Chapitre [41]

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Quelques mois plus tard...

Ce jour-là, il pleuvait.

Ils avaient gagné. Les Français avaient gagné. La République française avait gagné.

Arcole, une de ses premières victoires.

Une de ses premières pertes.

Sur les genoux du général en chef d'Italie était étendu le corps inanimé de Muiron.

Il s'était... sacrifié pour lui... ça semblait si romanesque, mais pour lui c'était tragique.

Sous la pluie battante et ses cheveux sombres trempés se dissimulaient des larmes.

Il aurait dû mourir à sa place!

Muiron était un ange vivant. Un saint. Il méritait de vivre plus que n'importe qui.

Mais la vie... l'avait quitté... par sa faute... une balle prise en plein cœur, pile là où il avait mal. Ça avait été si soudain...

Ça ne devait pas se passer ainsi... il se le répétait en boucle. Il n'aurait pas dû l'emmener avec lui.

Et lui, qu'était-il? Un pion aux yeux du directoire. Un dieu aux yeux de ses soldats. Un monstre à ses propres yeux.

Un monstre qui aurait mérité de mourir comme n'importe quel soldat qui tue un soldat ennemi.

Il serrait l'uniforme sali de son ancien compagnon entre ses doigts. Il n'avait même pas pu lui faire ses adieux. Quel était le dernier mot qu'il avait entendu? Sans doute un mot de rage.

Les larmes ne cessaient de couler sur ses joues froides.

Il se leva, et ordonna dans une voix troublée d'emmener le corps et de bien le placer. À défaut d'avoir pu prendre soin de sa vie, il prendra soin de son inhumation et de son honneur.

Il se rendit à sa tente avec un pas lent ralenti par la boue.

- Mon général!! Félicitations!! Grâce à vous, c'est la victoire qui nous salue!!

Napoléon leva la tête vers Junot avec un regard vide. Puis il éclata en larmes.

Décontenancé, il le prit dans ses bras, le berçant sans comprendre l'origine de toute cette tristesse alors que la joie enveloppait les vainqueurs.

Junot... Junot... il le serra le plus fort possible. Junot... Junot... il ne voulait pas le perdre, il ne veut plus perdre personne!!

Pourquoi... son cœur avait-il si mal...

Il ne fallait pas de cœur pour gagner une campagne. Cela tombait bien, le sien était en morceaux.

~ ☘ ~

Encore quelques mois plus tard...

Joséphine bâilla. Elle était sur son lit, couchée sur le côté comme dans un tableau, à moitié nue et seulement recouverte d'un léger drap bleu. Elle souriait, en direction d'une personne charmante. Un jeune homme roux, à la fine moustache et à la carrure bien bâtie. Hippolyte Charles, son amant en titre, qui sous ses yeux se revêtait d'une chemise blanche et neuve. Un vrai plaisir pour les yeux. Dans une voix aussi douce qu'assurée, elle lui souffla :

- Mon cher, pourquoi partez-vous déjà? La nuit que nous avons passé ensemble n'était-elle pas à votre goût...?

- Elle l'est, ma chère, tout autant que toutes les autres. Malheureusement l'armée m'appelle, et je dois retourner à mon poste.

Un frappement à la porte les interrompit.

- Excusez-moi, j'ai une lettre pour Madame Bonaparte, dit un jeune serviteur en la lui tendant.

Joséphine se leva promptement et alla la lui prendre des mains.

- Dieu, comme je hais ce nom accolé au mien, pesta-t-elle. Qu'est-ce encore? Cet homme ne fait que de m'importuner avec ses lettres, depuis qu'il m'a épousée et est parti en campagne. Ne sait-il pas que ce sont les actes qui me plaisent, et non les mots d'amour vagues et fades? Bien m'en a pris d'en faire mon mari ! J'ai la fortune mais je n'ai plus ma liberté.

Aucun des deux hommes présents n'osa lui répondre.

Elle ouvrit la lettre, et ne lut que les premières lignes avant de la jeter au sol. Elle n'avait aucun intérêt, sans doute des phrases d'amour voire érotiques d'un homme en manque. Ces mots d'amour, elle préférait les entendre de vive voix, de par des hommes bien plus beaux et assurés que lui.

