OS60 Le temps passe

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Jack avait l'impression qu'un étau lui enserrait la poitrine. Constamment, écrasant peu à peu son cœur, broyant tout sur son passage. Il se resserrait, encore et encore, inlassablement, depuis tellement, tellement longtemps.

Cet étau était un mélange de colère, de rancœur, de frustration, de tristesse, de rage, de désespoir. Il ne semblait pas vouloir s'en aller et plus le temps passait, plus Jack le sentait s'ancrer encore plus profondément en lui.

Il ignora la minuscule fée qui voletait tel un colibri devait, gazouillant des paroles dans un langage qu'il pouvait étrangement comprendre pour le réconforter. Il détourna la tête, rejetant les paroles compatissantes de celle qu'il avait nommé Quenotte. Ses yeux bleus comme la glace étaient remplis de larmes gelées, comme souvent ces temps-ci. Il entendit un faible éternuement à côté de lui et vit du coin de l'œil Quenotte secouer la tête.

-Va-t'en, tu vas tomber malade, dit-il en se détournant un peu plus, les genoux repliés sur sa poitrine.

Quenotte ne répondit pas mais Jack l'entendit s'éloigner, le bruit de ses ailes s'évanouissant dans la nuit. Il retourna la tête dans la direction où elle était partie, une expression triste sur le visage.

Reportant son attention sur la ville, il observa la neige tomber, tomber, tomber et tomber encore. Voilà des mois qu'elle tombait ainsi, encore et encore, sans jamais se lasser.

La météo de l'hiver comme de l'été était intimement liée avec les émotions de Jack. Lorsqu'il se sentait seul ou triste, la neige commençait à tomber doucement. Généralement, son tempérament joueur reprenait rapidement le dessus et il ne s'autorisait pas à perdre ainsi le contrôle pendant les jours d'été, où la neige n'était pas censée apparaître, ou du moins, pas là où il vivait.

Mais aujourd'hui, aujourd'hui, il n'en avait plus rien à faire. La neige tombait, tombait et tombait, sans jamais s'arrêter et l'étau se resserrait, se resserrait et se resserrait sans jamais lui laisser un instant de répit.

Ses yeux se posèrent sur le parc de la ville. Son cœur se serra douloureusement. Il avait passé beaucoup de temps dans ce parc. Ses amis avaient toujours été de grands amateurs de batailles boules de neige. Il se revoyait encore s'allier à Harold pour lapider de neige les deux filles pour finir par le trahir et envoyer sa neige de tous côtés. Il revoyait l'air offensé d'Harold, la main dramatiquement posée sur son cœur comme s'il avait été profondément blessé par ses actes. Il revoyait Mérida et Raiponce profiter de ce moment pour bombarder Harold de boules de neige fournies par Jack lui-même. Et il les revoyait éclater de rire tous les quatre, allongés dans la neige et trempés de la tête aux pieds.

Il se souvenait des rendez-vous au lac où il vivait, pour faire du patin à glace et passer du temps ensemble. Il se souvenait des livres que dévorait Raiponce. Des cibles et des flèches, du talent incontestable de Mérida pour le tir à l'arc. Du fidèle chien noir d'Harold qui s'amusait à manger la neige et aux magnifiques dessins que son ami brun faisait sur la glace et auxquels il donnait vie.

Il sentait encore la douce odeur de cannelle qui embaumait toujours l'appartement de Raiponce. Il avait encore dans la bouche le goût des plats que cuisinait Harold. La musique écossaise qu'affectionnait tant Mérida résonnait encore à ses oreilles.

Il se revoyait discuter filles avec Harold, se faire battre à plate couture aux jeux vidéos par Mérida et apprendre à lire, ce dont il n'avait jamais vraiment eu l'occasion, avec Raiponce.

Tous ces souvenirs, il les chérissait plus que sa propre vie. Mérida, Harold et Raiponce avaient toujours été là pour lui et il s'était fait la promesse de toujours leur rendre la pareille. Mais à présent... Tout était différent. Il avait vu ses amis grandir, vieillir. Se faire embaucher, monter dans la hiérarchie. Se marier pour deux d'entre eux. Avoir des enfants. Les élever, fêter toujours plus d'anniversaires. Et il les avait vus défaillir, perdre de leur vitalité. Pâlir, vieillir et mourir, les uns après les autres. Il les avait vus ridés, le teint terne, fatigués, sur leur lit de mort. Il les avait vu, lui qui n'avait pas bougé.

Et maintenant, ils étaient tous les trois partis. C'était fini. Tout ce qu'ils avaient vécu, les joies, les rires, les batailles de boules de neige, tout cela n'étaient plus que des souvenirs qui n'avaient plus que Jack comme gardien. Le monde doré dans lequel il avait été plongé en les rencontrant redevenait gris, terne et sans couleur. Ils n'étaient plus là et à présent, il était seul.

Des larmes coulèrent sur ses joues alors que la neige s'intensifiait encore. Jack menaçait de plonger la Terre entière dans une nouvelle ère glaciaire. Mais il s'en fichait. Le froid ne l'avait jamais dérangé. Et il n'avait plus personne pour réchauffer son cœur.

A vrai dire, ce dernier point était un mensonge. Il n'était pas totalement seul. Il y avait encore une tâche de couleur dans son monde gris, vivante et éclatante. Il l'entendit se poser près de lui et la sentit passer un bras autour de ses épaules.

-Je vais te donner froid, dit-il d'un ton triste.

Malgré ses paroles, il s'appuya contre la forme près de lui, posant sa tête sur son épaule.

-Tu sais que je ne peux pas tomber malade, répliqua Fée en caressant doucement la joue du garçon de la main.

Jack ne répondit pas et se contenta de se réfugier une fois de plus dans les bras réconfortants de Fée. Elle était bien la seule devant laquelle il pleurait sans avoir peur d'être jugé et il ne s'en priva pas. Dès que les bras de la fée se renfermèrent autour de lui, il éclata en sanglots. Le vent se mit à souffler, hurlant tel un loup dans la nuit.

Fée frotta doucement le dos de Jack pour le calmer, alors que le jeune homme ne parvenait pas à faire cesser ses larmes.

-Pourquoi Fée ? demanda-t-il d'une voix étranglée. Pourquoi est-ce qu'il n'en a pas fait des Gardiens ? Pourquoi est-ce qu'ils devaient mourir et me laisser là ?

Fée baissa les yeux vers lui. Il posait toujours les mêmes questions lors de crise telle que celle-là. Il s'accrochait à ses souvenirs. Il refusait de laisser aller, de tourner la page. Plus rien ne pouvait être fait, Jack le savait bien, mais il continuait à s'enfoncer dans sa tristesse et son désespoir.

-Jack, imagine s'ils avaient été immortels, répondit-elle. Imagine-les souffrir en voyant tous leurs proches mourir sous leurs yeux sans pouvoir rien faire. Est-ce que tu leur aurais souhaité une telle souffrance ?

Comment souhaiter quelque chose qui le rongeait de l'intérieur depuis si longtemps à ses plus proches amis ?

-Non, souffla Jack. Mais... J'aurais voulu... J'aurais voulu avoir plus de temps...

-Tout à une fin Jack.

-Sauf nous, répliqua-t-il. Les Gardiens sont immortels. Parfois, je préférerais ne jamais avoir été choisi par la Lune.

-Et j'aurais été seule, répondit Fée en caressant ses cheveux. Jack, quoi que tu souhaites, il y aura toujours des conséquences. C'est ainsi et rien ne pourra jamais le changer.

-Je sais.

Fée continua à serrer Jack dans ses bras jusqu'à ce que la neige se calme. Finalement, la respiration du jeune garçon se ralentit, ses épaules cessèrent de tressauter et ses sanglots se firent plus rares.

Fée déposa un baiser dans les cheveux blancs du jeune homme. Il avait été anéanti par la disparition de ses amis. Il allait lui falloir du temps pour s'en remettre, cela était certain. Mais Fée était déterminée à ne pas l'abandonner elle-aussi.

Si tu voulais m'aimerWhere stories live. Discover now