Chapitre [186]

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- Junot!! Que fais-tu?! Il est temps d'attaquer!

Le général n'écoutait pas les cris de Murat. Celui-ci lui criait d'agir, d'ordonner, de bouger, mais il n'y faisait guère attention. Lui qui avait toujours aimé la guerre, qui en avait raffolé, le spectacle qu'il avait devant les yeux l'avait dégoûté, comme un déclic. Son état mental se déclinait de plus en plus depuis qu'il avait quitté son beau pays. Il empirait déjà lorsqu'il était au chaud dans un lit, autant dire qu'une campagne aux conditions désastreuses ne l'aidait pas à guérir.

Les cris de Murat résonnaient dans son esprit. Il n'avait pas la force de faire un geste, ni même de dire un mot. Il savait que les français perdaient la bataille. Et pour une fois, pour une fois, il ne voulu rien faire pour arracher un peu de victoire ou même d'honneur.

Lorsqu'il sortit de sa torpeur, Murat n'était plus à ses côtés, tout comme les autres officiers. Le bruit continuel des fusils et des canons s'était arrêté. Alors pourquoi les entendait-il encore...? Était-ce la fin de la bataille...?

Sans réfléchir, il descendit de son cheval, et se laissa tomber sur le sol d'herbe, sur lequel il se coucha.

Il n'avait même pas commandé proprement son corps d'armée, son général le grondera probablement, mais peu importe. Il ferma les yeux. Il voulait juste oublier.

~ ☘ ~

Cela faisait un mois que Junot avait lamentablement échoué à son commandement. Aujourd'hui une autre bataille avait eu lieu, et son regard était plongé dans le blanc de la neige, colorée de rouge sang et de boue. Ses lèvres tremblaient de froid, et ses joues d'habitude si chaudes se teintaient de bleu sous le vent glacial. Car si lorsqu'ils avaient quitté Paris, c'était l'été, lorsqu'ils avaient pénétré au cœur de la Russie, l'hiver était venu. Ils n'étaient encore qu'en septembre, mais le froid avait déjà envahi les plaines russes.

Junot laissa ses yeux parcourir la scène. Si plus aucun camp ne se battait, c'est car aucun n'en était encore capable. Des deux côtés, les cadavres avaient recouvert la plaine, et les soldats encore vivants boitaient pour fuir cette hécatombe. Certains étaient noyés dans une rivière à proximité, la Moskova, s'ils s'en souvenait bien. Enfin, ce n'était pas si important.

Il descendit de son cheval, et marcha jusqu'à elle, dans un élan de curiosité morbide. Ses bottes usées mais solides craquaient dans la neige dure et encore fine.

Il vit un petit attroupement, et s'empressa d'aller en voir la raison. Lorsqu'il vit Ney au sol presque étouffé par leurs collègues, il les repoussa et s'agenouilla près de son ami.

- Que s'est-il passé?!

- Il... Il s'est blessé... un tir...!

- Junot... c'est toi...?

Le général fit soudain pris de panique, ce qui arrivait rarement, à part lors de ses crises de folie.

- FAITES DÉPÊCHER UN MÉDECIN!! N... Ney! Lève-toi!! Allez!!

- Junot... j'ai mal...

Junot observait le visage du maréchal se tordre de douleur, désemparé. Et encore, il n'avait pas les milles pensées qui traversaient son esprit. Junot ne voulait même pas les connaître. Il savait qu'il pensait à sa femme, à ses enfants, peut-être même à lui, à tous ses bons souvenirs, il savait que la peur de mourir le tressaillait. Il savait mais il ne voulait pas voir.

- Où est l'empereur?! Cria Junot, mi-paniqué mi-énervé.

- Il... il est absent... il est...

- PEU IMPORTE!! SOIGNEZ-LE, QUE TOUS LES MÉDECINS ABANDONNENT LES SOLDATS ET SE DÉPÊCHENT ICI POUR SOIGNER LE MARÉCHAL NEY!!

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant