Chapitre [6]

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Junot avait été envoyé à Toulon, soit à l'opposé totale de sa précédente location, et ce n'était pas pour prendre des vacances dans le Sud.

C'était loin d'en être, des vacances, d'ailleurs, vu les bruits de canon continuels qui duraient depuis des semaines et auxquels il s'était habitué.

Mais il ne s'en ira que quand ces ordures d'anglais et de royalistes ne marcheront plus sur le sol français! Oui, la dernière fois c'était les autrichiens, maintenant c'était les anglais et les royalistes. Les pays voisins profitaient vraiment de la faible stabilité de la France pour l'attaquer, et tenter d'y remettre la monarchie. Pas cool.

Oui, parce que le but, à la base, c'était de reprendre la ville de Toulon aux royalistes. Manque de pot, on avait pas prévu que les anglais débarqueraient au port pour les aider. Résultat, une bataille acharnée qui durait sur mer et sur terre, et qui ne menait à rien depuis des semaines vu qu'aucun des deux camps n'acceptait de capituler.

Junot s'arrêta de tirer et s'assit contre la barricade, grimaçant face à ces bruits qui lui perçaient les tympans. Par réflexe, il remplit son fusil de poudre, une énième fois. Mais pour tirer sur qui? Le brouillard causé par la poussière rendait quoi que ce soit imperceptible et aucune cible n'était visible. Ce serait encore plus utile de courir droit à l'ennemi... et puis, cela faisait plus d'un mois qu'ils se battaient et toujours pas d'avancée. Peut-être juste un mètre de terre récupéré au niveau du flanc gauche. À peine.

Il se remit debout, il n'avait pas le temps d'être fatigué, et tira encore dans le vide. C'était du gaspillage de balles... le fusil ne servait à rien dans des situations comme celle-là. Il s'arrêta, observant sans expression un canon s'écraser a quelques mètres de lui.

La mort peut être si proche parfois.

Plus loin, un commandant venu de Paris pour diriger les opérations de ce siège dérangea un des lieutenants qui était occupé à faire on-ne-sait quoi dans ce brouhaha de poussière.

- Excusez-moi, auriez-vous connaissance d'un jeune sous-officier doté à la fois d'audace et d'intelligence?

- Pardon? Oh, j'en connais un de bien courageux! L'audace n'est peut-être pas son fort, mais il n'est pas idiot.

- Amenez-le moi.

Le lieutenant se hâta et cria, sans trop s'approcher des canons :

- SERGENT JUNOT! VENEZ DONC ICI, NOUS AVONS BESOIN DE VOUS!

Celui-ci, immobile sous la vue du spectacle qu'il avait sous les yeux, tourna la tête en haussant un sourcil. Ce n'était pas souvent qu'on l'appelait. Ah, il l'aimait, son nouveau titre de sergent... il faut dire qu'il avait été si courageux, que ses camarades lui avaient directement offert.

Il finit par s'approcher, curieux.

- Qu'y a-t-il? Demanda-t-il une fois qu'il fut à leur hauteur.

Le commandant le regarda quelques secondes. Étonnant, cet homme ne semblait pas troublé le moins du monde par le combat omniprésent. Ce devrait être le bon homme.

- Tu vas effectuer une mission. Tu vas quitter ton habit, lui dit-il, et tu iras là porter cet ordre.

Il lui montra un point au loin et lui tendit un morceau de papier à peine bien refermé.

Junot ne mit pas longtemps à comprendre qu'on voulait de lui qu'il aille s'infiltrer chez l'ennemi. Ses sourcils se froncèrent.

- Je ne suis pas un espion! Cherchez un autre que moi pour exécuter votre ordre.

Il allait se retirer quand son supérieur le retint.

- Tu refuses d'obéir? Lui dit ce dernier d'un ton sévère. Sais-tu bien à quoi tu t'exposes?!

Junot le fixa dans les yeux avec un sérieux bien trop exagéré, une sorte de défiance.

- Je suis prêt à obéir, j'irai là où vous m'envoyez, mais avec mon uniforme, où je n'irai pas! Abandonner la patrie, et mettre l'un de leurs hideux uniformes, c'est encore bien trop d'honneur pour ces... Anglais. J'y vais, mais je reste ainsi.

- Mais ils te tueront!

- Qu'est-ce que cela vous importe? Vous ne me connaissez pas assez pour que cela vous fasse de la peine et quant à moi, ça m'est égal... Alors, je pars comme je suis, n'est-ce pas?

Le commandant le regardait d'un air presque ahuri.

- Bien! Reprit-il, avec mon sabre et mon fusil, du moins la conversation ne languira pas, si ces messieurs veulent causer!

Et il partit en chantant.

Pensait-ils sérieusement qu'il allait abandonner son honneur de français?!

Après son départ, un homme qui avait entendu la conversation de loin s'approcha du commandant tout en observant le sergent s'éloigner.

- Comment s'appelle ce jeune homme? demanda-t-il.

- Oh, Capitaine Buonaparte! Il s'appelle Junot. N'est-il pas fou? Des hommes comme lui, on en croise pratiquement jamais.

Un sourire se dessina sur les lèvres du Corse.

- Hm, Junot, c'est bien cela... Il fera son chemin, j'espère le revoir. Il m'a l'air intéressant.

~ ☘ ~

- Vous voulez que je... brûle la flotte française? Moi??

Sidney Smith regardait ses supérieurs avec un air d'étonnement mélangé à de la joie.

Joie, pas parce qu'on lui avait demandé de brûler une flotte ennemie, mais parce qu'il allait avoir la fierté de le faire.

Nelson l'observa avec une expression sérieuse, qui contrastait bien trop avec le caractère naïf de son homologue.

- Vous avez intérêt à le faire avec la véritable loyauté d'un sujet britannique pour son Roi, et avec la bravoure d'un soldat.

- Je suis plus brave que n'importe qui!

- Vous avez l'air de prendre cela trop à la légère à mon goût.

- C'est vous qui prenez tout trop au sérieux!

- Smith, nous sommes en guerre!!

- Et vous voulez me faire croire que la guerre est quelque chose de sérieux? Même les animaux ont des actions plus sensées!

- Si la guerre n'était pas devant nous, vous seriez un simple marin sur un bateau de marchandise voguant vers les Indes! Vous devriez être reconnaissant d'avoir été choisi pour prendre part à ce conflit.

- Les Indiens sont plus aimables que les Français... et s'il y a bien une chose pour laquelle je ne lui suis pas reconnaissante, c'est de m'avoir mis dans le même bateau que vous, au sens propre comme au figuré.

- Croyez-moi, cela me fait autant plaisir à vous qu'à moi! Siffla-t-il ironiquement. Mais bref, nous ne devons pas perdre de temps ; allez tout préparer, et bientôt... la flotte des Français sera réduite en cendres et gisera au fond de l'océan!

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now