Chapitre 8 - Du sang dans la glèbe

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Des petits chuchotis bruissaient tout autour de sa tête, aussi lourde qu'une citrouille.

— On la réveille ? Dis, on la réveille ? J'en ai marre d'attendre !
— Chut ! Tu vas la réveiller !
— Je crois que c'est un peu le but...

Attrapant des bribes de la conversation secrète, Kate fronça les sourcils tout en ramenant les couvertures contre elle. Avant de papillonner des paupières et de voir ses quatre amies regroupées et penchées au-dessus d'elle. Cette vision, bien peu habituelle au réveil, lui fit d'office écarquiller ses yeux encore pesants de fatigue, un hoquet coincé en travers de la gorge. Toutes exhibaient un large sourire de satisfaction.

— Joyeux anniversaire ! 

Leur clameur fut telle que Kate se redressa, entre effroi et félicité, elle-même ne pouvant retenir un sourire allègre. Car ce matin, ce matin du 8 mars, la petite Kate fêtait le début de sa douzième année en ce bas monde.
Moira, qui était carrément montée sur le matelas pour pouvoir être à hauteur, fut la première à lui tendre un petit paquet :

— Moi d'abord !
— C'est pour moi ? s'étrangla Kate, qui se n'attendait pas à une telle surprise.
— Si tu n'es pas heureuse, je veux bien le prendre à ta place ! railla Maggie avec un sourire sournois.

Ces paroles furent accueillis par un regard blasé et unanime de ses camarades jusqu'à ce que Kate se décide à déballer son premier cadeau, empaqueté à la va-vite dans un vieux numéro de la Gazette du Sorcier.

— Oh, les Ballongommes du Buvard ! Merci Moira !
— De rien ! Si tu pouvais en coller un de temps en temps dans les cheveux de Maggie, cela me rendrait service !
— Olala ! J'espère que tu n'en laisseras pas traîner dans la chambre ! s'affola Scarlett, d'une petite voix, toujours aussi pointilleuse à propos de l'état de leur dortoir. C'est impossible à décoller ce truc !
— A moi, à moi ! 

Suzanna imposa à son tour son présent, qui n'était en fait qu'une feuille de dessin, où des bonhommes grossièrement tracés et animés représentaient Kate et ses amies l'entraînant aux sortilèges, qui se soldaient toujours d'une énorme explosion qui les faisaient voltiger, les cheveux en flammes.

— Aha ! Merci Suzanna, ricana Kate, aussi amusée que grinçante. Je l'accrocherai dans ma chambre, chez mes parents.

Puis, ce fut le cadeau de Scarlett, déjà mieux emballé que celui de Moira...

— C'est une gomme magique, lui expliqua-t-elle lorsque Kate jeta un regard interrogatif sur l'objet légèrement mou en forme de balai volant, aussi grand qu'un doigt. Elle permet d'effacer l'encre. Très pratique pour les devoirs ! Ca t'évitera de brûler ton parchemin en essayant de te corriger avec un sort !
— Ah, bien... merci ! bredouilla Kate, qui ne s'attendait pas à cette dernière remarque, encore une fois blessante.

Au fond d'elle-même et malgré leur gentillesse, Kate se jura que si le dernier cadeau de Maggie avait un rapport avec son incompétence, elle leur ferait comprendre son avis une fois pour toutes. Pourtant, lorsqu'elle reçut le présent de la part de Maggie, tout petit et insignifiant par sa taille, elle ne s'attendait pas à recevoir une ravissante barrette en or, son extrémité ronde se terminant par un minuscule vif d'or aux ailes aussi petites que celles d'une mouche.

— C'est la même que la mienne, lui fit-elle remarquer en lui désignant la barrette qui maintenait ses courts cheveux blonds foncés et dessinant des boucles mal agencées.
— Elle est très jolie... ! assura Kate en enfilant la barrette sur une mèche rebelle récalcitrante. Merci beaucoup...

Puis, la petite fille se dépêtra de ses draps et se leva de son lit, avant de s'éloigner pour s'habiller. ...tonnées par son comportement si peu enjoué malgré cette date d'anniversaire, ses amies se concertèrent en chuchotant :

— Qu'est-ce qu'il lui arrive ?
— Tu crois que nos cadeaux ne lui ont pas plu ?
— Elle semble presque triste...

Depuis la retenue avec Wolffhart, l'espièglerie innocente de Kate s'était éteinte et ses camarades de Gryffondor l'avaient bien remarqué. Mais ce jour-là, la petite fille paraissait plus perdue encore... 

***



Après un petit-déjeuner consommé dans la solitude, Kate se rendit sur les rives ensoleillées du lac noir, emportant avec elle son matériel de dessin que sa mère lui avait offert à Noël. Assise dans l'herbe verdoyante à la veille de la renaissance printanière, elle traçait au crayon les courbes des collines et la ligne du lac, sa surface frissonnante sous la brise matinale. Ce dessin semblait être la dernière solution de Kate pour fuir à ses pensées obsédantes. L'expérience avec Wolffhart avait chamboulé l'idée qu'elle s'était faite de la magie. De ses propres capacités. Et les mots de son professeur, qui avait laissé sous-entendre qu'elle était peut-être une sorte de Cracmol cachée qui ne méritait pas sa place à Poudlard, continuaient de résonner dans sa tête. Wolffhart n'avait pas totalement eu tort... Comment pouvait-elle continuer naïvement sa scolarité si elle ne pouvait pas être capable de lancer un sort correct sans passer par les menaces et la pression ? Cela ne pouvait pas durer sept ans... 

— Kate ?

Malgré l'appel de la petite voix, l'interpellée ne se retourna pas. Morgana vint prendre place aux côtés de son amie, le visage à moitié blotti dans son écharpe couleur prune. Toutes deux demeurèrent un instant silencieuse, tandis que Kate noircissait les ombres des collines sur son dessin.

— Je t'ai cherchée partout...
— Comment m'as-tu trouvé ? gromella Kate.
— Justement, en te cherchant... Ça ne va pas ?

Le ton conciliant de son amie de Serpentard la poussa aux confidences :

— Je déteste cette journée... 
— Pourtant... c'est ton anniversaire !
— Je n'aime pas... ou plutôt... je n'aime plus mon anniversaire.

Morgana assombrit le regard sous ses fins sourcils noirs, lui conférant son expression glaciale.

— Pourquoi ? Un de tes anciens anniversaires s'est mal passé ?

Les traits de Kate sur sa feuille se firent plus appuyés, plus durs, plus frénétique, comme si elle transmettait toutes ses émotions à son crayon.

— Il y a un an, articula-t-elle avec difficulté, je passais mon anniversaire dans une cave, à Graveson.

Morgana hochait la tête, respectueuse et attentive au récit de son amie.

— Je n'ai pas de cadeau. Je n'ai pas mangé ce jour-là. Pas de cadeaux, pas de bougies. La nuit de mon anniversaire... c'est là que les Mangemorts sont entrés dans la maison...
— Ce que tu avais raconté au début de l'année, au premier cours d'Harry Potter ?

Kate confirma d'un geste lent du menton, les yeux égarés dans le vide en se remémorant cet épisode douloureux de sa petite vie.

— A mon dernier anniversaire, j'ai vu la mort. Et mon père a failli être tué... Après ce jour, je me suis dit que je n'aurais jamais dû naître, ce 8 mars. Que mes parents auraient dû s'enfuir tous les deux, sans avoir à garder sans cesse une gamine avec eux. Une gamine incapable de lancer un sort correctement... On a été traqué, chassé comme des bêtes. Je hais mon anniversaire. Maintenant, il me rappelle que j'aurais peut-être dû ne pas exister plutôt que de subir ce que j'ai vu. Quand j'ai intégré Poudlard, j'étais si heureuse. Je pensais que j'allais pouvoir enfin apprendre à me défendre, à pouvoir défendre mes parents à leur tour, comme ils l'ont fait pour moi. Je me fais honte. Je leur fais honte. Je ne suis capable de rien... Tout le monde est si gentil avec moi alors que je ne le mérite pas...
— Si, tu le mérites...

Les yeux humides de Kate croisèrent ceux, au reflet d'acier, de Morgana, impassible.

— Tu ne te rends pas compte à quel point tu es serviable, humble... Regarde, tu m'as acceptée comme amie, tu n'as pas eu peur de moi, tu n'as pas eu de préjugés, alors que tout le monde ne voit en moi qu'une fille de Mangemort condamné à Azkaban. Tu arrives à supporter Maggie alors que tout le monde la considère comme une peste. Et Moira, tu accepte qu'elle te donne des cours de sortilèges alors que les gens se moquent d'elle à cause de sa taille. Toi, tu n'as jamais ridiculisé quelqu'un. Tu tends la main aux autres et tu les prends tels qu'ils sont. C'est une qualité rare, encore plus que la magie dans notre monde. Je ne te connais pas défaitiste ou fataliste. Toujours une battante.

Puis, elle sortit de la poche de sa cape un petit papillon en papier violet.

— Il faut te dire que maintenant, ton anniversaire, ce n'est plus la cave où tu étais enfermée. Mais c'est quelque chose que tu fêtes désormais avec tes amis... Ne te laisse pas ronger par ton passé, le futur sera toujours plus beau...

Le papillon de papier secoua ses petites ailes pour prendre son envol, voleta dans les airs avant de se déposer dans les doigts tremblants de Kate. Sur tout le contour de ses ailerons étaient écrits en lettres noires et calligraphiées les mots répétés : « amitié ». Le cœur de Kate en fut tout émotionné.

— Nous sommes tous là pour toi, Kate... Joyeux anniversaire.

Emue jusqu'aux larmes, la petite fille se jeta dans les bras de Morgana pour lui témoigner à quel point ce geste la touchait au plus profond d'elle-même. Un peu surprise dans un premier temps, Morgana partagea tout de même son accolade. Elle n'avait pas l'habitude de partager avec autrui de telles preuves d'amitié, elle qui n'avait vécu que dans l'optique d'être et de rester une sang-pure outre mesure et qui n'avait appris qu'à garder des distances avec les autres.
Morgana esquissa un très léger sourire en s'écartant de Kate, qui effaça d'un revers de main les larmes qui ruisselaient sur ses joues, autant de peine passée que de joie présente.

— Ca te dit de m'accompagner pour le match de Quidditch de samedi prochain ? lui lança la fille à la cravate verte. Qu'on soit dans les mêmes gradins... !
— Même si c'est Gryffondor contre Serpentard ? hoqueta Kate.
— On soutiendra chacune notre équipe ! Ca pourra être drôle !
— Bon... J'espère que tu n'es pas aussi mauvaise perdante que Maggie !

Ludo Mentis AciemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant