantes en se basant sur sa mentromention alors que Kate avait empoigné le manche de la brosse.

— 7...6...5...

Puis, ce fut le regard de Terry qu'elle croisa. Ses yeux bruns n'avaient eu de cesse de la rasséréner, comme si ce seul contact lui permettait de partager un morceau de sa paix intérieure. Elle rapprocha ses doigts des siens, pour se rassurer vis-à-vis de ce déplacement qui l'angoissait.

— 2...1... !

Une vibration émana de la brosse, qui s'éclaira d'une lumière bleue, et parcourut le bras des trois sorciers.

— C'est parti !

Aussitôt Dédalus eut-il terminé sa phrase qu'une brusque sensation arracha Kate à la réalité. Il lui semblait qu'un gros hameçon s'était planté dans son nombril, trimballée dans l'espace au bout d'un fil de pêche invisible. Elle ferma les yeux pour éviter de régurgiter son dîner, la bouche encore râpeuse du goût âpre de la cigarette. Lorsque l'univers cessa d'orbiter autour d'elle, elle rouvrit les paupières à temps pour aborder les froids pavés. La soudaineté de l'atterrissage lui pesa sur ses genoux.

— Nous sommes bien arrivés, parfait ! s'enthousiasma Dédalus en balayant d'un regard la cour intérieure d'un ensemble de vieux immeubles. Rentrons maintenant, il est tard !

Cette fois-ci, Terry ne demanda pas la permission à Kate avant de se saisir de la poignée de sa valise pour la porter à sa place, alors que la jeune fille contenait ses vertiges qui l'empêchaient de marcher droit. Son chapeau haut-de-forme sur sa tête, Dédalus emprunta un passage étroit et putride, avant de déboucher sur une large rue passante et lumineuse.

— Bienvenue sur Irving Street !

Des bars et des terrasses de restaurants débordaient sur les pavés. À cette heure-là, les derniers clients terminaient leurs desserts alors que d'autres commandaient leur première boisson de la longue soirée animée. L'été et les vacances donnaient une atmosphère festive à cette rue piétonne de Londres, bruyante, souvent entrecoupées de rires.
Les vêtements atypiques portés par Dédalus ne manquèrent pas d'éveiller les moqueries de certains jeunes adultes, qui déambulaient dans la rue.

— Hé, papi, c'est pas encore Halloween !
— Oui, oui, bonne soirée à vous aussi, jeunes gens ! leur lançait-il alors d'un ton débonnaire, soulevant son haut-de-forme pour les saluer.

Terry ne réagissait pas face aux railleries de certains passants vis-à-vis de l'accoutrement de son père. L'avis des gens lui avait souvent peu importé. À vrai dire, il ne s'y était jamais fié, qualité que Kate avait toujours appréciée chez lui. Les histoires de réputations et les rumeurs, faits divers chez les adolescents de son âge, n'intéressaient pas Terry. L'opinion des autres ne l'empêchait pas de vivre comme il l'entendait, avec qui il le voulait.

— C'est ici.

Ils tournèrent devant un restaurant peu occupé. Deux bâtiments différaient des immeubles voisins, tous parés de briques ; le premier paraissait quelconque, sans fioriture décorative, et le second, plus élégant, encadrait des fenêtres en ogive avec de discrètes colonnades bleutées et sculptures de têtes sur ses deux derniers étages.

— Nous, en fait, on habite dans cet immeuble-là, au cinquième étage, lui désigna Terry en pointant le bâtiment rouge encore plus à droite, orné d'un A en pierre sur sa devanture. Juste qu'il n'y a qu'une seule porte d'entrée pour les trois bâtiments.
— Cinquième étage ? s'interrogea Kate, alors que la dite bâtisse n'en comportait que quatre depuis l'extérieur.

Elle ne se questionna pas plus, croyant le dernier étage plus en retrait et pas visible depuis la rue. Après l'ouverture de la porte par un code, les trois sorciers pénétrèrent dans l'arrière-cour et la traversèrent pour atteindre l'entrée du troisième bâtiment. L'intérieur ressemblait en tous points à n'importe quel immeuble moldu. Des chats gambadaient sur les balconnets, les poubelles s'amassaient devant la porte de la cave et quelques mégots de cigarettes et bouteilles vides de bières témoignaient du passage d'un groupe de jeunes qui avaient passé du temps ici un soir dans la semaine. En balayant d'un rapide coup d'œil les plaques des boîtes aux lettres, Kate ne trouva pas le nom des Diggle.
Ils gravirent les étages, de plus en plus difficilement pour Kate, qui traînait les pieds dans la cage d'escaliers éclairée de manière sinistre. Elle souffla en atteignant le quatrième étage... qui était pourtant bien le dernier. Le pallier poussiéreux débouchait sur un dernier appartement mais ne montait pas plus haut.
Alors qu'elle s'apprêtait à interroger son ami, Dédalus attrapa la rampe et en fit coulisser un tronçon. Des marches se matérialisèrent au-dessus du vide, dans la continuité de la brèche.

— Allez, courage, plus qu'un étage, lança-t-il à Kate alors qu'il montait le premier.

La porte d'entrée des Diggle était incrustée dans le haut mur, seulement accessible et visible depuis ces escaliers magiques. Dédalus inséra une grosse clef en cuivre dans la serrure de la porte d'entrée et la déverrouilla.

— Voilà ! Fais comme chez toi !

Premier à rentrer chez lui, le père fut abordé par un porte-manteau enchanté qui l'aida à se décharger de son grand manteau violet et de son haut-de-forme. Lorsqu'il eut terminé, il se dirigea vers elle, qui eut un mouvement de recul face à cette ossature de bois surmontée d'un chapeau qui l'invita à lui donner sa veste.

— T'inquiète, il ne mord pas, ricana Terry derrière elle, éreinté d'avoir porté la valise de Kate sur cinq étages.
— Je veux bien te croire, il n'a pas l'air d'avoir de dents ! répliqua-t-elle.

L'appartement des Diggle, bien qu'il soit magique, remplissait l'espace des combles. Le plafond était bas, les charpentes suintaient de leur décrépitude. L'endroit n'était pas invivable, mais pour Kate qui pensait son propre foyer encore légèrement délabré par rapport aux normes, ce fut la preuve apportée que sa maison n'était pas si modeste qu'elle y paraissait. On ne pouvait pas passer à deux personnes dans le couloir, enjambant certaines gazettes qui s'étaient envolées jusque là. En passant devant la salle de bain, Kate crut qu'un arc-en-ciel s'était écrasé dans la pièce. Des coulures de potions et d'onguents avaient repeints les meubles sous le lavabo fissuré et tellement de produits différents avaient été utilisés dans la baignoire que sa couleur d'origine n'était pas même imaginable.

— Allez donc vous coucher les jeunes. Il est tard et demain est une longue journée...
— Viens, Kate, la sollicita Terry en passant devant elle avec difficulté. On n'a pas de chambre d'amis, mais je vais te faire dormir dans la mienne, il y a un peu de place. Bonne nuit papa.
— Oui, bonne nuit fiston.
— Bonne nuit Mr Diggle ! Et merci pour tout.
— Il n'y a pas de quoi ! lui sourit-il dans l'encadrement de la porte de leur petit salon, plongé dans les ténèbres. Bonne nuit, jeune fille. Ne ressasse pas trop de sombres pensées, les nuits ne sont pas faites pour ça.

Face à son rire, Kate hocha la tête et suivit Terry jusqu'à sa chambre. Une partie du papier-peint ocre avait été arrachée, les lacérations camouflées par l'empilement de ses affaires, bagages, livres et autres instruments magiques qu'il n'utilisait qu'à Poudlard. Ainsi, ses écharpes aux couleurs de Poufsouffle s'étaient retrouvées dans son chaudron, lui-même suspendu à une poutre qui avait été visiblement sciée pour libérer de l'espace en hauteur. En effet, Terry était déjà si grand qu'il devait constamment se baisser pour ne pas avoir à cogner la charpente. Au centre de la pièce, un grand matelas donnait l'accès sur toutes les armoires et étagères. Le seul endroit que l'on aurait pu croire libre au sol avait été comblé par un matelas de fortune que Kate lui crut réservé.

— Tu seras mieux dans mon lit, lui proposa Terry, il est plus grand.
— Tu ne vas quand même pas dormir là-dessus ! objecta Kate en lui désignant le matelas rabougri, incertaine que son ami rentre dedans en largeur.
— Tu as besoin de repos, plus que moi, Kate. Et puis, c'est la moindre des choses, tu es notre invitée. C'est pas le grand luxe ici, ce n'est pas comme chez Maggie, alors si je peux faire au moins quelque chose, c'est bien ça. De toute façon, je ne te laisse pas le choix !

Après qu'elle se fût brossé les dents dans le lavabo multicolore et qu'elle se fût changée pour la nuit, Kate retourna dans la chambre.

— Ta mère n'est pas là ? interrogea-t-elle Terry qui ouvrit la fenêtre pour aérer la pièce avant qu'ils ne se couchent.
— Elle travaille. Ses horaires changent beaucoup. Mais aujourd'hui, elle est de nuit.
— Mais elle fait quoi ta mère ?
— Elle est aide-guérisseuse à Ste Mangouste. Ça lui plaît beaucoup. Mais bon... c'est pas évident pour nous de pouvoir se retrouver tous les trois ! Entre Poudlard, les missions de mon père et les gardes de ma mère...

Kate gagna le lit que lui avait alloué Terry et explora ce qu'il s'y trouvait autour. Entre autres un amas de parchemins. Terry ne tarda pas à remarquer cet intérêt qu'elle portait sur ses lettres.

— Hey, ne fouille pas !
— Ca en fait un paquet, de lettres ! Et je suppose qu'elles ne sont pas toutes de moi ! T'as des nouvelles de qui ?
— D'un... d'un peu tout le monde !
— Hinhin. C'est sûrement pour ça que je reconnais l'écriture de Maggie sur 90% d'entre elles... !
— Ne regarde pas !

Cette réaction ne manqua pas d'éveiller les soupçons taquins de Kate.

— Pourquoi ?
— Parce que ce ne sont pas tes lettres ! rétorqua-t-il.
— Oui mais... tu as cherché à me cacher que c'était celles de Maggie. Pourtant, je suis votre meilleure amie ! Quand même !

Le silence de Terry poussa Kate à l'interroger.

— Concrètement, Terry... tu ressens quoi pour Maggie ?
— Pourquoi tu dois toujours être obsédée par ça ?! Allez, il est tard...
— Arrête de fuir le sujet ! Terry, dis-moi !

Sa voix s'était faite plus douce. Assis en tailleur sur son lit improvisé, Terry soupira et se lança sur ce terrain propice aux confidences.

— Je... je ne sais pas ! D'un côté, je sais qu'elle a des sentiments pour moi, mais ce n'est pas comme si ça me gênait. Cependant, je ne peux pas dire que c'est la même chose pour moi.
— Pourquoi ?
— Je... je ne l'aime pas, je crois. Je tiens à elle, j'adore discuter avec elle. Sans elle, mes journées seraient bien mornes et bien tristes. Mais je ne me vois pas avec elle. On est trop différent. C'est pas comme avec Penny.
— Je ne comprends pas... Pourquoi alors tu as préféré quitter Penny plutôt que de laisser Maggie ?
— Peut-être parce que je suis plus heureux avec l'amitié de Maggie qu'avec l'amour de Penny ? sourit-il en haussant les épaules. J'aurais dit ça à Maggie, elle se serait imaginé des choses. C'est pas ce que je veux.
— Et si tu essayais de sortir avec Maggie, pour voir ? lui suggéra Kate. Je suis certaine qu'il pourrait se passer quelque chose.
— Tu tiens vraiment à nous mettre ensemble ! préféra en rire Terry.
— Tu sais, l'année dernière, quand je suis allée chez Maggie et qu'on a parlé, un peu comme on le fait en ce moment, elle m'a dit exactement la même chose. Et regarde où ça en est aujourd'hui, de son côté. Pourquoi ça ne pourrait pas marcher ?

Terry réfléchit en se balançant d'avant en arrière, se tenant les pieds, leurs plantes entrecollées.

— On est trop différents.
— La différence n'est pas une excuse, au contraire ! clama Kate.
— Tu imagines la grande Maggie Dawkins, avec ses chaussettes en or massif, sortir avec un mec comme moi ?
— Oui, je le pense. Et Maggie elle-même aussi. A deux contre un, tu perds pour l'instant.
— C'est... trop risqué. Je ne veux pas que ça termine comme avec Penny. Je préfère mettre toutes les chances sur une amitié qui durerait, plutôt que sur une relation vouée à couler.

Puis, agacé, il soupira.

— Ecoute, je suis fatigué, je vais dormir. Pense à éteindre la lumière avant de te coucher. Bonne nuit, Kate.

Sur ces mots, pourtant prononcés de manière conciliante, Terry se glissa sous son drap et lui tourna le dos. Embarrassée de s'être brouillée avec son meilleur ami pour la deuxième fois de la soirée, Kate se mit à plat ventre sur le matelas et rampa jusqu'à lui, lui grattant l'épaule lui réclamer son attention.

— Je suis désolée, Terry, je ne voulais pas te blesser...

Le jeune homme roula sur sa couche et la dévisagea. Son air sincère le fit sourire. Puis, son expression redevint neutre et il chuchota :

— Tu le penses vraiment ?
— Quoi ?
— Que je devrais sortir avec Maggie ?

Un rictus amusé s'étira sur les lèvres de Kate. Malgré ce qu'il lui avançait de manière presque catégorique, il ne pouvait s'empêcher d'y penser.

— Je suis votre meilleure amie, je vous connais, lui murmura-t-elle, presque maternelle. Ça serait dommage que vous vous tourniez autour pendant des années alors que ça aurait pu marcher depuis le début. Et à force de me fréquenter, tu devrais le savoir ! Vivre, c'est prendre des risques !

Son rire s'estompa alors qu'elle détourna son regard vers le monceau de lettres, pensant que le même attendait chez elle.

— Il faudra que j'envoie une lettre à Griffin, demain, soupira-t-elle, chagrinée. Il va m'en vouloir de ne pas lui répondre...
— Je pense qu'il peut comprendre ta situation, la rassura Terry. S'il t'en veut... c'est qu'il pense complètement de travers ! Ne te soucie pas pour ça. Demain, tu auras le temps. Je pourrais même te mettre à disposition Hiccup. C'est notre hibou.
— Merci, Terry... Je... je ne sais pas ce que je ferais sans toi.
— Tu ne parlerais probablement pas, à l'heure qu'il est, mais tu serais en train de pioncer !
— Quel pragmatique, celui-là... ! Allez. On ne devrait pas tarder. On va le regretter demain, sinon... Bonne nuit, Terry.
— Bonne nuit, Kate.

Après un dernier échange de sourires, Kate retourna à son oreiller, éteignit la lumière et se réfugia dans les draps, alors que l'air chaud et bourdonnant de la rue caressait son visage.

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now