Chapitre 67 - Une journée dans la peau d'un Poufsouffle

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— Non, on ne peut pas sortir, ma chérie ! Il y a trop de vent dehors !

Cette phrase, Grace la répétait en même temps en langue des signes, devant une petite Abby rouge de colère, qui trépignait en faisant tourner ses auriculaires devant elle.

— Je sais que tu veux jouer au parc. Mais tu vas t'envoler ! Viens.

Elle attrapa la main de sa benjamine et la traîna jusqu'au salon. Grace installa des coussins par terre, s'assit sur l'un d'entre eux et attrapa la caisse de jouets. Quatre ans en arrière, au sortir de la guerre, elle n'aurait jamais imaginé revivre ce genre de moments. Sa maternité avec Kate lui paraissait tellement lointaine. Aujourd'hui elle retrouvait ce petit bonheur, de mener l'existence qui lui plaisait, de pouvoir rentrer de l'école pas trop tardivement et de s'occuper d'Abby, entre autres de continuer à élargir le vocabulaire de cette dernière pour faciliter leur communication. Mais surtout, elle avait, chaque soir, son mari qui revenait au foyer. Chose qu'elle n'aurait pu que prier l'année précédente...
Abby, mécontente de ne pas avoir ce qu'elle réclamait malgré les bonnes raisons de sa mère, s'assit en boudant. Alors, la télévision s'alluma sur une publicité pour de la mayonnaise.

— Abby !

Grace attrapa la télécommande et éteignit le poste. Mais Abby, déterminée à faire entendre ses caprices, le ralluma grâce à sa magie débutante.

— Ça suffit, Abby !

Décidant de recourir à une méthode plus définitive, Grace se leva et débrancha l'écran. Et face à cela, la magie d'Abby ne pouvait rien faire. La petite commença à geindre dans des sons discordants, puis à pleurer.

— Mais ma chérie, regarde ! dit Grace qui renversa la caisse de jouets devant elle. Tout ce que tu as !

Terriblement furieuse, Abby attrapa une figurine de girafe et la jeta le plus loin possible dans la pièce. Le jouet partit se perdre sous un meuble.

— Ton père ira le chercher... soupira Grace. Oh, et regarde celui-là ! Je sais que tu le connais !

La figurine de poney calma un instant la colère d'Abby, qui signa.

— Oui, un poney ! la félicita Grace en reproduisant le geste, la main sur la tête, ses doigts crochetés comme une frange sur son front. Il y en a un chez Jack et Alison ! Et comment il s'appelle ?
— Ben, signa Abby avec les lettres de l'alphabet.

À ce moment-là, la sonnette de la maison retentit. Grace souffla ; elle avait enfin réussi à se caler avec sa fille et craignait que cette interruption ne fasse ressurgir la colère d'Abby. Elle prit cette dernière dans ses bras, lui donna la figurine de poney pour la tranquilliser, et se dirigea vers l'entrée. Mais lorsqu'elle regarda à travers le judas, son cœur eut un soubresaut. Elle décida d'ouvrir la porte pour voir de ses deux yeux si ce qu'elle avait aperçu était réel.
Une femme d'âge mûr patientait sur le seuil. Mince, elle portait une longue robe noire, avec un sac ornementé de dentelles cuivrées. Son visage était creusé, surmonté de courts cheveux ternes et d'un sobre chapeau. Mais surtout, derrière ses lunettes rectangulaire, des yeux que Grace ne pouvait oublier. Car son mari et ses filles possédaient les mêmes.

— Harmony ?!
— Bonjour, Grace.

La sorcière fixait, dans une expression imperturbable, la petite Abby, qui observait la nouvelle arrivante avec de grandes mirettes.

— C'est... je vous présente Abby.
— Je vois que Phil et toi n'avez pas chômé. Elle a les mêmes yeux que son père, celle-là, encore.
— Qu'est-ce que vous faites là, Harmony ? demanda Grace, à la fois suspicieuse et toujours surprise.
— Je dois parler à mon fils, déclara-t-elle sans un sourire. Pour quelle autre raison serais-je là, à ton avis ?
— Phil est encore au travail. Il revient d'ici une heure.
— Je vois...

Ludo Mentis AciemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant