Chapitre 21 - La Sorcière Bleue

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Le cri coincé dans la gorge de Kate la lui lacérait. Malgré ce qu’elle venait de vivre et la terreur qui continuait de faire battre son cœur comme jamais auparavant, elle fit passer ses valeurs avant son instinct de survie. Elle dévala la pente avec précaution, se rattrapant à des mottes saillantes de terre friable, avant d’arriver jusqu’à Eliot. Plus loin, le Veaudelune, sonné, se redressa sur ses pattes grêles et dépourvues de pelage, avant de bondir jusqu’à elle.

Affolée, Kate s’accroupit aux côtés du corps inanimé de son cousin. Il ne pouvait pas être mort. Elle n’était pas une meurtrière ! 
Comme négligeant le fait qu’il avait essayé d’attenter à sa vie, Kate lui agrippa le bras et le secoua légèrement :

— Eliot ! couina-t-elle, terrorisée. Réveille-toi !

Mais le jeune homme ne manifesta nulle réaction. Il semblait s’être rendormi, retourné à l’état comateux que Kate avait si bien connu avant qu’il ne reprenne conscience en août dernier. Se penchant au-dessus de lui, elle perçut pourtant le souffle court et très faible qui s’échappait des narines d’Eliot. Ce fut au tour du Veaudelune d’agripper la manche de la jeune fille et de la tirer en arrière, comme tentant de la séparer de son cousin. Comme elle ne comprenait pas, il émit quelques grincements plaintifs et sifflants, plus insistants.

— M-mais, je ne peux pas le laisser là ! larmoyait-elle en se levant, un peu contre son gré, les jambes encore toutes tremblantes. Je ne peux pas l’abandonner !

Le cri plus strident du Veaudelune, qui la fixait de ses grands yeux globuleux lui rappela qu’Eliot voulait la tuer. Voulait la ramener. Mais à qui donc ? N’écoutant que les présages de son cœur fébrile, Kate se remit à courir dans la forêt, suivant les traces que laissait le Veaudelune en détalant dans de grands bonds en zig-zag. Elle devait survivre coûte que coûte. Et elle s’en remettait à cette petite créature inconnue qui venait de lui sauver la vie.

— Où m’emmènes-tu ?! lui cria-t-elle alors qu’ils grimpaient une colline.

S’arrêtant au sommet pour vérifier qu’elle le suivait bien, il n’émit qu’un autre couinement. Essoufflée, Kate s’accorda une pause à côté de lui, étudiant son environnement sinistre. Pourtant, le Veaudelune reprit sa course et elle dut se résoudre à le poursuivre de nouveau au risque de se retrouver seule au beau milieu de la Forêt Interdite.

— Pourquoi tu m’as sauvée ?! Pourquoi je n’ai jamais de réponse, merde à la fin !

Son dernier juron était sorti de lui-même, sous l’emprise d’une colère grandissante. Jusqu’à ce qu’ils parviennent à une petite clairière en dépression, cernée par de grands arbres. La situation était fort peu rassurante aux yeux de la petite fille, pourtant, elle imita la créature qui s’immobilisa au centre de celle-ci. Puis, le Veaudelune initia un long sifflement qui résonna longtemps dans les sylves noires. Autour d’elle, Kate entendit les branchages craqués. Et sur le qui-vive, elle pivotait chaque fois qu’un bruit la faisait sursauter. Elle se retrouva rapidement à effectuer des tours sur elle-même tant les sources furent nombreuses. Avant qu’elle ne se rende compte avec effroi qu’une vingtaine d’arcs bandés étaient braquées sur elle.

« Les centaures ! »

Aussitôt, le Veaudelune se lança dans un concert de gémissements et de piailleries, secouant ses pattes, tandis que Kate demeurait tétanisée par la scène. Un grand centaure aux cheveux noirs, le torse musclé et tailladé de cicatrices, s’avança plus que les autres.

— Qu’est-ce qui nous dit que ce que tu attestes est vrai, Prank ? Certes, nous ressentons l’Immatériel en elle, mais qu’est-ce que nous prouve qu’elle n’est pas la Sorcière bleue qui ferait usage de l’un de ses subterfuges ?

La Sorcière bleue ? Qui ferait usage de l’Immatériel, tout comme elle ? Cela lui rappelait fort sa vision de l’an 2000...
Prank – s’il s’agissait bien du nom par lequel le centaure venait d’appeler le Veaudelune – s’agita dans de nouvelles philippiques que seules les autres créatures semblaient comprendre, sans abaisser leurs armes. Pourtant, l’un d’eux, que Kate reconnut, se risqua à prendre la parole :

— Je la connais, Bane ! Il s’agit bien de O’Maëva !
— Et d’où la connais-tu donc, Drane ? s’agaça le dénommé Bane.
— Il m’a sauvé la vie !

La réplique de la petite Kate ramena le silence. Mais tant de regards fixés sur elle lui glacèrent le sang. Pourtant, cela n’eut pas le don de rassurer Drane...

— L’an dernier, quand un gytrash m’a attaquée !
— Tu... tu as osé commettre ce crime, Drane ?! T’approcher d’elle malgré les ordres ?!
— O-oui.
— Je serai morte sans son intervention ! s’écria Kate, pour le défendre, exprimant sa colère. C’est un crime, de m’avoir sauvée ?! Si je semble vous intéresser tant, comme le disent les étoiles, vous devriez l’en remercier !

Les centaures échangèrent des regards stupéfaits. Etouffant sa propre rage, Bane renâcla, raclant la poussière de son sabot.

— Même si tu es bien O’Maëva, tu n’as rien à faire ici !

De nouveau, Prank prit la « parole », sous les yeux dubitatifs de Kate qui ne parvenait à déchiffrer son langage.

— Bien. Si tu supposes donc que cet Humain est de mèche avec la Sorcière Bleue, il nous faut tout de suite l’attraper. Bresus, Corann, Avalon, rendez-vous au lieu que Pranks vient de nous indiquer. Drane, puisque tu la connais si bien – ses mots s’étaient faits graves – tu raccompagneras O’Maëva, avec Damona. Les autres, partez en formation de deux, au cas où l’Humain se serait échappé ou que la Sorcière Bleue serait dans les parages... Elle ne doit en aucun cas mettre la main sur O’Maëva.

Dans le raffut, Kate tenta de faire entendre sa voix :

— Nom d’une crotte putréfiée de chauve-souris, quelqu’un m’expliquera-t-il à la fin toute cette histoire ?! Je vais devenir tarée à la fin !
— Pas tout de suite, O’Maëva, lui murmura Drane, prévenant, en la portant avec ses bras, comme si elle ne pesait qu’autant qu’un sac de plumes, pour l’installer sur sa croupe grise.

La horde de centaures se sépara, tandis que Drane partit au galop, Kate se rattrapant brusquement à son buste pour éviter de tomber au démarrage en trombe, alors que les suivaient une jeune centauresse aux cheveux de nacre et le Veaudelune qui bondissait tel un lièvre.

— Mais pourquoi ? s’énervait Kate, le souffle court, alors qu’elle évitait les branchages en se baissant. Pourquoi personne ne me dit rien ?
— Parce qu’il n’est pas encore temps, O’Maëva, lui expliqua le centaure aux cheveux blonds avec le plus grand calme. Tu le découvriras bien assez tôt, mais les astres ne sont pas encore alignés de manière à ce que tu puisses connaître la vérité.
— Mais vous, vous la connaissez !
— Nous ne la connaissons que selon ton ignorance. Si tu deviens détentrice du secret, tu peux chambouler les événements de l’avenir, petite humaine.
— Alors si je ne peux pas tout connaître, répondez au moins à mes questions ! Je suis la descendante de Maëva ?

Ce fut la jeune centauresse, qui révéla sa voix assez grave, qui prit cette fois la parole :

— Sa magie coule dans ton sang, mais tu n’es pas sa directe descendante.
— Bah euh... alors comment cela se fait ?
— Seules les étoiles peuvent l’expliquer.

Kate grommela dans sa barbe, songeant qu’ils pouvaient bien aller se les faire mettre, leurs astres à la noix !

— Et la Sorcière Bleue, alors ? Elle contrôle aussi l’Immatériel ?
— Elle et toi êtes semblables. Et vous ne pourriez être l’une en présence de l’autre.
— Hein ? Mais pourquoi ? Elle me veut du mal ?
— Non. Elle est comme toi.

Les assertions sibyllines des deux centaures eurent bien fait d’agacer Kate qui préféra observer les alentours obscurs pour réintégrer son calme. Elle songea un instant à Eliot. Son cousin, de mèche avec cette mystérieuse Sorcière Bleue ? Etait-ce elle qui exerçait un contrôle si puissant sur lui ? Grâce à l’Immatériel, sans aucun doute... Ce qui pouvait expliquer le fait que son don n’avait eu aucun effet sur lui quand elle avait tenté de se défaire de son étreinte mortelle. S’en souvenir lui procurait de terribles frissons... Cela ranima en elle une croissante panique. Que dirait-elle à son père ?

— Et pourquoi... pourquoi il m’a sauvée ? se questionna-t-elle en se tourna vers Prank, qui gardait le rythme.
— Toutes les créatures de la forêt régis par les astres t’écouteront, O’Maëva. Tu es trop importante à leurs yeux pour que tu puisses mourir, que ce soient pour nous, centaures, ou pour les Veauxdelune.

La silhouette du château de Poudlard se découpa derrière les arbres alors qu’ils continuaient de galoper à travers la forêt. Et Drane déposa Kate à l’orée de la forêt :

— Ne t’avise plus de revenir dans cette forêt de sitôt, petite humaine, la prévint-il, placide. Les temps sont trop dangereux pour toi, O’Maëva.
— Vous allez retrouver Eliot ?
— Nous l’espérons, répondit Damona, plus sèche.
— Mais préviens tout de même tes semblables, précisa Drane. Avec comme prémunition qu’un grand danger rôde dans cette forêt et qu’il ne serait pas prudent de s’y rendre seul...
— Les Humains n’ont pas à interférer dans nos affaires !
— Leur petit humain est l’un de leurs élèves, ils en ont la responsabilité, plus que nous.

Puis, Drane, après avoir échangé un long regard avec sa consoeur, se tourna vers Kate, indécise :

— Pars, O’Maëva. Pars.

Ses propos furent suivis d’un sifflement approbateur de Prank, qui fit miroiter ses deux grands yeux globuleux à la lumière de la pleine Lune, qu’il contemplait avec fascination, malgré les nuages qui la dissimulait, n’en laissant qu’une trace lumineuse dans le ciel.

— D’a-d’accord, bredouilla Kate en amorçant quelques pas de recul. Merci... Merci encore !
Et sans vraiment en comprendre le sens, elle se remit à courir. Car plus elle serait loin de cette maudite forêt, mieux elle pourrait se porter. Elle était désormais le berceau de toutes ses peurs.

Ses pas la menèrent vers le lieu le plus proche où elle pourrait trouver quelqu’un : la cabane de Hagrid. Les lumières qui éclairaient l’intérieur, rayonnant au dehors, la convainquirent que le garde-chasse de l’école ne s’était pas encore endormi. En l’entendant approcher, Crocdur, derrière la porte, commença à grogner et à gratter le bois.

— Hagrid ! l’appela Kate en frappant contre la porte avec force, encore sujette à ces peurs et la voix douloureuse à cause de sa gorge étranglée. Hagrid !

Le molosse se mit à aboyer, ses jappements gras camouflant le craquement du plancher alors que le demi-géant se redressait pour marcher vers l’entrée. Il afficha une expression de surprise en découvrant la minuscule Kate sur le seuil, avant de frotter sa barbe pour la débarrasser de restes de son dîner qui y étaient tombés, espérant paraître plus propre dans son rôle de professeur qui lui tenait tant à cœur.

— Kate ?! s’étonna-t-il devant la petite fille apeurée par ce qu’elle venait de vivre. Qu’est-ce que tu fais ici ?! Tu as vu l’heure qu’il est ! Tu devrais être dans ton dortoir !
— C’est Eliot, Hagrid ! Il a disparu ! Parce qu’il est voulu me ramener à quelqu’un, mais qu’un Veaudelune m’a sauvée puis il y avait les centaures, qui parlaient d’une Sorcière Bleue...
— Ola, calme-toi, Kate, calme-toi, la ralentit-il d’un geste des mains, chacune aussi grosse que la tête de la fillette. Je ne comprends rien à ce que tu me racontes ! Qu’est-ce que tu me chantes avec tes histoires de Veaudelune et de centaures ?! Rentre à l’intérieur, il fait froid dehors !

Des odeurs nauséabondes d’engrais, de nourriture avariée et de produits anti-limace agressèrent les narines de Kate quand elle pénétra dans l’intérieur confiné de la maison du demi-géant, ce qui ne l’empêcha pas de déballer ce qu’elle avait sur le cœur. Elle omit peu de détails, hormis quelques négligences délibérées, comme l’Immatériel et son surnom auprès des centaures.

— Ton récit est difficile à croire, Kate, avoua Hagrid, une fois qu’elle eut terminé, alors qu’il était installé sur son vieux fauteuil qui crachait des volutes de poussières chaque fois qu’il changeait de position. Je ne sais pas ce qui est le plus difficile à comprendre. Les Veauxdelune sont extrêmement rares dans nos contrées et ils ne s’approcheraient pas de toi. Quant aux centaures, ils n’accordent pas tant de... bonté à l’égard des humains !
— Pourtant, ils l’ont fait ! Vous n’irez qu’à leur demander !

Le ton de la petite fille, influencé par ses fortes émotions encore présentes, lui laissa supposer qu’elle ne lui mentait pas.

— Nous devons aller voir les autres professeurs de toute urgence, alors, décida-t-il. Si Eliot a bel et bien disparu dans la forêt après t’avoir agressée, nous devons les en avertir ! Viens avec moi !
— Et... on ira le chercher après ? s’inquiéta-t-elle en bondissant de sa chaise pour rejoindre Hagrid sur le seuil, qui s’était saisi de sa lanterne.
— Oui, je m’y rendrai dès que je t’aurai laissé sous la charge d’un autre professeur. Nous devons éclaircir ce mystère.

Après quelques secondes de bataille avec Crocdur, qui désirait les suivre, Hagrid et Kate traversèrent le parc de Poudlard, rendu mutique par la nuit. Les nuages sombres descendaient encore plus bas et annonçaient de la pluie au matin. Dans le hall, ils croisèrent une autre lanterne : celle de Rusard, qui les posa ses yeux perçants et malveillants sur la petite Kate, dissimulée dans l’ombre imposante d’Hagrid.

— Dehors ? A cette heure-ci ? Tu sais les conséquences que cela peut avoir... ?
— Espèce de cracmol limité ! lui lança Hagrid de sa grosse voix. Combien de fois il faudra que je te répète que je suis professeur et que tant que les élèves sont avec moi, ils sont sous ma responsabilité ?

Puis, il passa à côté de lui, le bousculant presque sans le vouloir de son immense carrure, murmurant dans le vide :

— Vivement qu’on le remplace, ce vieux croûton dégénéré... !

Au fond d’elle-même, Kate ne put que lui donner raison, alors que Rusard la toisa avec dédain une dernière fois, son rictus perfide défigurant ses traits hâves. En compagnie de Hagrid, Poudlard de nuit n’avait plus rien de sinistre. Les armures ne sifflaient pas à son passage, trop intimidées par la taille du garde-chasse et Peeves lui-même évitait de croiser son chemin, au grand soulagement de Kate. Au milieu de la montée ardue des escaliers par le demi-géant, qui enjambait pourtant les marches trois à trois, il se rappela que la directrice McGonagall était absente durant les congés. Ils changèrent légèrement leur trajectoire pour grimper jusqu’au septième étage, où se trouvait le bureau de Flitwick. Essoufflé, la respiration de Hagrid était tellement bruyante qu’elle en vint à réveiller certains tableaux qui se plaignirent du vacarme qu’il causait.
Lorsqu’enfin ils parvinrent au bureau du professeur de sortilèges, Hagrid frappa à la porte de son gros poing, s’écroulant à moitié dessus.

— Qui est là ?! couina une petite voix après plusieurs secondes de silence.
— Rubeus Hagrid, professeur Flitwick, répondit-il. Je suis en compagnie d’une élève, Kate Whisper, qui était dehors en pleine nuit ! Et un autre élève a disparu.
— Quoi ? Bon, accordez-moi quelques minutes... !

Le bruit d’ensorcellements et de tiroirs que l’on ouvrait et que l’on fermait se succédèrent à l’intérieur de la chambre. Jusqu’à ce que le professeur Flitwick ouvre sa porte, ses lunettes de travers sur son long nez pointu, ses derniers cheveux blanchis encore mal coiffés : ils avaient sûrement dû interrompre son sommeil.

— Qu’avez-vous dit ? Un élève... a disparu ?

Il posa les yeux sur Kate, qui faisait bien une tête de plus que lui, encore chamboulée par ses dernières émotions.

— Miss Whisper ? Si... si j’avais cru que vous étiez impliquée dans cette histoire... !
— C’est mon cousin, professeur, couina Kate. I-il a disparu dans la forêt interdite !
— Mister Burbage ? Dis-disparu ?

La petite voix aiguë et surprise du professeur Flitwick ranima en Kate la réalité qu’elle avait abandonné son cousin au milieu d’une forêt dangereuse, en pleine nuit... Etait-elle à ce point une sans-cœur ?
Elle débuta de nouveau son histoire, la même qu’elle conta à Hagrid, jusqu’à ce qu’au milieu de son monologue, le petit professeur ne l’interrompe calmement pour s’adresser au garde-chasse :

— Hagrid, allez prévenir nos autres collègues. La situation est urgente. Nous devons retrouver mister Burbage avant qu’il ne lui arrive malheur.
— Bien, professeur !

Se dépêchant, Hagrid dévala les escaliers avec autant de discrétion qu’un éléphanteau, tandis que Flitwick invita Kate à prendre place dans son bureau, dont ils laissèrent la porte ouverte. Le récit de la petite fille affecta au plus haut point l’enseignant, de nature sensible, et très attaché à cet élève, qui était le fils de l’une de ses anciennes collègues décédées sous le règne de Voldemort. Lorsqu’elle eut achevé son témoignage, il en avait les larmes aux yeux.

— Vous pensez que... durant tout ce temps, Eliot était sous l’emprise d’un maléfice ? Pourquoi personne ne l’aurait remarqué ?
— Je ne sais pas, professeur, trembla-t-elle, chagrinée.
— Pauvre garçon... Pauvre garçon... Par Merlin, quelle triste histoire ! Vous-même devez en être terriblement bouleversée, miss Whisper, après ce que vous venez de vivre, ce soir !

Il lui proposa alors une tasse de thé pour détendre ses entrailles nouées par la peur, ce qu’elle ne refusa pas, d’une petite voix. Kate était loin d’imaginer que cette escapade à l’encontre de toutes les règles la catapulterait dans un siège chaud et confortable, à se faire offrir un breuvage délicieux par son professeur, qui la prendrait tant en pitié qu’il en oublierait de lui programmer une retenue ou de retirer des points à sa maison d’adoption. Mais elle aurait préféré une punition, quand bien même aurait-il fallu la passer avec Rusard, plutôt que d’avoir vécu cette soirée. Les mains d’Eliot lui faisaient encore mal, autour de sa gorge...
Comme elle devait s’y attendre, le premier à se manifester fut son professeur de métamorphose, parvenu au septième étage avec une rapidité presque déconcertante. La nuit accentuait fortement ses cernes violacés. 

— Wilhem ! s’exclama Flitwick en sautant sur ses pieds, rangeant dans sa poche son mouchoir humide. Vous êtes vraiment l’homme de la situation, je suis soulagé de voir arriver le premier !
— Que s’est-il produit ? coupa-t-il sèchement, son regard perçant braqué sur la petite Kate, qui recula dans son fauteuil, ramenant sa tasse chaude contre elle.

Ce fut cette fois l’enseignant en matière de sortilèges qui lui rapporta l’histoire de manière concise. Durant son récit, Wolffhart demeurait austère, comme fermé à ce qu’il disait, malgré la théâtralisation des émotions de Flitwick, qui versa de nouveau une larme.

— Avez-vous prévenu Herr Whisper, le père de Fräulein ? A ce que je sache, il est le tuteur de Herr Burbage. Il devrait être immédiatement averti de sa disparition.
— V-vous avez parfaitement raison, Wilhem ! Je le fais de ce pas !

Flitwick, de sa baguette magique, fit léviter jusqu’à lui parchemin et plume, qui n’avait pas besoin d’encre pour écrire, et se mit en route vers la volière d’un pas accéléré tout en rédigeant le mot qu’il destinait à Phil grâce à la magie.

— Veillez bien sur Miss Whisper jusqu’à mon retour ! lui demanda-t-il alors qu’il s’éloignait, suivi par sa plume qui griffonnait le parchemin volant.

Laissée seule avec son professeur de métamorphose, Kate lut dans les yeux de ce dernier l’appétence de sa terrible curiosité maladive. Les secondes suivantes donnèrent raison à son intuition : Wolffhart se précipita vers elle avec de grands yeux, comme l’aigle fond sur sa proie, et attrapa les accoudoirs avec ses mains aux grands doigts blancs qui s’enfoncèrent dans le cuir molletonné, alors que la petite fille, effrayée par ce geste soudain, émit un petit cri en manquant de se renverser son thé dessus.

— Que s’est-il VRAIMENT produit ?! répéta-t-il, menaçant et la voix puissante.

Kate ne put que délier la langue face à l’intimidation que déployait son professeur. Après tout, il était peut-être la meilleure personne à laquelle elle pouvait se confier à l’heure actuelle :

— Eliot voulait me ramener à quelqu’un ! I-il a failli me tuer pour cela ! Et l’Immatériel... l’Immatériel n’avait aucun effet sur lui ! Les centaures ont parlé d’une Sorcière bleue, qui utilise aussi l’Immatériel, tout comme moi ! Il ne faut pas que je la croise, d’après eux ! Et... et je crois que c’est elle qui manipule Eliot par la pensée !
— Une Sorcière bleue ? Qui maîtrise l’Immatériel ?
— Oui, professeur...

Aussitôt, un sourire démesuré s’étira sur les lèvres bleuies de Wolffhart, son visage si proche de celui de son élève, avant qu’il ne s’exclame :

— Perfekt... Das ist perfekt !

Son obsession pour l’Immatériel n’avait-il donc aucune limite ? Comment pouvait-il à ce point se réjouir alors que son cousin agonisait à quelques kilomètres de là !

— Et où se trouve-t-elle ? Les centaures vous l’ont-ils dit, Fräulein ?
— D-dans la forêt interdite ! Il paraît qu’elle y rôde !

Sa réponse donnée, Wolffhart se redressa de toute sa hauteur, alors qu’en même temps arriva un autre professeur : Sinistra Aurora, l’enseignante en astronomie.

— Hagrid m’a tout raconté, s’annonça-t-elle en pénétrant dans le bureau, en tenue improvisée et désassortie, alors que Woffhart la toisa d’un regard de mépris. Vous allez bien, miss Whisper ?

L’inquiétude qu’éprouvait Aurora en comparaison du désintérêt relatif de Wolffhart rassura la petite Kate.

— O-oui, enfin... je crois !
— Gut, maintenant que quelqu’un d’autre peut jouer le rôle de la baby-sitter à ma place, je m’en vais chercher votre cousin, Fräulein.

Aurora semblait tant habituée à son comportement qu’elle se contenta d’un bref soupir en s’accroupissant à côté de l’accoudoir de Kate. Mais alors qu’il se dirigeait vers la sortie du bureau, cette dernière, s’élevant légèrement dans son assise, l’apostropha en couinant :

— Vous allez le retrouver ? 
— Vous apprendrez, Fräulein Whisper, que je possède l’un des flairs les plus exceptionnels qui soient. Si je ne retrouve pas votre cousin, c’est qu’il sera soit mort, soit sur un autre continent... Et dans les deux cas, aucun des deux n’est vraiment enviable, richtig ?

Sur ces mots, il les quitta et descendit à toute vitesse les marches de l’escalier, laissant voler avec lourdeur à ses arrières les pans de son manteau de feutre.

— Cela ne me plait pas de l’affirmer, grimaça le professeur Aurora, mais il a raison. Le professeur Wolffhart est sûrement le mieux placé pour retrouver mister Burbage.
— Pourquoi donc ? s’intéressa Kate d’une petite voix fébrile, en se frottant son cou encore douloureux.

Pourtant, Aurora n’émit aucune réponse, si ce ne fut un bref sourire qui chassa toute autre initiative de question supplémentaire de la part de l’adolescente.

— Vous devez être fatiguée... Vous êtes seule dans votre dortoir pour les vacances ?
— Oui, professeur.
— Vous arriverez à dormir seule ou vous préféreriez aller à l’infirmerie ?

Tout à coup, Kate se renfrogna intérieurement : elle n’était plus une gamine, elle pouvait très bien dormir seule sans avoir à être bordée !

— Non, non, ça ira... !
— Très bien. Je vais vous accompagner. Vous avez besoin de repos. Je préviendrai le professeur Flitwick, nous en reparlerons demain. D’ici là, ils auront sûrement retrouvé mister Burbage.

Mais Kate s’était menti. Car en regardant les ombres de la nuit s’étirer sur les murs et le plafond de son dortoir déserté, comme cherchant à s’emparer de son petit être abandonné, elle frissonnait de terreur. Elle se réfugia sous ses couvertures en tremblant, dans l’espoir de les fuir. Et ce qui alimentait le plus ses peurs fut de croire que l’une d’elle pouvait appartenir à Eliot...

Ludo Mentis AciemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant