Chapitre [142]

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Marmont descendait lentement et machinalement les marches du palais.

Il ne comprenait pas. Voilà. Il était dans l'incompréhension totale. Bonaparte... Il avait pourtant tant fait avec lui dans leur jeunesse. Ils allaient au théâtre ensemble. Partageaient le même lit et la même bourse. Et voilà qu'il le traitait comme un étranger. Un ennemi.

Le pouvoir corrompt donc à ce point...? Il avouait que lui-même, sa vanité n'avait su résister aux richesses. Mais de là à rejeter ses amis de longue date... Ses amis chers... jamais il ne serait capable de renier Junot, ou Augereau. Et encore moins du jour au lendemain ainsi. Mais peut-être Bonaparte était-il jaloux de lui depuis des années? Peut-être même l'était-il déjà lorsqu'ils vivaient tous sous le même toit? Cet homme avait donc pensé à tout. Non seulement il voulait évincer du pouvoir ceux qui n'en étaient pas dignes, mais en plus il voulait nettoyer son entourage, voire même l'entourage de son entourage. Ses stratégies ne se limitaient pas qu'au champ de bataille, il en usait dans tous les domaines quotidiens... il aimait tout contrôler. C'était un fait. Marmont trouvait ça triste. D'avoir une vie aussi codifiée. Lui qui avait eu une enfance stricte et droite, ne rêvait maintenant plus que de liberté et de vivre au jour le jour.

Mais comme son ancien compagnon corse s'était raffermit...

Il n'y avait pourtant pas lieu de faire preuve d'une telle jalousie... Junot et lui étaient juste amis. Des amis très chers, et fusionnels. L'un de pouvait pas vivre sans l'autre. Enfin, il semblait que Junot s'était trouvé une autre moitié. C'est cette chose qui avait étonné Marmont. Junot et Bonaparte semblaient... amoureux. Depuis toujours... ils se regardaient l'un l'autre comme l'on regarde le trésor le plus brillant et la pierre la plus précieuse. Certes, il l'avait remarqué depuis bien longtemps, mais ce n'était que maintenant qu'il prit vraiment ce fait en compte. Qu'il réalisa que Junot lui donnerait son âme s'il pouvait.

Et puis, Junot lui racontait toujours tout, de toutes façons. Alors... autant dire qu'il en avait, de la matière, pour assurer la véracité de ses pensées. Il ne le voyait déjà que très peu, entre leur travail, leur famille, et en plus Bonaparte qui les séparait... qui sait s'il ne le reverra jamais... s'il ne revient jamais de Hollande... non, il devait le voir. Dernière fois où non, il en avait besoin.

Toujours dans ses pensées, il s'engagea dans la rue de Rivoli qui gorgeait de monde.

L'amour... ah, c'était puissant. Plus que l'amitié...? Il se demandait s'il avait déjà été amoureux de quelqu'un un jour. Il faut dire que son amitié avec son compagnon bourguignon lui suffisait déjà bien assez pour lui donner le sourire. Et toutes ses autres amitiés aussi. Pourquoi s'accaparer d'une femme lorsque la liberté et les amis égayent déjà vos journées? C'était absurde.

Lâchant un soupir, il entra dans la cour de l'hôtel, jetant au passage un coup d'œil au jardin dans lequel siégeant une petite fontaine.

Mis à part le bruit incessant de l'eau de cette dernière et quelques oiseaux, c'était calme.

Il n'eut pas à aller frapper à la lourde porte pour appeler son ami ; ce dernier était plus loin, seul, dans un coin du jardin à s'entraîner au sabre.

Il n'attendit pas pour le rejoindre.

- Junot...!

Il le prit dans ses bras, et l'étreignit le plus fort possible, étreinte qui lui fut rendue.

- Auguste!! Cela faisait des semaines que je ne t'avais pas vu!

- Eh bien, me voilà. Comment te portes-tu?

- Ma foi, très bien. Figure-toi que la semaine dernière, nous nous sommes amusés avec mon général ; nous nous sommes habillés en femmes, et crois-le ou non, nous avons croisé Murat, et il l'a pris pour Caroline! C'était si drôle, si seulement tu avais été présent!

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now