Chapitre [57]

44 2 5
                                    

Junot escaladait la plus grande des pyramides, préférant s'accrocher à chaque pierre qui dépassait, à chaque fissure un peu ouverte que d'y grimper comme sur un escalier. C'était tout de même plus drôle ainsi! Sans aucune peur face à la hauteur qui le séparait du sol dont il s'élognait de plus en plus, il continuait à grimper avec un grand sourire aux lèvres pour parvenir à son but : arriver tout en haut du monument.

- Général, je pense que ces calculs sont plus exacts, annonça l'un des chercheurs en posant ses feuilles sur la table.

- Vous avez mal calculé, s'aperçut Napoléon après avoir jeté un rapide coup d'œil. Vous avez divisé par trois alors qu'il faut multiplier par deux. Cette pyramide ne peut pas être si basse que cela! Bon sang, il faut tout faire soi-même, ici... grogna-t-il en attrapant un crayon et en corrigeant le tout en quelques secondes.

- Vous... excusez-moi de mon erreur...

- Voilà, c'est tout de même plus plausible! Maintenant, revenons à ces mesures du temps et du climat. Si le Soleil se couche à l'heure indiquée, alors-

- Mon général, nous avons un problème.

Le Corse releva la tête vers Murat, visiblement énervé que l'on vienne encore le déranger dans ses recherches.

- Murat, ne vois-tu pas que je suis occupé?! Si les soldats ont faim, dis-leur de piller la partie nord de la ville, soupira-t-il en replongeant dans ses calculs.

- C'est que... c'est un peu plus délicat.

Napoléon se résigna. Il ne pourra pas travailler en paix s'il n'aura pas réglé ça.

- Bon, je te suis. Mais ça a intérêt à être rapide.

- Je ne parlerais pas si vite à votre place.

En effet, le général en chef de crispa en voyant de quoi il était question.

- Que... J... Junot..!! DESCENDS TOUT DE SUITE!!

Le bourguignon ne l'écouta pas, trop concentré sur ses prises. Proche du sommet, il y parvint en se mettant debout comme il put, cherchant l'équilibre.

- MON GÉNÉRAAAAAL!! REGARDEZ-MOI!! Cria-t-il en agitant le bras et en manquant de glisser.

Le général en question était sur le point de faire une crise cardiaque en le voyant.

- JUNOT!! Murat, fais... FAIS QUELQUE CHOSE!!!

- Mais, je... vous voulez que... j'aille le chercher? C'est que... vous savez, moi, les hauteurs...

- Kléber, allez-y!!!

- Les... les pierres doivent être glissantes, ne pensez-vous pas...?

- MAIS QUELS INCAPABLES!!!

- Pourquoi n'y allez-vous pas vous-même, mon général?

- Je... ce n'est pas mon rôle!! Mentit-il. Et puis il peut très bien redescendre tout seul!! JUNOT!!!

En haut de la vieille pyramide, où il n'entendait rien des cris sous-jacents, Junot se sentait au sommet du monde. La vue était si magnifique... le Nil et sa verdure, Le Caire où foule de français et d'arabes grouillait, à leurs occupations, comme dans une fourmilière, et au loin, le désert infini qui appelait aux voyages. Son général avait dit que du haut de ces pyramides, quarante siècles les contemplaient... maintenant, c'était Junot qui avait l'impression de les contempler, ces quarante siècles. l'Égypte antique et légendaire qui façonnait les esprits avait beau être recouverte par une nouvelle culture arabe et l'occupation anglaise et ottomane, les pyramides, les grains de sable et l'eau du Nil, eux, étaient toujours les mêmes d'il y a quatre mille ans.

Quelle chance n'avait-il pas... d'être ici... et grâce à son général tant aimé... dommage que ce dernier ait peur des hauteurs, sinon il lui aurait proposé de monter en haut de cette pyramide avec lui. Qu'il voit lui aussi ce monde comme s'il en était le Dieu...

Il en avait les larmes aux yeux tellement il était ému.

Il baissa la tête et vit son général tant adoré qui regardait en sa direction. Il lui fit un signe de la main, tout souriant.

- Murat... POURQUOI NE DESCEND-T-IL PAS?! MAIS... C'EST QU'IL SE MOQUE DE MOI!!

- Mon général, il ne doit pas nous entendre de là-haut. Je pense qu'il sera mieux pour nous d'attendre qu'il ne redescende de lui-même.

- Grrr.... ah, et comment veux-tu que je parvienne à me concentrer sur mes calculs, maintenant?! Mais quel inconscient, que idiota, que pazzo!!

Il continuait à ruminer, insultant tous ceux qui ouvraient la bouche, et froissant tous les papiers qu'il avait sous la main. Ah, si Junot redescendait vivant, il ne le restera pas longtemps!!

L'intéressé, en tout cas, profitait pleinement de la vue unique qui s'offrait à lui. Il finit tout de même par redescendre au bout de quelques minutes, lentement, et eu à peine posé pied à terre qu'il se précipita sur son supérieur.

- Mon général! Vous avez vu comme je-

Il se reçut une claque d'emblée.

- ME FAIRE UNE FRAYEUR PAREILLE!! MAIS TU ES COMPLÈTEMENT INCONSCIENT!!!

- Mais... mon général...

- CROIS-TU QUE JE N'AI QUE ÇA À FAIRE QUE DE M'OCCUPER D'UN ENFANT COMME TOI?! MERDE, JUNOT, COMPORTE-TOI EN ADULTE RESPONSABLE!! EN GÉNÉRAL RESPONSABLE!!

Autour, tous regardaient mais personne n'osait parler.

- J'AURAIS DÛ TE LAISSER EN FRANCE!! VOILÀ! À PARIS! OU DANS TA FOUTUE BOURGOGNE!! OH, MAIS MÊME LÀ-BAS TU AURAIS ÉTÉ CAPABLE DES PIRES IDIOTIES!! RÉFLÉCHIS-TU, PARFOIS?! TU ES PIRE QUE LUCIANO!!

- Mais... mais....

Il reniflait, tentant de contenir les larmes qui s'accumulaient aux coins de ses yeux.

- MAINTENANT, HORS DE MA VUE!! JE NE VEUX PLUS TE VOIR!! Il empoigna d'autres feuilles de papier. ET LE PROCHAIN QUI ME DÉRANGE, À MOINS QUE LES ANGLAIS N'ATTAQUENT, JE LE FAIS FUSILLER!!

Gênés et effrayés, tout le monde se remit à sa tâche, laissant le général Corse reprendre son travail en ruminant et Junot verser quelques larmes.

Il fit demi-tour et chercha Marmont, qu'il ne voyait d'ailleurs plus beaucoup en ce moment. Quand ce dernier n'était pas en train d'entraîner ses soldats, il était à l'autre bout de la ville à jouer à l'explorateur. Lui, son meilleur ami, son ami d'enfance... il réussissait toujours à le consoler. Et il savait qu'il allait être fier de lui quand il lui racontera son exploit!

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now