Chapitre 23 - Juste une lampe allumée dans la nuit

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« LE MYSTERE ARGUS RUSARD
Un article par Viviane Woods



Qui en voudrait à Argus Rusard ? Beaucoup de monde, certes. Mais qui le détesterait au point de l’assassiner ? C’est la question que se posent depuis hier le bureau des Aurors et les brigades de tireurs de baguettes magiques d'élite. En effet, le corps sans vie du concierge cracmol de Poudlard, que tous les élèves, anciens et plus jeunes, connaissent pour son regard torve et ses menaces tortionnaires, a été retrouvé dans la gorge, en aval de l’école de sorcellerie. Après déclaration de disparition au retour du garde-chasse de Poudlard, Rubeus Hagrid, les premiers enquêteurs dépêchés sur place n’ont pas tardé à découvrir la dépouille sans vie d’Argus Rusard.
À première vue, la victime serait tombée du pont qui surplombe le profond canal avant d’être emportée par le courant et de s’échouer sur une rive en pierre, un peu plus loin. Cependant, le mystère demeure : il semble peu probable qu’Argus Rusard se soit délibérément jeté du pont de lui-même. Après autopsie mentale, le verdict des guérisseurs légistes est sans appel : ses derniers souvenirs ont été effacés. Quelqu’un aurait-il usé de magie noire pour forcer le concierge le plus infâme de Poudlard à mettre fin à ses jours ? L’enquête reste ouverte pour les Aurors. »

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— Rusard est... mort ?! hoqueta Kate en attrapant la Gazette du Sorcier au gros titre évocateur, laissée sur la table de la cuisine.
— Faut croire qu'il y a encore des miracles dans ce bas monde, lui lança Phil lui passait un coup de baguette magique sur les plans de travail sales.
— Assassiné ?! Tu te rends compte ?
— Oui, c'est presque trop beau pour être vrai.
— On sait ce qu'est devenue Miss Teigne ?
— Aucune idée et je ne tiens pas à le savoir.
— Dans l'enceinte même de Poudlard ! Ca craint... !
— Tu vas arrêter d'essayer de pourrir ma joie, moujingue ? Va plutôt ranger le salon, tiens.

Après un bruyant soupir, Kate s'y rendit en traînant des pieds et commença à empiler les magazines sur la table basse, regrettant de ne pas pouvoir faire usage de la magie à domicile avant sa majorité encore bien lointaine. Tout serait tellement plus simple avec sa baguette magique ou même avec l'Immatériel, son père aussi pouvait s'en charger sans ciller. Alors pourquoi lui donnait-on cette tâche ingrate ?
Elle entendit les pas de sa mère qui descendait l'escalier, accompagnés de gazouillis de bébé.

— Coucou ma chérie, la salua-t-elle dans l'encadrement de la porte en verre du séjour. Tu as bien dormi ?
— Non, figure-toi que je me suis encore fait réveillé par ce monstre !

Kate pointa d'un doigt accusateur sa petite sœur qui souriait en tentant d'attraper le menton de sa mère avec ses mains boudinées et peu adroites.

— Il faut toujours un peu de temps pour les bébés avant qu'ils fassent leur nuit, lui expliqua Grace avec placidité alors qu'elle-même portait de lourds cernes sous ses yeux. Toi aussi tu es passée par là !
— Bah j'espère pour vous que je gueulais moins fort !
— Ne sois pas aussi vulgaire, Kate ! s'étonna Grace en fronçant les sourcils. Tiens, occupe-toi d'elle, plutôt !

Elle déposa Abigail dans son siège bébé, près des fauteuils, avant d'aller rejoindre son mari dans la cuisine.
Mais Kate avait de quoi être de mauvaise humeur. À vrai dire, toute la maison était sur les nerfs en attendant l'arrivée des Matthews, les parents de Grace. Après plusieurs années de silence, le lien s'était reformé avec la naissance d'Abigail et des retrouvailles avaient été prévues pour la dernière semaine de juillet, ce qui n'enchantait qu'à moitié les deux clans : depuis toujours, les Matthews vouaient une animosité aveugle à l'égard de Phil, prêchant que leur fille cadette ne méritait pas ce pitre. La réciproque était tout aussi valable, leur gendre les trouvant condescendants et intolérants, ce qui mettait Grace dans une position particulièrement inconfortable, partagée entre les deux camps. De son côté, Kate avait apprécié les visites d'occasion de ses grands-parents maternels, qui ne lui avaient jamais causé de torts directs, bien au contraire, puisqu'ils s'appliquaient à la gâter chaque fois, cette dernière étant, jusqu'à aujourd'hui, leur unique petite-fille.

Le babillage d'Abigail, qui remuait dans son siège, détourna Kate de sa tâche, la petite observant attentivement sa sœur repositionner les coussins sur les canapés avec ses grands yeux gris ronds. Elle continua de rire par à-coups en se balançant d'avant en arrière et malgré sa rancune de ne pas avoir pu passer une nuit paisible depuis trois semaines, Kate se surprit à en sourire.

— Comme l'a dit papa, t'es vraiment un monstre toi !

Elle se précipita vers le bébé et la chatouilla, ce qui provoqua l'hilarité d'Abigail, qui se mangeait les mains dans un même temps, avant que Kate ne la porte.

— Attention, Abby, t'es sur un balai volant super rapide !

Tenant sa sœur à bras tendus par les aisselles, elle imita le vol improvisé en sifflant entre ses dents tout en courant à travers le séjour, sous les rires intarissables d'Abby, qui rempliait ses jambes boudinées.

— Ahh, un cognard ! Vite, baisse la tête !

Elle relâcha la pression, simulant une légère chute, avant de la rehausser de nouveau.

— Mais qu'elle est balèze, Abby Whisper ! Une championne !

Et la ramenant contre elle, Kate la secoua lentement avant que son visage ne se décompose.

— Oho.

Se précipitant, toute blême, vers le couloir, elle passa la tête par la porte et lança un appel de détresse :

— Maman ! Il y a Abby qui a fait dans sa couche !
— Encore ?! Mais je viens de lui changer ! Tu ne peux pas t'en charger ?
— Quoi ? Moi ?! Mais c'est dégueulasse ! Et papa, il ne peut pas...
— Ton paternel, il subit déjà assez de pression comme ça depuis le réveil et il se prépare à endurer l'apocalypse alors tant qu'à faire, ça ne sera pas le nez dans de la chiasse verte ! lança le concerné d'une voix forte.

Grommelant dans sa barbe qu'il était un sorcier de pacotille et un père indigne, Kate grimpa les escaliers tout en portant sa sœur qui gazouillait d'un air ravi.
Quelques minutes plus tard, on sonna à la porte d'entrée.

— Pas de commentaires désobligeants, hein, rappela Grace à son époux en lui rajustant son col avant qu'il n'aille ouvrir la porte, caressant au passage le coin de sa joue rasée.
— Oh, ça, ça dépendra d'eux, hein ! Je veux bien faire des efforts, mais s'ils n'en font pas pendant une semaine, je ne garantis pas qu'ils sortiront entiers de cette baraque... !
— Vous êtes des adultes, bon sang, pas de enfants !

Puis, il ouvrit la porte en affichant un large sourire forcé. Ellen Matthews, la mère de Grace, n'y répondit même pas. Il s'agissait d'une petite dame aux cheveux bruns, comme sa fille, à l'air fermé et au regard tranchant, parée de mille bijoux fantaisistes parfois trop exubérants et colorés qui contrastaient de manière déroutante avec son expression. Derrière elle dépassait la large tête de Robert, son mari, homme robuste, quoique bedonnant, ses cheveux gris perdant chaque année du terrain sur son crâne ponctué de taches brunes, sa barbe taillé frissonnant à chacune de ses bruyantes respirations.

— Bien le bonjour, Ellen ! la salua Phil en s'écartant de l'entrée pour la laisser passer. Comment allez-vous ?
— Eh bien, ça n'a pas été de la tarte de la trouver, votre maison ! lança-t-elle sans cérémonie. Avec le chiffre qui est tombé, on a dû tourner au moins quatre fois avant que l'on se décide à regarder les noms sur les boîtes aux lettres ! Il faudrait vraiment le raccrocher, ce 5 !

La réalité était que Grace avait en effet demandé à son mari de recoller le chiffre manquant pour que ses parents puissent se repérer, mais Phil, irrécupérable, avait omis de manière pleinement délibérée cette tâche dans l'espoir que les Matthews n'arrivent jamais !

— Oh, et voici la plus belle ! s'exclama-t-elle en s'avançant vers Grace, tout à coup radieuse, les bras tendus vers elle.
— Bonjour maman ! Comment tu vas ? l'accueillit-elle en lui partageant son accolade.
— Et toi alors, mon ange, ça fait tellement longtemps !
— Oh oui, avec le voyage, les enfants, tout ça... ! Que de temps !

Grace chassait toute question d'un large sourire. La guerre des sorciers ayant échappé à l'attention des moldus britanniques, les Matthews n'avaient jamais su ce que les Whisper avaient dû endurer durant les quelques années qui les séparaient de leur dernière rencontre. Dès le début des hostilités côté sorcier, Grace avait prétexté un long voyage à l'étranger pour le travail de Phil qui risquait de leur faire perdre tout contact.
Robert entra à son tour dans la maison et son gendre lui tendit une main accorte qu'il fixa d'un regard peu enthousiasmé durant quelques secondes avant d'accepter de la lui serrer.

— Vous avez fait bon voyage ? le questionna Phil qui espérait apaiser les premières tensions palpables.
— Si on est arrivés vivants, c'est que oui, lui répondit-il, pragmatique, en observant son environnement. Dites-moi, elle n'est pas un peu plus petite que cette précédente, la maison ?
— Ah, la flambée de l'immobilier, vous savez, grinça Phil en refermant la porte derrière lui, ne faisant que sous-entendre que leur dernière véritable maison avait été incendiée et réduite à l'état de cendres par les Mangemorts.
— Possible. Ah, ma princesse !
— Papa ! s'enthousiasma Grace en partageant l'accolade de son père. Quel plaisir ! Ah, attends, tu me serres un peu trop fort, tu me fais mal !
— Oh, excuse-moi ma chérie ! Mais... c'est que tu es pâle !
— La fatigue, papa ! Tu as du connaître ça quand nous étions enfants !

En entendant du bruit provenant de l'entrée, Kate termina de scotcher la couche propre d'Abigail de manière un peu négligée, avant de la rhabiller, sans parvenir à séparer ses deux jambes qui se plaçaient toujours au même endroit. Puis, estimant qu'elle avait terminé sa tâche digne des travaux d'Hercule, ceci sur l'expression indifférente d'Abigail qui semblait redécouvrir ses propres mains, elle la porta contre elle, sortit de la chambre de ses parents et descendit les escaliers. Tous les regards se tournèrent vers elles.

— Et voici nos deux vedettes ! s'exclama Robert Matthews en laissant tressaillir son sourire sur sa barbe.
— Mamine ! Papi Bobby !

Depuis son plus jeune âge, Kate avait été mise à l'écart des rivalités entre Whisper et Matthews ; elle avait été celle qui avait permis d'enterrer un temps la hache de guerre. Jamais ses grands-parents ne lui avait fait pesé le prix de son héritage paternel fort réprouvé par ces derniers et Kate le leur rendait bien. Elle appréciait les Matthews mais les années faisant et en connaissance de ce qu'ils avaient fait subir au couple de ses parents, son jugement en avait été influencé avec le temps.

— Oh, mais regardez-moi ce petit bout de chou ! s'émerveilla Robert en examinant la bouille d'Abigail que Kate avait rendu à sa mère. C'est qu'elle te ressemble un peu, quand tu avais le même âge !
— Mais qu'est-ce que tu as grandi, ma biche ! s'étonna Ellen en embrassant Kate sur la joue. Bientôt, je devrai me mettre sur la pointe des pieds !

Kate ricana en réponse, alors que Phil les invita à rejoindre le salon, ce qu'ils firent seulement lorsque Grace elle-même les y sollicita.

— Ils me gavent déjà, soupira son père alors qu'il préparait le thé dans la cuisine, Kate organisant le plateau sur lequel était disposé le service à thé.
— Je ne sais pas ce que tu leur as fait pour qu'ils t'ignorent et te détestent à ce point, mais c'est très fort ! approuva-t-elle.
— Soit disant que je ne mériterai pas ta mère. Pouah. Elle me pleurerait si elle ne m'avait pas.
— T'imagines, si maman avait épousé un médecin moldu ?
— S'il te plait, Kate, j'ai déjà la gerbe depuis que ta grand-mère est entrée dans cette baraque, alors tu serais gentille d'arrêter avant qu'un accident se produise.
— C'est vrai que son parfum est un peu fort... !

Devant la bouilloire, Phil peinait à en comprendre le fonctionnement.

— Comment ça marche déjà cette chose ? grommela-t-il en fronçant les sourcils.
— Tu appuies sur le bouton, là, et tu attends que l'eau boue, lui montra sa fille.
— Trop compliqué la vie de moldu. C'est tellement plus pratique, une baguette magique. Ils doivent être malheureux, les moldus... !
— Pourquoi tu ne l'utilises pas ? Ta baguette ?
— J'ai promis à ta mère de ne pas en faire usage tant que tes grands-parents sont dans la maison. Quand je te dis que je vis actuellement en enfer, ce n'est pas à demi-mot.
— Tu vas y arriver ? nasilla Kate, moqueuse.
— Je vais me contenter de prier dans l'attente d'un miracle. Je n'ai pas trop le choix, à ce stade... !

Ils rejoignirent le séjour avec le breuvage bouillant et le plateau de vaisselle, tandis que Grace et ses parents discutaient à propos de son poste d'enseignant à l'école primaire.

— Et vous, alors, Phil, que faites-vous de beau dans la vie, maintenant ? lança Ellen, sèche, croisant ses jambes. Toujours en vadrouille ? Obligé de faire des tours du monde ?
— Je me suis posé, figurez-vous, objecta-t-il d'un ton qu'il voulut placide, croisant du coin de l'œil le regard de Grace assise à côté de lui dans le canapé. Je suis vendeur de disques, spécialisé dans le rock. Et la boutique marche très bien en ce moment !
— Vendeur de disque, voyez-vous ça... grinça la belle-mère avant de siroter une gorgée de thé.
— En parlant de musique, je constate que vous n'avez aucun instrument ici ! fit remarquer Robert en malaxant les accoudoirs du fauteuil. Tu dois être malheureuse, ma petite Grace ! Toi qui adorais jouer du piano et de la guitare !
— Phil compte m'offrir un piano pour mon anniversaire, avec sa dernière promotion ! lui répondit avec un sourire serein, attrapant la main de son mari, qui fulminait intérieurement. Et il y a une guitare électrique à l'étage, mais personne ne l'utilise en ce moment...

Kate éprouva un pincement au cœur en visualisant dans sa tête la guitare d'Eliot, parquée dans son carton. Son cousin lui manquait... Mais l'image du jeune homme cloué à son lit de Ste Mangouste lui brisait le coeur.

— Et toi, chaton, tu fais de la musique ?

La question de sa grand-mère la détourna de ses sombres pensées.

— Maman avait essayé de m'apprendre le piano, mais je n'ai jamais été très assidue ! avoua-t-elle en haussant les épaules, assise à même le vieux plancher rayé. Donc je n'ai jamais continué... !
— Et l'école, comment ça se passe ?
— Euh... bien !
— Kate a de très bons résultats ! souligna sa mère qui lui partagea un clin d'œil.
— Vraiment ? Tu es en quelle classe, maintenant ?
— Elle va rentrer en quatrième, répondit Grace avant que Kate ne puisse prononcer le moindre mot.
— Ah ! Tu as donc appris le fonctionnement du cœur cette année, en biologie ! s'exclama Robert, tout sourire de pouvoir parler de son domaine de prédilection, lui-même étant un grand médecin.
— Exactement ! bredouilla Kate dans un grand sourire forcé.

Pas de biologie. Pas de physique, encore moins de mathématiques ou d'histoire britannique. Les matières que l'on enseignait à Poudlard étaient sensiblement différentes de celles dispensées aux jeunes moldus. Et Kate se demanda si cette perte était bien grande ou si elle pouvait se passer des connaissances sur l'anatomie humaine pour vivre pleinement sa vie de sorcière.
À côté, Abigail gazouilla d'une joie insoupçonnée en secouant ses jambes dans son siège bébé, que Grace berçait d'une main machinale.

— Approche, ma biche, lui sourit Ellen en lui faisant un signe de la main.

Kate s'exécuta en se traînant sur le parquet et lorsqu'elle parvint aux côtés de sa grand-mère, celle-ci, l'expression relâchée, attrapa du bout des doigts le collier qui pendait au cou de sa petite-fille ; le disque mauve miroita à la lumière du jour.

— Oui. Je me disais bien que j'avais reconnu le pendentif de Grace. Ta mère t'a-t-elle raconté comment elle s'est procurée ?
— C'est toi qui lui as offert, mamine.
— Exact. Quand elle avait ton âge – un peu plus jeune, peut-être – ta maman était très souvent malade, sa santé était fort fragile. Un jour, on a dû l'emmener à l'hôpital et nous étions tous très inquiets. Alors, je suis allée chez un antiquaire, pour lui trouver un petit cadeau qui lui remonterait le moral, qui lui redonnerait le sourire et pour qu'elle sache que même si elle se sentait seule, nous serions toujours avec elle. Et la vendeuse m'a montré ce vieux bijou et m'a dit qu'il s'agissait d'un talisman ancien qui chassait le mauvais œil. Alors je l'ai acheté. Et quand je l'ai donné à ta mère, elle s'est rétablie et plus jamais elle n'est retournée à l'hôpital pour ses problèmes de santé.

Elle lâcha avec délicatesse le pendant qui rebondit sur la peau pâle de Kate alors que tout le monde s'était tu, Abigail comprise, pour écouter l'histoire d'Ellen.

— Tu comprends, chaton ? Ce collier est magique. C’est un très grand cadeau que ta mère t’ait fait, elle t’a offert un symbole très puissant. Prends-en soin comme la prunelle de tes yeux.
— Oui, mamine.

Les objets magiques étaient le lot quotidien des sorciers, pourtant, le fait que cela sorte de la bouche de sa grand-mère moldue donna une toute autre dimension à ses paroles. Les doigts de Kate se refermèrent sur le pendentif de sa couleur fétiche, comme n'ayant jamais douté de ses vertus...

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now