- Et vous, que faites-vous encore là?! Lança-t-elle à l'égard du serviteur, qui prit aussitôt la fuite. Partez donc, mon ami, râla-t-elle en se tournant vers son amant. Je ne suis de toutes façons plus d'humeur pour vous être de bonne compagnie.

Celui-ci s'approcha d'elle et lui baisa la main, un sourire aux lèvres.

- Triste, heureuse ou en colère, vous êtes toujours la plus belle.

- C'est bien cela le problème! Avança-t-elle en s'asseyant sur le lit. Je suis toujours la plus belle. Ne puis-je pas, pour une fois, être la plus brillante? La plus généreuse? Les hommes ne remarquent que la beauté chez les femmes. Et il disent être plus intelligents qu'elles.

- Madame, vous êtes pour moi tout aussi belle que brillante. Vous avez toutes les qualités d'une femme, et même celles d'un homme. Tout pour arriver au pouvoir.

Elle lâcha un petit rire.

- Vous savez me parler. Mais n'aviez-vous pas un poste à rejoindre?

- Finalement, il attendra pour vous.

En fait, il avait surtout plus peur de la colère de Joséphine que de celle de son chef.

- Comme vous êtes galant. Revenez donc dans mes bras.

Il l'enlaça, et s'assit près d'elle sur le lit. Puis il vit la lettre au sol, et sa curiosité l'emporta ; il se releva pour la ramasser.

- N'avez-vous pas lu cette lettre?

- À quoi bon? Je sais déjà ce qu'elle contient, et j'en suis lasse.

Intrigué, Hippolyte l'ouvrit et se mit à la parcourir.

"...Junot porte à Paris vingt-deux drapeaux. Tu devrais revenir avec lui, entends-tu? Si jamais cela n'était pas fait de suite, qu'il ne vienne pas. Malheur sans remède, douleur sans consolation, peines continues, si j'avais le malheur de le voir venir seul, mon adorable amie. Il te verra, il respirera dans ton temple ; peut-être même lui accorderas-tu la faveur unique et inappréciable de baiser ta joue, et moi, je serai seul, et bien, bien loin. Mais tu vas revenir, n'est-ce pas? Tu vas être ici à côté de moi, sur mon cœur, dans mes bras, sur ma bouche. Prends des ailes, viens, viens! Mais voyage doucement. La route est longue, mauvaise, fatigante. Si tu allais verser ou prendre mal ; ou la fatigue... va doucement. Mon adorable amie, mais sois souvent et rapidement avec moi par le passé."

Il s'arrêta là. Il n'avait lu que la moitié de la lettre, et la trouvait déjà pour le moins... confusante. Il la referma, un sourcil levé.

- Cet lettre est étrange.

- Tout comme celui qui l'a écrite.

- Non, vraiment. L'on dirait qu'il souhaite que tu séduises ce Junot...

- Junot? Son nom me dit quelque chose. Je l'ai vu de loin, plusieurs fois. C'est vrai qu'il est bel homme. Mais un peu trop brusque à mon goût, de ce que j'ai entendu de lui. Je le laisse à d'autres femmes plus naïves. Allons, viens ici. Viens me rejoindre. Ne t'occupes pas de mon mari, il n'est pas important. Dès qu'il reviendra d'Italie, s'il ne revient pas glorieux et rapportant des richesses, j'en divorcerai... et toi, tu seras mon nouvel époux.

- Il souhaiterait vraiment que vous le rejoigniez en Italie...

- Il veut à ce point que je me rende en Italie? Soit, j'y ferai un voyage avec toi. Tu le mérites bien... et puis je finis par m'ennuyer, ici. Pourquoi pas ne pas y rester un peu? Mon mari veut que je revienne avec ce Junot! Bien, nous irons à sa rencontre, et c'est à Paris que l'on reviendra ensemble. Je n'aime pas le champ de bataille, s'il croit que je vais l'y visiter... je vais seulement faire un séjour en Italie, rien qu'avec toi, mon amour.

Il laissa tomber la lettre, et se jeta sur elle pour l'embrasser avec fougue.

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now