Chapitre [68]

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Il était midi passé, et le bruit était omniprésent dans cet espèce de restaurant au milieu de la ville. Les cris et bavardages, autant ceux des cuisiniers que des clients, couvraient la musique et les chants qui tentaient de se faire entendre. Au milieu de tout ce brouhaha, Marmont mangeait en compagnie de Junot. Ça faisait des semaines au moins qu'il n'avait pas déjeuné en compagnie de son ami d'enfance. Pour une fois que Buonaparte était trop occupé à ses recherches pour l'accaparer, il en profitait. Junot avait de suite accepté l'invitation. Règle d'Or, on ne refuse jamais de la bouffe gratuite.

Le blond mordit à pleine dents dans un morceau de veau dégoulinant d'huile et de jus. Son meilleur ami, lui, se contentait d'un bol de couscous qu'il mangeait à petite cuillerées. Il s'arrêta de mâcher un instant pour se concentrer sur les odeurs qui l'entourait. L'arôme d'épices et de viande rôtie enveloppait délicieusement l'endroit, et il ne pouvait que s'en délecter.

Junot cassa toute poésie en empoignant autant de semoule qu'il le pu dans le bol de son ami. Marmont ne dit rien, même si ce n'était pas l'envie de soupirer voire de râler qui lui manquait. Il faut dire qu'il avait l'habitude, avec Junot...

- Tu aimes beaucoup la semoule, jugea-t-il, plus pour briser le silence qu'autre chose.

- F'est bon, et fa va avec tout, répondit-il la bouche pleine en lui en envoyant au visage.

Marmont s'essuya la joue et reprit sa cuillère.

- C'est vrai. Que ce soit avec n'importe quelle viande, n'importe quels légumes, c'est toujours délicieux. C'est dommage que nous n'en ayons pas en France. Nous devrions demander à Buonaparte d'en importer. Enfin... lorsque nous aurions de nouveau une flotte. Ça n'a d'ailleurs pas l'air de l'inquiéter du tout que la nôtre ait été coulée...

Le blond haussa les épaules. C'est qu'il n'avait pas été là lorsque le général l'avait appris, pour penser une chose pareille. Mais c'est vrai que maintenant qu'il y repensait, son général faisait comme si de rien n'était...

- Junot, n'as-tu pas remarqué que Buonaparte... m'évite? En ce moment.

Celui-ci ne portait même pas attention à la question. Il engloutissait des poignées de semoule aussi grandes que ses poings pouvait en attraper, et sa bouche les dévorer. Il finit de manger sa viande, et en envoya l'os en arrière, bien qu'il soit dans un lieu gorgé de monde.

- Je ne crois pourtant pas l'avoir blessé...

Il échangea avec un morceau de pain, dans lequel il mordit goulûment.

- Écoute-moi! Ne vois-tu pas que ça me tracasse? S'agaça Marmont.

Junot s'essuya la bouche couverte de jus de viande avec sa manche et le regarda avec un air désintéressé.

- Il doit être occupé, voilà tout.

- Occupé? C'est insensé. Tout à l'heure j'ai voulu l'aider à mesurer des pierres. Pour l'aider, tu vois bien. Il m'a renvoyé comme si j'étais son pire ennemi!

- Bah. 'De mauvaise humeur.

- J'ai déjà vu Buonaparte de mauvaise humeur, et il a les yeux en flammes. Pas glaçants.

Junot avait entamé un morceau de poulet, qu'il dévora sans pitié. Tout en continuant de mordre tour à tour dans un pain entier.

- Tu le connais mieux que moi! Lui ai-je fait quelque chose?

- Je ne pense pas. Il ne m'en a pas parlé en tout cas.

- Et puis depuis deux semaines, je m'occupe de recenser les canons restants et de voir comment on pourrait faire venir des munitions de France. Je lui suis utile! Et puis j'y suis occupé, comment ai-je pu le mettre en colère si je ne viens pas le voir? Ai-je mal fait mon travail? Il s'en fiche bien, pourtant, des canons et des munitions!

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant