Chapitre 117 - Alea Jacta Est

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Des heures. Cela faisait des heures qu'Emeric planchait sur son bureau, tapotant machinalement du doigt sur le parchemin, la plume calée entre l'index et le majeur. L'encre avait séché depuis quelques minutes. Quand il ne la tenait pas, il tripotait, sans trop savoir qu'en attendre, les gemmes qu'il avait alignées devant lui. Toutes semblaient le juger, disciplinées en rangs, attendant qu'il perce leur secret. En réalité, Emeric en était bien loin.
Il avait inscrit sur son parchemin la liste de ses expériences : il les avait tournées dans sa main ; lancées dans les airs ; les avaient assemblées pour tracer des formes ; les avait fait entrer en contact ; leur avait jeté des sortilèges... Mais rien n'avait été fructueux.
La nuit était tombée depuis des heures et Terry s'était écroulé de sommeil, un peu plus loin dans son lit. Ses ronflements ponctuaient le silence de la chambrée, quand les crépitements du feu de cheminée se faisaient discrets. Rien ne bougeait, tout n'était que sérénité, pourtant, l'esprit d'Emeric fonctionnait à plein régime. Il savait qu'il n'arriverait pas à trouver le sommeil tant qu'il n'avait pas donné son maximum. Il n'en était pas à sa première nuit blanche, ces dernières semaines, et des cernes commençaient à se creuser sous ses lunettes.
Afin de se détacher quelques instants de ses réflexions – dans l'espoir d'éveiller la découverte en revenant au sujet plus tard – il étudia sa baguette de pommier. Il se souvenait parfaitement du jour de son acquisition, lors de ses premières courses sur le Chemin de Traverse. C'était cette même après-midi qu'il avait rencontré Kate pour la première fois, mais elle ne l'avait pas remarqué. Il se remémorait, petit, en train de nager dans sa robe de sorcier chez Mrs Guipure, pendant que son père était trop occupé à discuter avec l'une de ses collègues. Kate aussi essayait ses futurs attributs de Poudlard – bien plus ajustés que les siens – et dansait de joie devant le miroir et le sourire ému de son père. Dès le début, il l'avait trouvée si belle, si authentique. Cette époque d'innocence était révolue désormais, mais il avait su garder Kate à ses côtés et mériter son amour.
Cette baguette également avait tant vécu. Maintenant qu'il connaissait sa nature, il comprenait mieux les sous-entendus de Wolffhart, mais ne parvenait à expliquer pourquoi celle-ci l'avait choisie. Tout sorcier compétent le savait : les baguettes de pommier ne convenaient qu'aux sorciers les plus purs dans leur démarche, les plus fidèles, et fonctionnaient très mal si on les contraignait à user de la magie noire. Le bois avait commencé à se fissurer, le jour où Emeric avait défendu Kate d'Electra en lui jetant un sortilège impardonnable. Depuis, la baguette persistait, sans se détériorer davantage. C'était plutôt un bon signe... Mais sa baguette lui prouvait qu'elle l'avait choisi en dépit de sa nature profonde. Elle lui faisait confiance...
Tout à coup, des râles, se muant en cris, le détournèrent de ses réflexions : Terry semblait endurer un terrible cauchemar. Soucieux, Emeric se leva et rejoignit son chevet. Le Poufsouffle transpirait à grosses gouttes, les dents serrées, et luttait dans son sommeil. Son ami hésita à le réveiller, de peur de déclencher une réaction trop brutale. Mais cela devenait presque insoutenable, tant Terry semblait souffrir :

— Terry ! l'appela-t-il. Terry ! C'est un cauchemar ! Terry !

Happé par son prénom, le concerné ouvrit des yeux et reprit le contrôle de sa respiration erratique. Il se passa une main sur le visage et dut se donner quelques secondes pour calculer son environnement et la présence d'Emeric, toujours inquiet, penché au-dessus de lui.

— Merlin, c'était juste... juste un mauvais rêve !
— Est-ce que tout va bien ?
— Tout... va mieux, on va dire !
— C'est rare que tu cauchemardes comme ça, fit remarquer Emeric.
— Ça... ça me semblait si réel. Je... je crois que je suis trop stressé en ce moment, c'est sûrement pour ça.
— Tu... veux en parler ? lui suggéra Emeric, un peu gêné, mais toujours disponible pour proposer son aide.

Il s'assit sur le lit pour marquer son assistance et Terry se livra, une fois redressé :

— C'est flou... mais il y avait du feu. Un incendie. Et je devais sauver Maggie. J'ai... j'ai réussi, enfin je crois. Mais moi... je...

Une vague de chaleur l'assaillit de nouveau et il se frotta la joue, comme pour s'assurer qu'elle n'était pas en train de fondre.

— C'était affreux... Je me suis senti en train de... brûler vif ! Je savais que je ne pouvais rien faire pour me sauver. J'étais... condamné. Et... heureusement, tu m'as réveillé !
— Quelle horreur... Je sais ce que c'est.
— Vraiment ?
— J'ai déjà fait un rêve, il y a longtemps, où j'ai cru me noyer. Je voyais la surface, mais j'étais incapable de l'atteindre. Je sentais l'air me manquer. Au moment de sombrer, je me suis réveillé. Je n'ai jamais autant apprécié une bouffée d'air de ma vie !

Terry lâcha un sourire fébrile et jeta un coup d'œil au feu, puis à la fenêtre, toujours noircie par la nuit.

— Quelle heure est-il ?

Une voix étouffée provint du tiroir ; celle de sa vieille Montromention qui avait entendu sa requête :

— Deux heures du matin et cinq minutes... l'heure du crime n'est pas loin. Oh, si seulement quelqu'un pouvait me tuer moi aussi. Mais je suis une montre... Personne ne tue les montres.
— Pourquoi tu n'as jamais voulu troquer ton modèle suicidaire par quelque chose de plus récent ? se questionna Emeric.
— Valeur sentimentale, je suppose. Ses gémissements me manqueraient... Mais qu'est-ce que tu fais encore debout à cette heure-là ? Tu devrais dormir. On a cours demain. Et ASPICS blancs la semaine prochaine !
— Oui, je devrais. Mais les cristaux...
— Les cristaux attendront demain ! Va te coucher. Tu as besoin de repos.
— Je suppose...

Il se leva et étira sa colonne vertébrale.

— Tu vas réussir à te rendormir ? s'assura-t-il auprès de son ami.
— J'espère... ! Même si le feu dans la cheminée me donne maintenant des frissons !

Ils fixèrent tous deux les flammes dans l'âtre, quand tout à coup, cette vision donna une idée à Emeric. Il se dirigea vers son bureau et attrapa le rubis, avant de le jeter sur les bûches, sous le regard pour le moins surpris de Terry.

— Préférentiellement, on met du bois pour nourrir un feu, j'espère ne pas te l'apprendre !
— Attends !

Plein d'espoir, Emeric guetta la réaction de la gemme jetée dans les flammes. Mais rien ne se produisit. Déçu, il ramena le rubis à l'aide de sa baguette magique et le fit léviter au bout le temps qu'il refroidisse. Terry le rejoignit et observa le feu.

— Tu pensais qu'elle allait te livrer ses secrets ?
— Ses pierres doivent bien réagir à quelque chose... Elles portent des indices. Il suffit juste de percer leur code. J'ai essayé beaucoup de choses, mais rien ne fonctionne. Il doit y avoir un moyen.
— Tu te mets beaucoup de pression, Emeric. Je m'inquiète réellement pour toi.
— Il faut que j'y parvienne !
— Sinon quoi ?
— Sinon, nous ne remporterons pas la coupe. La vie de Kate est en jeu. Et... j'ai l'impression de la trahir en échouant.
— Tu n'échoues pas.
— Elle... elle ne mérite que le bonheur. Tout est si sombre, si difficile, autour d'elle. Je veux véritablement l'aider.
— Tu le fais déjà. Crois-moi.

Circonspect, Emeric leva le regard vers Terry, qui lui accorda un sourire rassurant.

— Tu es sa lueur d'espoir pour l'avenir.
— J'aimerais le croire, mais je préférerais surtout le prouver.

Ils restèrent immobiles devant le feu quelques instants, leurs yeux se perdant entre les flammes.

— Tu sais, soupira Terry les bras croisés contre lui, un grand homme, du nom d'Albus Dumbledore, a dit un jour : « on peut trouver du bonheur, même dans les endroits les plus sombres... Il suffit de se souvenir d'allumer la lumière. ».

Emeric hocha la tête, touché par ces mots. Mais ces derniers prirent de plus en plus d'écho dans son esprit. Terry le devina en constatant ses yeux qui bougeaient de gauche à droite, signe qu'il cogitait intensément.

— Ce n'est pas vrai ? préféra-t-il s'assurer.
Aguamenti !

Le jet d'eau qui jaillit de la baguette d'Emeric éteignit les bûches dans un sifflement étouffé. La chambre fut entièrement plongée dans le noir.

— ... Alors en fait, ce n'était pas ça, le message de Dumbledore ! toussa Terry. Là, il fait très sombre !
Lumos !

La lumière succéda à l'eau et un halo blanchâtre éclaira leurs visages.

— Je t'avoue que je ne te suis pas toujours... concéda Terry.

Mais tout s'éclaircit pour lui quand Emeric passa le rubis devant le rai de lumière. Le reflet rougeâtre de la gemme se projeta sur le mur du fond. Ce qu'ils y virent les stupéfia. Si l'intérieur de la pierre demeurait translucide, la transposition de la lumière affichait en réalité ce qui semblait être une sorte de carte.

— Foutrecouille d'une gargouille... !
— C'est un plan ! s'exclama Emeric. Les... les gemmes donnent un plan !

Il les ramena toutes et les fit léviter au bout de sa baguette lumineuse. Mais toutes étaient mélangées, à la manière d'un puzzle coloré. Terry fonça chercher sa propre baguette dans sa table de chevet pour l'assister en interchangeant la place de certains cristaux pour reconstituer la carte. Hélas, il leur en marquait deux pour compléter le plan.

— C'est... étrange, fit remarquer Terry. Ça n'a pas l'air d'être un labyrinthe, mais il y a beaucoup d'informations...

Emeric essaya de trouver des repères avant de conclure :

— C'est Beauxbâtons et ses alentours !
— Hein ? Comment tu sais ça ? On ne voit pas l'Académie dessus !
— Simple logique ! L'Académie doit être sur une de mes pierres manquantes ! Regarde, là ! C'est notre tour ! Là, les serres ! Là, même, le Colisée !
— Et donc, c'est quoi... une chasse au trésor ?
— Il semblerait !
— Tu penses qu'ils ont disséminé des morceaux de coupe ?

Terry désignait par-là la multitude de petites croix flottantes à certains endroits, une par morceau de carte, soit dix pour Emeric.

— Cela m'étonnerait, réfléchit-il. Mais sûrement s'agit-il d'indices pour deviner l'emplacement de la Coupe...

Il se précipita sur son parchemin et dressa des colonnes, qu'il biffa à certains endroits.

— Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda Terry, qui peinait à suivre son train de pensée, sa baguette toujours levée pour garder le plan lumineux en visu.
— J'essaie de me rappeler ! Les gemmes !
— Oui ?
— Celles qu'ont récoltées Sigrid et Gabrielle !
— Hein ?
— Pour recouper et savoir si nous avons des éléments en commun !
— Quoi ? Mais attends, tu te rappelles de toutes les gemmes qu'elles ont réussi à récupérer ? J'arrive à peine à me remémorer les tiennes !
— J'ai... une bonne mémoire !

Une fois la liste terminée, Emeric afficha ses résultats sous le nez de Terry.

— Regarde ! Nous avons tous des informations uniques ! Par exemple, Sigrid est la seule à avoir une pyrite ! Gabrielle a une citrine, pas nous ! Et moi, le diamant et l'améthyste !
— Et... ça change quoi exactement ?
— Cela va déterminer notre stratégie. Par exemple, l'indice qui se trouve sur la case du diamant, nous sommes les seuls à savoir où il est caché. Quelque part, il est « protégé ». Reste à savoir si on cherche donc à s'emparer des autres en priorité, sur lesquels Sigrid et Gabrielle pourraient mettre la main dessus en premier si on n'arrive pas à temps ! Si Sigrid garde sa mentalité, elle n'hésitera pas à détruire les indices une fois qu'elle les aura consultés. Donc il vaut mieux se concentrer sur ceux que nous avons en commun, qui sont...

Il analysa le plan en plissant des yeux :

— Ce qui semble être le mont, les côtes, les serres botaniques, les jardins et les fontaines, et la bordure sud de la forêt !

Terry resta coi un moment, le temps d'intégrer toutes les informations. Puis, il raisonna :

— Je suppose qu'il n'y a pas besoin de tous les indices pour deviner l'emplacement de la coupe... Seul un certain nombre suffirait. Pour garder l'épreuve ouverte à tous les champions, même ceux qui n'ont pas réussi à tout collectionner, au niveau des gemmes.
— Probablement.
— Tu as un don de logique, Emeric. Je ne lancerai pas aux côtés de Sigrid pour te battre pour des indices... Tu devrais plutôt te concentrer sur les indices du diamant et de l'améthyste. Si cela se trouve, à eux seuls, ils te donneront la solution !
— C'est risqué...
— Plus que d'affronter Sigrid ? Je sais que tu es un très bon duelliste, mais c'est la dernière épreuve. Elle ne te fera pas de cadeau...

Terry n'avait pas tort et il avait bien des raisons d'être inquiet, Emeric devait l'admettre.

— On a une semaine pour se préparer. Investiguer le terrain, même s'ils n'ont pas encore placé les indices. Pour que j'essaie de monter un plan et les étapes les plus rapides pour relier les différents points.
— Tu es avantagé, pouffa Terry.

Emeric le questionna d'un regard interrogateur ; le Poufsouffle haussa des épaules.

— Tu es Animagus ! En étant transformé en chouette...
— En hibou, pour la millième fois, le harfang est un hibou, marmonna Emeric entre ses dents.
— ... tu pourras facilement les distancer en vol !
— Sigrid est aussi Animagus.
— Hein, vraiment ? Mais... pourquoi on ne l'a pas vu ? C'est un Animagus ridicule ? Genre, elle se métamorphose en criquet ?
— Elle peut prendre l'apparence d'un aigle.
— Ah, se calma Terry sur cette exclamation. Bon. En fait, elle pourrait te mettre en pièce en plein vol, ce n'est peut-être pas la meilleure idée, l'Animagus, en fin de compte !

Le Serdaigle soupira puis répéta :

— On a une semaine pour se préparer.

D'un habile sortilège, il récupéra les gemmes et les rangea dans sa bourse qui se noua par magie. La chambre restait plongée dans le noir, le Lumos au bout de leurs baguettes respectives.

— Tu vas réussir à te rendormir ? s'assura Emeric.
— Arrêtons un moment de trop nous inquiéter les uns pour les autres, d'accord ? sourit Terry. Bonne nuit, Emeric. Ne cogite pas trop ! Je te connais.

Le Poufsouffle rejoignit son lit et s'endormit en un rien de temps. Il en fallut davantage pour Emeric, qui devait calmer le rythme de son cœur excité. Mais quand il fermait les yeux, il voyait le sourire de Kate, sa malédiction levée grâce à la réunion des artéfacts, dont la Coupe qu'il avait remportée. Tout allait bien se passer...


Ludo Mentis AciemOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz