Chapitre [125]

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- Comment avez-vous trouvé la pièce?

Cambacérès leva la tête. Devant lui se tenait le premier consul, une expression simple collée au visage. Non, ce n'était pas lui... il avait quelque chose de différent. Ses yeux. Ils n'étaient pas bleus, mais bruns.

- ...Citoyen premier consul, osa-t-il. Vous aussi, vous êtes venu voir la pièce? Je l'ai trouvée très bien jouée, surtout par cette actrice principale qui jouait un rôle d'homme. C'était une idée ingénieuse.

Lucien sourit légèrement. C'était toujours aussi drôle, de se faire passer pour son frère. Il se rappela quand il avait signé ces lois à sa place, sur l'esclavage, la place des femmes, les travestis. De bons moments, vraiment.

- Oui, oui. À présent que je vous vois, je dois vous parler d'une chose.

Il avait réussi à convaincre un comte influent - qui allait répandre l'idée - qu'il souhaitait devenir empereur. Il était temps de passer aux choses sérieuses : convaincre le second consul.

- Il n'est pas tard, fit mine de remarquer Lucien en jetant un œil à une fenêtre. Restez, et nous causerons ensemble. Je ne serais pas fâché, cher collègue, de discuter avec vous sur ma position actuelle. Les étrangers me traitent bien, mais comme dans notre gouvernement rien de leur paraît stable, ils ne me font pas autant confiance que je le souhaiterais. Pour eux, un consulat n'est malheureusement pas signe d'une bonne organisation... cela gêne les rapports diplomatiques. N'y aurait-il pas une solution?

Cambacérès haussa un sourcil. Son interlocuteur l'intriguait de plus en plus. Ce n'était pas le premier consul, il en était certain. Tout d'abord, jamais celui-ci ne s'était plaint de sa place, il en était même très satisfait. C'était alors bien étrange que soudain, il la répugne presque, même cachée sous une excuse de diplomatie. Ensuite, à ses yeux se rajoutaient une expression et une allure qu'il ne voyait jamais sur l'homme avec lequel il travaillait tous les jours. Il devait s'agir de l'uns de ses frères, voire de l'unes de ses sœurs, qui sait. En tout cas, cet imposteur n'était pas n'importe qui, puisqu'il savait imiter à la perfection l'approche et la façon de parler du véritable Napoléon. À l'exception, peut-être, de cette pointe de méprise qui le trahissait...

- Une solution... répéta Cambacérès. Voudriez-vous renforcer certaines lois, certaines institutions?

- Non, ce serait trop doux comme changement, trop faible! Il faudrait un souverain, un vrai, en qui le peuple puisse avoir confiance! Un souverain comme un Roi! Dit-il pour atténuer son idée d'Empire.

Il fallait y aller crescendo.

Là, c'était décidé, ce n'était absolument pas Napoléon. Mais il ne fit aucune remarque. Il voulait voir jusqu'ou allait aller cet homme.

- Dois-je vous rappeller comment a fini le dernier Roi qui fût sur le trône? Demanda le second consul.

- C'est vrai qu'il n'a pas eu de chance. Mais vous savez, je suis persuadé qu'il y a au fond, dans la masse de la nation, un désir de retour à la monarchie.

Étrangement, Cambacérès en doutait...

- Vous présumez donc que le retour de la monarchie ne sera pas vue d'un mauvais œil?

- Tous les bons esprits la demandent, assura Lucien en haussant les épaules. Puis, mon cher collègue, ce ne serait pas au profit des Bourbons que l'on l'a rétablirait.

"Bien sûr, au vôtre", pensa-t-il.

- À quel profit, donc? L'interrogea-t-il comme s'il ne connaissait pas déjà la réponse.

- À celui des Buonaparte! Dont je serai le principal acteur, bien sûr.

- Je l'entends bien ainsi, lui répondit Cambacérès. Et je suis prêt à coopérer à cette grande œuvre.

Autant y adhérer pour l'instant, l'on verra plus tard avec le vrai Napoléon ce qu'il en dira. D'ailleurs, maintenant qu'il y pensait, c'est vrai qu'il ne l'avait pas vu depuis plus de deux semaines au moins...

- Bien sûr, le titre de Roi ne me convient pas, assura Lucien. Je me présenterai à la France, à l'Europe, avec un titre nouveau, plus imposant, plus solennel, plus auguste. Je laisserai derrière la royauté de Hugues Capet, et reconstituerai l'Empire de Charlemagne, ce qui nous donnera le droit sur tous les territoires d'Occident et surtout ceux qu'on ravis l'Allemagne à la France!

- C'est une belle pensée, dit finalement le second consul, qui au fond trouvait ce raisonnement très bas.

- Et d'ailleurs, nous tous qui avons juré haine contre la royauté, n'avons rien juré contre l'Empire. Ce titre d'Empereur ne choquera aucune cervelle républicaine!

Pourquoi pas faire un couronnement? Ce serait grandiose, convaincant, et ça mettrait tous les pays d'Europe sur le cul! Oh, pourquoi pas aussi inviter le pape lui-même? Lucien eut un grand sourire. La question qui suivit le lui fit disparaître.

- Mais, en adoptant les formes de la République Romaine, dont nous avons déjà le sénat, les tribuns, les questeurs, les préfets, conserverez-vous sous cet Empire les deux consuls, l'un chargé des finances, et l'autre, de l'administration générale? Car ma position me tracasse.

Zut, Lucien n'était pas assez calé en politique pour ça... il dit sans réfléchir :

- Oui, le titre de consul disparaîtra. À la place, nous mettrons pour vous celui d'archichancelier et pour Lebrun, notre troisième consul, celui d'architrésorier.

- Va pour l'archichancelier, dit-il d'un petit rire, ne prenant pas cette annonce au sérieux. Citoyen premier consul, veuillez m'excuser, cette discussion fut intéressante, mais je dois rentrer ; l'on m'attend.

Lucien trouva cette fin de conversation un peu brusque, mais peu importe. Il avait eut ce qu'il voulait. Avant que Cambacérès ne le quitte, il lui assura avec un rictus :

- Croyez-moi... je serai empereur. 

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now