Chapitre [124]

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La vie en Bourgogne était si calme et paisible, de fait que même s'il ne se passait rien d'intéressant de ses journées, Napoléon n'avait même pas encore songé à la date de son retour à Paris. Ah, Paris... les Tuileries... l'effervescence de la foule... tout cela lui était revenu à l'esprit lorsque Junot l'avait averti de l'arrivée d'une lettre de sa propre femme, qu'il avait d'ailleurs brûlé sans la lire, acte dont s'était amusé son compagnon.

Et Joséphine... pensait-elle à lui..? Voilà qu'il pensait à elle en cette nuit d'insomnie, alors que Junot dormait paisiblement contre lui. En bavant sur sa chemise. Bon, c'était moins charmant. Joséphine... il s'était entiché d'elle comme une jeune princesse s'énamoure du premier beau prince venu. Sauf que dans l'histoire, ce n'était pas lui, le beau prince. Oui, il l'avait épousée, avec cet empressement et cette hâte qu'ont les jeunes passions amoureuses irréfléchies. Mais une fois que l'amour s'était enfui, laissant derrière lui des infidèlités et des trahisons, il n'avait laissé que des souvenirs flous et des regrets.

Mais... Junot... était-ce... de l'amour qu'il ressentait pour lui? Le même amour qu'il avait eu pour Joséphine? Ah, il ne savait pas, il ne savait plus, il n'avait jamais réussi à vraiment comprendre la nature de cette immense affection qu'il lui vouait. L'amour, quelle affaire compliqué, et il n'en était pas des plus doués! Pourquoi ne pourrait-on pas résoudre le problème du cœur à l'aide d'une équation ou le gagner en formant une stratégie bien cadrée? Il réfléchit. L'amour, comme à la guerre. Supposons que l'être désiré soit un terrain neutre. Le rival, c'est l'ennemi. Les soldats, ce sont les différentes manipulations qui lui serviraient à attaquer son rival. Toute une machinerie se mit en place dans son esprit. S'il envoyait des soldats des deux côtés, le rival serait entouré, perdu et abandonnerait la conquête. Après moult minutes à laisser son esprit cogiter, il se rendit compte d'une chose. Il avait trouvé comment se débarrasser du rival, mais pas comment faire de cette conquête la sienne. Pour améliorer une influence sur une terre, il faut y installer de sa population. Donc, il faut installer en l'esprit et le cœur de cette personne notre propre marque. Voyons. Les canons sont les signes d'affections osés. Les balles les petits gestes directs mais discrets. Les sabres les coups tranchants qui blessent votre cœur à l'aide d'une seule phrase... tout cela était bien trop complexe. Il devait coucher ces réflexions sur papier.

Il voulu se relever, mais s'arrêta net en voyant le blondinet collé à lui. Il n'était même pas seulement collé à lui. Il était carrément SUR lui. Il n'allait quand même pas risquer de le réveiller... et puis... il ne voulait pas se séparer de cette étreinte si agréable...

Finalement, il resta cloué sur le lit, et rapprocha même son amant de son corps, si c'était encore possible. Tant pis pour le plan stratégique de Marengo version La Princesse de Clèves.

Le lendemain, ces pensées ne semblaient pas l'avoir quitté puisqu'alors qu'il grimpait ardûment une colline avec un Junot surexcité qui ne se fatiguait jamais, elles le tracassaient encore.

L'amour... l'amour... deux syllabes à la définition plus compliquée que les mathématiques et la compréhension de vieux essais politiques réunis.

- Mon général, quel paresseux vous faites!

Le souffle coupé, il lança un regard noir à Junot qui s'était arrêté et le toisait avec les bras croisés.

- J'ai plus l'habitude d'être à cheval qu'à pied! Railla-t-il.

- Pff... pourtant vous marchez des kilomètres et des kilomètres sur les routes...

- Car c'est PLAT! Et que tu marches à mes côtés au lieu de me devancer et de courir comme un enfant en te moquant de moi!

- Ah, voilà ce que c'est que de rester toute la journée dans son fauteuil! Un jour, vous finirez par prendre du poids en plus de perdre vos cheveux!

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant