Chapitre 61 - Le mensonge derrière le lapin

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« Ils sont drôles... ils veulent que je prenne lequel, exactement ?! »

Pour une première expérience, Juliet se retrouvait confrontée à un dilemme d'envergure, en ce jour radieux de juillet, l'un des rares de l'année sur la petite ville de Carlton. Lors du petit-déjeuner, ses parents avaient constaté, contrariés, que les réserves de lait avaient été épuisées et avaient donc envoyé leur fille cadette effectuer cette course. Juliet y était allée en traînant les pieds. Elle qui ne digérait pas cette boisson blanche à l'odeur peu ragoutante, la voilà à choisir quelle marque et quel type elle devait prendre. Et l'adolescente se doutait qu'au moindre impair, on lui réclamerait d'aller chercher de nouveau le bon produit.
Si au moins ses parents avaient eu la décence de lui offrir un téléphone portable, comme elle l'avait expressément demandé, pour son dernier anniversaire. Elle aurait ainsi pu les appeler pour leur poser la question. Au collège, elle était d'ailleurs devenue l'objet de railleries, alors que tous les autres camarades de son âge commençaient à utiliser leur premier portable, tous entrant dans une phase de vantardise dès qu'ils sortaient cet engin blindé à l'écran en noir et blanc de leur poche pour envoyer des SMS. Secrètement, Juliet espérait qu'on lui en donnerait un pour fêter son entrée au lycée.
Un bruit fort la fit sursauter. Dehors, une bande d'adolescents, qui zonait devant l'épicerie, venait de donner un grand coup dans la borne incendie et en riaient. Juliet maugréa en espérant qu'ils ne l'interpellent pas quand elle sortirait de ce magasin. Elle avait déjà eu l'occasion de les croiser une fois, au parc, alors qu'elle promenait son chien, et l'un d'eux s'était permis de lui faire une remarque à propos de sa démarche, soulignant en particulier son anatomie arrière.
Agacée, Juliet attrapa une bouteille de lait au hasard. Tant pis si ses parents et ses sœurs râlaient, ils n'avaient qu'à l'acheter eux-mêmes ! Elle se rendit alors à la caisse pour payer en bougonnant et commença à faire la queue.
Quelques secondes plus tard, une autre adolescente s'inséra dans la file, juste derrière elle, avec, elle aussi, un unique article en main. Juliet reconnut sans mal sa voisine. Elles n'avaient eu que peu d'occasion d'échanger, d'autant plus qu'en période scolaire, la jeune fille était apparemment envoyée en internat, loin de Carlton. Cette dernière semblait d'ailleurs en décalage avec la réalité, du moins avec les autres adolescentes de leur âge, avec son tee-shirt noir à l'effigie d'un groupe de rock, remontant jusqu'à son cou, son vieux pantalon trop large qu'elle remontait à tout bout de champ et son expression rêveuse qui donnait l'impression qu'elle n'appréciait pas le monde sous le même point de vue.
Juliet s'interrogea alors que Kate tournait le tire-bouchon dans tous les sens pour le détailler. Puis, en levant la tête, elle reconnut sa voisine blonde et lui sourit sincèrement.

— Oh ! Salut !
— Salut, lui répondit Juliet, plus réservée.
— Ah. Toi aussi, tes parents t'ont envoyée ici ? observa Kate en remarquant la bouteille de lait dans la main de Juliet. Même galère.
— Ils t'ont envoyée acheter... un tire-bouchon ? s'étonna Juliet, dans une grimace amusée. Ça pourrait être mal interprété par le caissier !
— Hmm, normalement, on n'en a pas besoin, mais ma mère a tenu absolument à en avoir un pour débouchonner la bouteille du repas de ce midi elle-même.

Juliet fronça les sourcils d'incompréhension.

— Vous faites comment alors, d'habitude ? s'intéressa-t-elle.

En se rendant compte de sa boulette, Kate roula ses lèvres dans sa bouche. Juliet n'aurait pas été en capacité de comprendre que la baguette magique de Phil suffisait généralement à gérer ce genre de petite tâche.

— Mes parents ne boivent pas souvent de vin, expliqua Kate de manière sommaire en grimaçant, embarrassée.

Juliet hocha la tête et avança jusqu'au caissier, qui terminait d'aider la petite grand-mère qui venait de payer à remplir son cabas à roulettes. Une fois son achat effectué, l'adolescente sortit de l'épicerie en saluant timidement sa voisine et traça sa route, sa bouteille de lait serrée contre elle. Cependant, passant devant les jeunes hommes turbulents, Juliet ne put esquiver leur intérêt.

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now