Chapitre [123]

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Lucien avait profité de l'absence de son frère aîné pour prendre sa place. Et ce n'était pas à la légère. Il avait revêtu son plus beau beau costume, une veste rouge brillant, et avait même dû s'efforcer, à contre-cœur, de couper ses cheveux pour ressembler davantage au véritable premier consul. Rien ne pouvait à présent les différencier. Sauf la couleur de leurs yeux, mais cela, personne n'y faisait attention.

Fier de porter cette tenue typique au poste qu'il avait usurpé, il parcouru le bureau de son frère de long en large, les mains derrière le dos et le sourire aux lèvres. Cet endroit, il s'en s'était emparé, et absolument personne n'avait tenté de l'en empêcher. Comme les gens étaient idiots... et aveugles.

- Citoyen premier consul, vous m'avez demandé?

Que disait-il?

- Oui, oui. J'ai à parler avec vous.

Cette homme, dont il avait oublié le nom, était un comte qu'il savait opportuniste, et peu clairvoyant, exactement ce dont il avait besoin.

- C'est un honneur, vous savez... je...

- Trève de bavardages, ce que vous dîtes est inutile.

L'homme resta silencieux tandis que Lucien alla s'asseoir sur un fauteuil.

- Qu'attendez-vous? Asseyez-vous, lui somma-t-il en lui indiquant un fauteuil en face du sien.

Le comte obéit, légèrement intimidé. C'est vrai que l'on lui avait décrit le premier consul comme étant exigeant et sûr de lui...

- Je vais aller droit au but, reprit Lucien d'une voix ferme. Je trouve que le titre de premier consul n'est pas assez pour magnifier ma grandeur.

- Vous avez raison, répondit le comte après un silence. Il faudrait vous faire Roi!

Si l'on le faisait Roi, celui-ci pourrait l'anoblir plus encore, le faire Duc, pair de France, le couvrir d'honneurs, et cette histoire pourrait être fortement avantageuse...

- Me faire roi? Cela ne me convient pas! On a tué la royauté sur l'échafaud avec Louis XVI, et il faudrait la retirer du milieu des décombres où elle est ensevelie pour qu'elle me tue aussi?

Il se releva, se mit à marcher au travers de la pièce. Il devait être convaincant.

- Mais le titre d'empereur, continua-t-il en prenant un air innocent, bon, il me fait franchir l'intervalle de dix siècles ; je me trouve dès lors, non pas le successeur de Henri IV, ni de Philippe-Auguste, mais celui de Charlemagne, et me rattache à l'ancien Empire Romain! Il me donne des droits à la suprématie sur les têtes couronnées d'Europe et au protectorat de l'Allemagne. Avec le titre d'empereur, je peux aussi me dire le chef suprême de l'Italie! Ainsi je pourrai légitimement régner sur l'Europe, et je ne viole ni ne fait violer aucun serment, et chacun sera satisfait.

Le comte lui sourit. Roi, Empereur, peu importe. Dans les deux cas, il pourrait y trouver son compte.

- Je vois. Vous êtes pour le titre impérial, soit. Sa nouveauté pourrait plaire, parce qu'elle est antique. Elle pourrait être risquée, mais vous avez tant de charisme, et la nation déteste tant les comités de salut public et les directeurs, soutint-il en rappelant l'incapacité des précédents gouvernements, qu'elle s'en accomodera. La nation vous écoute. Mais dites-moi, il vous faut des armoiries, dignes des plus grands souverains! Avez-vous des armes particulières?

Lucien réfléchit un instant. C'est vrai qu'il n'y avait pas pensé. Il aurait fait ça plus tard.

- Ou bien, prendrez-vous l'écusson de votre père?

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now