Chapitre [34]

40 2 1
                                    


- Vous êtes un homme bien aimable...

Napoleone regardait la jeune femme en bredouillant, submergé d'un embarras qui s'intensifia lorsque cette dernière lui prit les mains.

- Venir nous apporter votre aide...

- Désirée, je...

Elle remonta sa main sur son bras, jusqu'à sa joue, qu'elle caressa doucement. le corse se recula.

- Je suis désolé, je- je ne puis...

Désirée lui tourna le dos d'un air dramatique.

- Alors vous me rejetez... je suis une jeune fille rêveuse, c'est cela. Ce n'est que la troisième fois que je vous vois... et pourtant, je m'étais déjà imaginée à votre bras, marchant vers l'autel.

- Je m'excuse sincèrement de briser vos espoirs. Et... je n'ai pourtant rien d'un prince. Je suis mal coiffé et mal habillé.

- Mais un prince est élégant au cœur et non à sa carrure...

Elle avait les larmes aux yeux, mais il ne le remarqua pas.

- Alors jamais vous ne me prendrez pour femme...

- Je suis avec les femmes comme je suis avec les lettres françaises. Je n'en mérite pas, et encore moins une comme vous.

- Vous vous trompez... en amour, vous êtes plus sage que n'importe quel homme.

Il regarda le sol. En amour... avec lui... était-ce de l'amour...? De l'amour... comme ressentait cette femme pour lui..?

- Je suis désolé, ma chère Désirée, mais je ne puis répondre à ces sentiments que vous avez le courage de me montrer. Ce n'est pas que je ne vous porte pas d'affection... mais je serai incapable de vous en faire part et mes projets et ambitions ne seront qu'un obstacle à cet amour que vous me portez. Et.. Et puis nous nous connaissons à peine...

- Roméo et Juliette avaient-il besoin de se connaître pour tomber amoureux...?

Là, Napoleone commençait vraiment à avoir peur. Il déglutit, mal à l'aise. Il avait été poli, mais il ne savait pas comment proprement quitter cette jeune femme qui s'était, on ne sait comment, éprise de lui.

- Pardonnez-moi, mais je dois malheureusement vous abandonner. J'ai encore beaucoup de travail qui m'attend.

- Je comprends... alors... adieu, si je comprends bien...?

- Je... euh... oui...

Un peu déboussolé, il avait quitté le domaine des Clary, se plongeant dans ses pensées en s'engageant dans les rues en direction de leur hôtel. Une fois arrivé dans sa chambre, il vit Junot en train de lire, la bouche pleine d'une brioche avec laquelle il était en train de salir les draps.

- Oh, bonjour, mon général!

Il ne dit rien et vint le prendre contre lui, le serrant le plus fort possible.

- Junot... Junot, Junot...

- Euh... vous voulez un morceau de brioche, c'est ça...?

Il se recula un peu et jeta un œil sur le met que lui présentait son compagnon.

- ...Où as-tu eu cette brioche? Ce n'est pas avec notre peu d'argent que tu as pu te l'offrir... par pitié, dis-moi que tu n'as pas gâché nos économies pour ça.

- Bien sûr que non! C'est la boulangère qui me l'a offert en échange de mon aide!

Il passa sa main dans les cheveux de Junot et dégagea son front d'une boucle blonde avant de contempler ses yeux.

- Tu as tant de facilités à communiquer et à persuader autrui... alors que je peine à faire entendre mon plus grand projet à un ministre sénile. Si cela continue ainsi... la campagne d'Italie que je prépare depuis des mois n'aura jamais lieu... ou alors, j'en serai absent...

- Ne dites pas de telles choses! Vous y prendrez part, et je vous suivrai! Vous en serez un des généraux! Même le général en chef!

- Comme j'aimerais que tu dises la vérité, sourit-il.

- D'ailleurs, où étiez-vous?

- Je suis retourné chez les Clary. Soupira-t-il en se relevant.

- Je croyais que cette famille vous exaspérait.

- J'avais un service à leur rendre.

Il fouilla dans un tiroir et en ressortit quelques feuilles.

- Je crois bien devoir peaufiner mon projet...

- D'ailleurs, mon général... pourquoi voulez-vous attaquer l'Italie, exactement? Enfin, c'était une idée du directoire, à la base, mais... pourquoi vouloir y prendre part? Surtout que vous m'avez dit maintes fois que vos ambitions étaient à l'intérieur de la France et même en Égypte...

Le général se retourna vers lui un instant mais détourna le regard.

- Car je dois faire mes preuves. Si je veux avoir accès à une flotte importante et à des chercheurs expérimentés pour mon voyage en Égypte, je dois gagner leur confiance, à eux, au directoire et au peuple. De plus l'Italie, Gênes précisément, mérite que l'on s'attarde sur elle... vois-tu, c'est elle qui a vendu la Corse aux français, comme si nous n'étions qu'une vulgaire marchandise. En bref, cette campagne d'Italie est non seulement la clé de ma vengeance envers elle mais aussi et surtout celle qui m'ouvrira les portes de l'Égypte.

- Alors de sont des convictions personnelles qui vous motivent~?

- Que serait un homme qui ne fait pas son chemin seul? Un jouet à manipuler pour les autres. Il faut savoir être égoïste, surtout quand le monde est rempli d'hypocrites.

Junot prit une grande bouchée de sa brioche et demanda de but en blanc :

- Vous allez faire un coup d'État?

- Non, on ne va tout de même pas aller jusque là...! Et qui voudra suivre un homme comme moi dans une telle entreprise... de plus, même si je souhaite que l'on ai confiance en moi, je ne fais confiance à personne. Je monterai au pouvoir par moi-même, en gravitant les échelons... même si je devrai en humilier d'autres.

- Même à moi, vous ne faites pas confiance?

- Si, bien sûr... mais tu es une exception. Je ne puis même pas faire confiance à ma propre famille...

- J'en suis honoré alors.

- Maintenant s'il te plaît, ne sois pas bruyant, lui demanda-t-il s'asseyant à son bureau. j'ai besoin de concentration.

- Je serai silencieux comme une tombe!!

- Des tombes... il en faudra en ériger un bon nombre lorsque ce qui est inscrit sur ce papier aura lieu dans la réalité...

Junot n'écoutait déjà plus, plongé dans une de ses nouvelles esquisses. Il dessinait mal, mais... peu importe. Lui trouvait ça beau.

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now