Chapitre 17 - La Reine Maëva

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La réconciliation entre les filles de Gryffondor ne tarda pas et Kate retrouva ses habitudes, sans se contraindre à les éviter au détour de chaque couloir. Un poids de volatilisé, qui l'allégea considérablement. Moira continuait à lui prodiguer cours improvisés et conseils sur les pelouses du parc, que les élèves avaient tendance à déserter alors que les températures dégringolaient, mais aussi parce qu'il était très risqué de traîner dans les parages durant les exercices pratiques de Kate ! Suzanna, qui avait reçu de multiples pellicules supplémentaires pour son appareil photo, ne manquait jamais une occasion d'immortaliser quelques instants bénins de la journée, malgré les reproches de Scarlett qui la trouvait trop invasive. Quant à Maggie, fidèle à son caractère éhonté, Kate remarqua que la jeune fille paraissait plus ouverte, plus souriante, mais aussi encore plus cynique, signe qu'elle était particulièrement de bonne humeur. L'une comme l'autre, leur éloignement leur avait pesé, mais aucune des deux ne parvenait à avouer à l'autre la profonde amitié qu'elle se vouait.

Contrairement à l'année dernière, la fête d'Halloween se déroula sans complication ou autre attaque de citrouilles kamikazes. Kate commença même à s'étonner que Morgana ne donne aucune suite à sa vengeance, cependant, elle préféra se consacrer aux délicieuses brochettes de citrouille, nappées de caramel, et au chœur des fantômes qui se donnait en spectacle sur l'estrade, jusqu'à ce que cela dégénère en une balle aux prisonniers entre spectres, qui se servirent de la tête de l'un de leurs confrères comme pelote. Des réjouissances comme elle en avait longtemps rêvé, en somme.

Le mois de novembre défila avec une vitesse impressionnante. Les cours se succédaient, le ciel se recouvrait davantage, jour après jour. Une espèce de routine s'était installée dans l'école, qui revêtait ses aspects d'hiver prochain. Lorsqu'elle n'exerçait pas sa pratique, encore instable, Kate prenait toujours le chemin de la bibliothèque et poursuivait ses recherches, laissées en hiatus depuis l'année dernière, à propos de Papillombre. Malgré ces études et le livre qu'elle avait acheté, elle ne trouva aucune piste et perdit espoir. À partir de mi-novembre, on ne revit plus Kate s'atteler à la lecture de nombreux ouvrages... Elle leur préféra les entraînements de Quidditch de l'équipe de Gryffondor. Non pas pour supporter Sam ou le beau Gareth, comme nombre de filles dans les gradins, mais pour provoquer une nouvelle occasion de parler au frère de ce dernier. Depuis que Terry lui avait fait prendre conscience qu'elle n'était pas insensible au charme du jeune Griffin, Kate multipliait les approches discrètes, espérant que le garçon la remarquerait et viendrait de nouveau à sa rencontre. Tout comme ce jour de fin novembre, alors que le vent malmenait l'équipe et que la jeune fille observait davantage voler les cheveux blonds de Griffin, posté dans les gradins, plutôt que les joueurs.

— Tou saïs que l'entraïnement est devant, pas sour le côté ?

La remarque, articulée avec un accent qu'elle connaissait bien, la fit bondir : derrière elle, Eibhlin hocha la tête sans esquisser le moindre sourire de salutation.

— Eibhlin ? Qu'est-ce que tu fais là ?

— Je regarde l'entraïnement, dit-elle en haussant les épaules. Tou veux que je fasse quoi d'autre ? Compter les pigeons ?
— J-j'avais bien compris ! Mais... ce sont les Gryffondors ! Je croyais que tu étais attachée aux Serpentards !
— C'est le cas. Mais le coup de Snitch au dernier match, j'ai beaucoup aïmé. Alors, je me souis dit que je viendrai voir comment il se débrouille en dehors.

Bredouillant un bref « Ah d'accord », Kate se repositionna un instant et accorda plus de considération aux joueurs qui s'échangeaient le Souaffle dans les airs, éprouvant des difficultés à le rattraper avec ses courants d'air si puissants.

— J'aïmerai bien devenir attrapeur un jour, soupira-t-elle, après avoir rejeté l'une de ses tresses rousses derrière son épaule, qu'un coup de vent faisait voler.
— Tu le deviendras peut-être un jour, qui sait... !
— Je ne pense pas... Toï et moï... Nous sommes des cas à part. Serpentard n'est pas mi vraie mayson. Pareil pour toï.

La remarque, qui sortait de la bouche d'une enfant de onze ans, ébranla une fois de plus Kate, qui liait ses mains et se malaxait les doigts.

— Même si j'étais oune bonne joueuse, je n'aï pas le droit de jouer pour leur équipe. En revanche... Si un jour Papillombre monte son équipe, ça seraït bien !
— Je ne pense pas que cela risque d'arriver, grimaça Kate en se tournant vers elle.
— Pourquoi pas ! Je vous trouve toujours très défaïtistes, vous, les anglays ! s'exclama-t-elle.
— De toute façon, nous ne sommes que trois. Il nous faudrait une équipe de sept...
— Eh bah, on attend l'an prochain, c'est tout !

Eibhlin parlait d'une voix forte et décisive, cela sans le moindre sourire. Ce caractère si prégnant chez une enfant si jeune épatait son interlocutrice. Sur le terrain, Gale pria ses équipiers de se rassembler autour de lui pour qu'ils leur expliquent une nouvelle stratégie à mettre en situation.

— On ne saït rien du tout ?
— De quoi tu parles ?
— De Papillombre.
— Rien du tout, déplora Kate, qui en était presque attristée.

Toutes deux se murèrent dans le silence. Pourtant, de nombreuses questions taraudaient la plus âgée. Se pouvait-il qu'Eibhlin sache maîtriser l'Immatériel, tout comme elle ? Eprouvait-elle autant de difficultés qu'elle à lancer un sort de base, menaçant de faire exploser la cible de ses formules magiques ? Cependant, elle ne trouva pas le courage de les lui soumettre et préféra se replonger dans ses pensées, dans les mystères nébuleux autour de la cinquième maison... Jusqu'à ce qu'un événement ne resurgisse dans sa mémoire et qu'elle y trouva l'intervention de son génie latent. …tirant un sourire empli d'espoir, elle fit volteface sur son banc, tandis qu'Eibhlin observait et analysait les mouvements de Sam, à la poursuite du vif d'or, qui ne fit pas long feu en liberté.

— Dis-moi si je me trompe, mais... en Irlande, vous avez des noms de famille assez spéciaux, non ?
— Les meilleurs dou monde, pourquoi ?
— Par exemple, les McMachins, c'est typiquement irlandais !
— Aye ! Pourquoi tou me poses cette question, tu veux changer ti nom en McWhisper ?
— Et les O'Bidule aussi ? N'est-ce pas ? poursuivait Kate, sentant l'excitation grandir en elle.
— Aye. Mais O'Whisper, ça sonne moins bien que McWhisper, je trouve...
— O'Maëva. Ca évoque quelque chose pour toi ?

Eibhlin fronça ses sourcils roux et ses taches de rousseur semblèrent se regrouper sur son nez plissé.

— Je vais t'apprendre un trouc élémentayre à la petite anglayse que tou es. Chez nous, les noms en « O' » signifie « petit-fils de ». Ou tradouit une idée de descendance. « O'Súilleabháin », par exemple, ce sont les petits-fils des yeux noïrs. Mais chez vous, ce sont les « Sullivan ». D'ailleurs, « O'Cearbhail », on le tradouit par « Caroll » ici...
— Mais O'Maëva, alors ? s'impatientait la petite Kate, certaine qu'Eibhlin lui donnerait la clef d'un premier mystère.
— Je te l'aï dit ! C'est la descendance de Maëva !

Le cœur de Kate encaissa un soubresaut : le fait que Drane l'ait nommée ainsi signifiait-il donc qu'elle soit ainsi une descendante de cette certaine Maëva ? Encore fallait-il savoir de qui il pouvait s'agir, cependant, cela n'excluait pas l'hypothèse d'un lien familial, le premier que soupçonnèrent ses professeurs lorsqu'elle fut envoyée à Papillombre le jour de sa première rentrée.

— Maëva... C'était une sorcière ?

Choquée par ce qu'elle venait d'entendre, Eibhlin écarquilla ses yeux noisette.

— Tou ne connaïs pas la reïne Maëva ?!

Aussitôt, elle fouilla dans la poche de sa cape et en sortit une carte chocogrenouille, qu'elle tendit à Kate. Le portrait en relief d'une dame en robe violette et or agitait ses mains avec grâce autour d'elle, comme imitant l'incantation de sortilèges. Une couronne ceignait son front, encadré par une chevelure aussi rousse que celle de la jeune Irlandaise. Ceci avant de disparaître dans un tourbillon d'éther lorsqu'elle tourna sur elle-même. Le cœur continuant de battre à la chamade, Kate retourna la carte entre ses doigts tremblants et lut à haute voix :

— « La Reine Maëva est une sorcière légendaire. Elle a formé de jeunes sorciers en Irlande avant l'ouverture de l'école de sorcellerie de Poudlard ».
— La plous grande sorcière d'Irlande ! se vanta Eibhlin.
— Mais... si c'était elle ?!
— Aye, bien sûr que c'est elle la plous grande !
— Non, je veux dire... la fondatrice de Papillombre !

Eibhlin fronça derechef les sourcils, un air sérieux qui seyait assez mal à son visage encore poupin.

— Pourquoi ça serait elle ? Tou ne la connaissais même pas il y a deux minoutes !

L'excitation de Kate descendit d'un cran et elle se recentra sur ses pensées. Quand bien même ça aurait pu être le cas, certains éléments ne concordaient pas avec cette hypothèse de la continuité familiale et d'un possible lien avec le passé. Ni son père avant elle ou n'importe qui de la famille Whisper n'avait été à l'origine de phénomènes anormaux et sa mère était une Moldue comme tant d'autres, sans lien quelconque avec les sorciers. À moins que l'un de ses ancêtres lointains ait été un Cracmol...
Kate quitta le terrain de Quidditch en adressant d'expéditifs remerciements à l'attention d'Eibhlin, sans se rendre compte qu'elle partait après lui avoir subtilisé sa carte chocogrenouille... ! Sa course fut effrénée. Elle ne tenait plus. Elle voulait la vérité, elle voulait savoir. Et si la Reine Maëva était en effet actrice de ce chambardement au sein de l'école, il fallait en avoir le cœur net, sur l'instant.
Ce fut avec bien moins de gaité et d'allégresse que Rusard croisa la jeune fille, trop heureuse à son goût. Se retournant à son passage, il grommela un puissant et mécontent :

— Hé, fais attention où tu vas, espèce de petite imprudente !

Mais elle passa outre cette interpellation et se dirigea vers le donjon. Ses pieds enjambèrent les marches de la tour de Gryffondor et elle dut s'y reprendre à trois fois pour que la Grosse Dame lui cède le passage, si essoufflée qu'elle ne parvenait plus à articuler et à prononcer le mot de passe convenablement. Qui avait eu cette stupidité de proposer « Waddiwasi » comme nom de code pour pénétrer dans la salle commune pour ce trimestre ?!
Manquant de heurter de plein fouet un colosse de sixième année qui s'apprêtait à sortir, Kate feinta sous son bras et se pressa vers l'escalier qui menait aux dortoirs des filles. À cette heure de la journée, la chambre était vide. Les filles devaient préparer leur prochain numéro de l'Echo du Boursouf dans la grande salle et Mister Minnows profitait des feuilles mortes du dehors pour se constituer un camouflage de compétition pour ses chasses au rongeur. Cependant, le félin n'avait pas manqué de faire tomber sur son passage la boîte de Papilio Papilles que Kate avait posé sur le coin de sa table de nuit. Et en tombant, le petit carton avait laissé échapper ses friandises, qui voletaient dans tous les sens, dispersant du sucre dans toute la pièce à chaque battement d'ailes. Maggie allait être ravie de découvrir son oreiller caramélisé en revenant !
Cependant, sans y prêter d'attention, Kate se précipita vers sa table de chevet et tracta d'un geste brusque le tiroir. Comble de malchance, celui-ci se déboîta et lui tomba sur l'orteil. Après un juron résulté de son hurlement de douleur et d'un essai de sortilège pour apaiser la douleur, mais qui manqua de mettre le feu à sa chaussette, elle ramassa le livre, ouvert face contre terre. Quelle idée de génie d'avoir acheté cet ouvrage sur le chemin de Traverse, continuait-elle de penser.
Lorsque la page consacrée à la vie de la Reine Maëva tomba sous son nez, elle en dévora son contenu. En elle s'attisait l'espoir convaincu qu'elle correspondait au profil de la fondatrice de Papillombre. Il suffisait d'une preuve. Une toute petite preuve qui donnerait légitimité à l'existence de sa maison. Jusqu'à ce qu'elle tombe sur cette ligne :

« La Reine Maëva mourut avant l'âge de quarante ans, sans enfant à qui léguer son héritage de savoir et de sang. ».

La collision fut d'une violence mentale inouïe. Et Kate dut relire la phrase trois fois pour l'intégrer, bouche bée. Pas d'enfant, pas de descendance. Maëva ne pouvait pas être son ancêtre. Maëva ne pouvait pas être le lien de sang dont parlait le Choixpeau. Elle referma le livre, amère, et le jeta sur son lit.
Retour à la case départ...

Ludo Mentis AciemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant