Chapitre 118 - La dernière tâche

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Personne ne dormit réellement, la veille de la dernière tâche. Les garçons de Serpentard faisaient le bazar dans leur chambre ; on entendait des murmures derrière la porte des filles de Serdaigle. Scarlett lut une partie de la nuit pour obliger ses yeux à se fatiguer tandis que Suzanna passait ses pellicules en revue sous sa couette. Kate et Terry avaient échangé leurs chambres pour rester cette nuit-là avec leur copain ou copine respectifs. Maggie n'arrivait pas à trouver de position pour dormir, entravée par son ventre et ses mouvements réveillaient le Poufsouffle, qui tentait de la contenir avec ses bras. Emeric répétait dans sa tête le plan de l'Académie qu'il avait appris par cœur ; Kate dissimulait autant que possible son angoisse à l'idée que demain soit la dernière journée, que les heures qui la séparaient d'Electra se comptaient sur les doigts des mains. Même Mister Minnows tournait en rond dans son panier sans trouver le sommeil.


Morgana n'échappa pas à ce sortilège d'insomnie collective qui s'était emparé de l'école. Désormais seule dans sa chambre depuis qu'Eibhlin était retournée à Poudlard, elle aspirait au calme. Cela n'était pas réellement le cas en son for intérieur. La fin d'année était proche. Bientôt, Morgana passerait ses ASPICS. Elle pourrait enfin quitter Midhope et les hurlements de sa mère, les souvenirs amers de son père, pour se réfugier dans un trou à rats avec le peu d'économies qu'elle avait mis de côté. Elle avait obtenu l'opportunité d'un apprentissage en serre pour fabriquer des boutures de mandragore. Cela n'était qu'un premier pas dans le domaine de la botanique, mais elle espérait ainsi intégrer, à l'avenir, un centre de recherche horticole magique plus prestigieux, comme celui de Cambridge, qui cultivait sous serre des plantes amazoniennes et australiennes connues pour être les plus dangereuses du monde.
Avec sa discrétion naturelle, elle descendit de la tour qui regroupait les dortoirs des élèves de Poudlard et marcha sans lumière à travers le parc pour rejoindre les serres. Elle n'osa pas allumer les ampoules de peur de réveiller les insectes de Mathieu et d'ainsi provoquer sa colère s'il se rendait compte que ses petits protégés avaient subi cette maltraitance nocturne. Mais l'ambiance revêtait, dans l'obscurité complète, un aspect onirique. Les lueurs bleutées des lucioles côtoyaient celles, incandescentes, de Caïus, le bousier de la Fournaise préféré de Mathieu. On pouvait entendre les cigales mauves chanter et d'autres bêtes frétiller dans leurs vivariums.


Morgana s'approcha de celui qui avait accueilli les papillons. Ceux-ci avaient succombé depuis longtemps, emportés à l'issue de leur courte vie. Mais Mathieu avait conservé les chrysalides et avaient investi dans de nouvelles chenilles particulièrement hideuses. Il ne restait de ces papillons qu'un souvenir. Un sentiment de honte, quand elle avait repoussé Mathieu. Depuis, Morgana s'était ressassé ce qui s'était passé et tout ce qu'elle avait pu vivre durant cette étrange année.


Bientôt, cela allait se terminer. Tout le monde se séparerait. Kate et elle prendraient de la distance. Elles avaient peut-être enterré la hache de guerre, si profondément plantée dans leurs cœurs pendant des années, mais Morgana ne se faisait pas d'illusions : elle serait vite oubliée, perdue de vue. Que pouvait-elle apporter dans la vie de l'incroyable Kate Whisper ? Qui avait tout vécu ? Qui était revenue de la mort, qu'elle-même lui avait infligée ? Morgana se revoyait encore lui planter le poignard dans sa poitrine... Dans ce cas, comment avait-elle pu trouver la force de lui pardonner son geste ?
Morgana se raccrochait encore à cet infime espoir, comme une lueur qui avait commencé à briller dans les ténèbres les plus sombres, celles qui l'avaient étouffée tout ce temps. Kate était bienveillante, Kate était tolérante. Kate pouvait peut-être accepter la vérité...
Après tout, elles avaient tant vécu toutes les deux, cette année. Des petits moments bénins, mais si significatifs aux yeux de Morgana. Elle ne pouvait pas laisser passer cette chance... Il ne restait plus beaucoup de temps. Une opportunité éphémère, à l'image d'un papillon.
En rassemblant tous ces heureux souvenirs avec Kate pour se donner du courage, Morgana fut titillée par une curieuse idée. Elle avait envie de se livrer à une expérience, jamais essayée auparavant, par manque de conviction. Lentement, elle tira la baguette de sa poche et l'agita dans le noir, en marmonnant dans de claires articulations :

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now