Chapitre 124 - L'opération Morpho

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GRAVESON - CINQ JOURS AVANT L'ECLIPSE


Le noir. Le silence. Le temps.
Les trois réunis étaient plus vicieux que la mort elle-même. La mort offrait la paix. Tandis que le noir, le silence et le temps maintenaient en vie, cruellement.
La cave n'était qu'une représentation matérielle d'un cauchemar.
Kate avait perdu le compte des jours. Elle s'était souvenue, assez vite, que ses yeux ne pouvaient s'habituer à des ténèbres aussi profondes, si loin de toute source de lumière. Quelquefois, pour le simple besoin d'utiliser sa vue, elle libérait une bille d'Immatériel luminescente. Puis, les angoisses revenaient, si fortes, qu'elle se sentait perdre le contrôle.
Deux fois par jour, la serrure s'enclenchait dans un bruit lourd et résonnant. Phil entrait, le pas nonchalant, et lui apportait une gamelle de nourriture. Même un chien aurait eu le droit à un meilleur traitement.

— Toujours pas changé d'avis ? lui demandait-il.
— Jamais. Tu es fou.
— Je suis tout à fait rationnel.
— Quel homme enfermerait sa propre fille dans un endroit qui l'a traumatisée ? La forcerait à se nourrir comme une bête. À dormir à côté de son seau de pisse ! Dans le noir complet H-24 ! C'est de la torture ! Tu entends ? De la torture !
— Je n'ai pas le choix.
— Bien sûr que tu avais le choix. Tu pouvais participer aux recherches ! Croire en l'autre option.
— Parce que toi, tu y croyais ? Sérieusement ? On aurait commencé les recherches il y a dix ans, Kate, j'y aurais cru. Mais ce n'est plus possible. Plus avec ces délais.
— Donc pour toi, le plus simple, c'est que je te tue ! Pour que je vive ! Mais que je vive quelle vie, papa ? Une vie de culpabilité ! De remords ! De deuil ! Je ne pourrai plus jamais regarder maman en face ! Ou Abby ! Ou même mon propre reflet dans la glace ! C'est cette vie que tu veux m'offrir ?
— Si tu tues le père que tu as aimé, oui. Mais si tu élimines ton tortionnaire, ça sera différent. Tu seras libre. Je ne doute pas que tu garderas un bon souvenir du père que j'ai été. Et je sais qu'un jour, tu comprendras.
— Non !

D'un geste rageur, elle bouscula sa gamelle, qui se fracassa contre un mur.

— Je ne comprendrai jamais !

Elle chercha à s'enfuir, mais le corps robuste de Phil s'interposa. La colère de Kate fut telle qu'elle s'emporta et usa de l'Immatériel pour le soulever et pour le plaquer au mur. Leurs yeux gris se croisèrent. Ceux de Phil ne cillaient pas, malgré la douleur d'avoir été ainsi épinglé, sans délicatesse. Elle avait franchi une étape. Elle utilisait son Immatériel contre lui. Elle qui s'était promis de ne jamais le faire...
Comprenant qu'elle avait franchi une limite, Kate s'écarta et le libéra de son emprise. Si proche de la porte entrouverte, elle prit ses jambes à son cou et grimpa les marches qui montaient vers une nouvelle noirceur. Étrangement, son père ne chercha pas à la suivre pour la rattraper. Plus insolite encore, les marches se mirent à redescendre et le tunnel déboucha sur une pièce. Identique à la cave.
Quand elle comprit qu'elle avait été piégée par un nouvel enchantement, elle voulut rebrousser chemin, mais la porte se referma derrière elle. Elle eut beau hurler de tous ses poumons, Phil ne répéta que d'une voix sombre :

— Tu comprendras.

Le noir, le silence, le temps revinrent, imperturbables.
Kate se traîna à genoux jusqu'au mur et ranima la lueur de son Immatériel au bout de ses doigts. Ces derniers, amochés, avaient perdu leurs ongles pour certains, à force de les râper sur la pierre, pour marquer en lettres de sang des inscriptions qui la hantaient depuis des années. Elle trouvait désormais une raison à tout ceci. Ses visions, ses rêves, ou même le monde du miroir, n'avaient cessé de l'avertir, des années durant.
« Ne le tue pas.
Ne le tue pas.
Ne le tue pas. »



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MAISON DES WHISPER - QUATRE JOURS AVANT L'ECLIPSE

Ludo Mentis AciemWhere stories live. Discover now