Chapitre 93 - Willou

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C'était un matin comme tant d'autres. Je me réveillai dans ce lit. Trop grand pour moi. Trop épais pour moi. Chaque fois que la réflexion jaillissait dans mon esprit, j'entendais la voix de ma mère en écho, qui me répétait, quand j'en émettais la remarque en famille : « ce lit te suivra toute ta vie. Mais lui ne grandira pas ». Mon père était plus pragmatique : « Tu grandiras dedans. Tu honoreras ta femme dedans. Ton enfant naîtra dedans. Et si la chance te le permet, tu mourras dedans. » À huit ans, ma vie était déjà toute tracée. Mon père l'avait décidé ainsi. Et je ne trouvais rien à lui répondre. J'étais soumis à sa volonté, depuis toujours.
J'étais destiné à vivre une partie de ma longue vie ici, d'après ses dires. Dans cette grande chambre de Ruhmträne. Un grand lit, dans une grande chambre, dans un grand corridor, dans un grand château, dans la plus grande région du plus grand pays de l'Europe. À mon tour, il fallait que je devienne un grand de ce monde. Je le savais depuis toujours. Ce leitmotiv ressortait tellement souvent. À croire que l'on me berçait avec cette mélodie quand je n'étais qu'un bébé.

« Tu deviendras un grand sorcier, mon fils. »

Puis, Wauzi, l'un des elfes de maison, entrait dans ma chambre, quelques minutes après mon réveil.

— Le jeune maître a bien dormi ?

Il me posait la question chaque matin. Je me contentais d'un hochement de tête. Je ne prenais plus la peine de formuler de réponse. Ni même de le regarder dans les yeux.
Je m'habillais avec les habits qu'il me préparait et je descendais. Dans cette salle, étouffante de miroirs et de colonnades opulentes. Au bout de la grande table où était servi le petit-déjeuner, de manière ostentatoire, dans des plats de grande argenterie, mon père lisait le journal, fier patriarche. Sorcier, à tel point qu'il tournait les pages avec sa baguette, considérant qu'utiliser ses doigts serait impropre à sa nature.
Comme tous les matins depuis quelques mois, je jetai un coup d'œil à la une de la gazette. Le titre pouvait m'en dire beaucoup sur le déroulement de la journée. Et une mauvaise nouvelle pouvait me coûter cher. Surtout en ce contexte de guerre. Certains pensaient encore que l'Allemagne avait ses chances. Je l'espérais aussi. Non pas pour la gloire de mon pays. Mais pour me préserver.

— Bonjour, Wilhelm.

Sa voix grave résonne encore en moi. Elle reflète bien son physique. Cette morphologie anguleuse, carrée. Ce port de tête rigide. Ces yeux noirs perçants. Sa chevelure blonde, plaquée, peignée, chaque crin discipliné. Mon père regrettait que je n'en porte pas de même. J'avais hérité des cheveux bruns, presque sombres, de ma mère. De peu, j'avais manqué d'être le parfait fils allemand.

— Bonjour, père.
— Tu peux t'asseoir.

J'attendais toujours son autorisation avant de prendre place. Wauzi me servait directement dans mon assiette. Il connaissait mes goûts, mes portions. Je ne le remerciais pas. Selon père, c'était faire signe de faiblesse que d'être remerciant auprès d'un elfe. C'était leur travail, après tout.

— As-tu bien dormi, mon fils ?
— Oui, père.
— Parfait. C'est une longue journée qui t'attend.

J'avais le droit, de temps en temps, à l'un de ses regards complices, qui me faisaient sentir si fier d'être son héritier. Mais je ne pouvais pas sourire. Ça aussi, c'était signe de faiblesse. Je devais accepter cela avec honneur.

— Ton précepteur m'a fait part de tes progrès.
— Ses cours sont très intéressants.
— Et tu es très assidu. Sais-tu ce que vous allez aborder, aujourd'hui ?
— Les poisons. J'ai lu le livre qu'il m'a fait transmettre.
— Parfait.

Mes facilités d'apprentissage avaient été vite remarquées. À deux ans, je savais formuler des phrases complexes. À trois, on m'avait mis devant le clavier d'un piano. À quatre, j'avais appris à lire. À cinq, je connaissais déjà une centaine de sortilèges. J'avais déjà le niveau d'un troisième année à Durmstrang. Mon père s'était emparé de ces commodités, embauchant un précepteur sorcier pour m'enseigner les premiers rudiments de la magie avant même d'entrer à l'école.
Ma mère ne cessait de répéter que j'étais son petit génie. Mon père que j'étais le grand espoir du Kaiser et de la famille Wolffhart.

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now