Chapitre [32]

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Septembre 1795

Dehors, il pleuvait à verse, mais heureusement, notre petit groupe de quatre était bien abrité dans une librairie. Une petite libraire, entourée de petites maisons, aux grands toits sur lesquels dégoulinaient d'importantes coulées d'eau. Les rues, elles, étaient tout aussi vides que la boutique.

Alors que Muiron et Marmont soupiraient dans un coin, s'ennuyant à mort, les deux autres fouillaient dans les piles de livres avec une passion inébranlable.

- Ce livre a l'air intéressant.

Napoleone ouvrit grand les yeux en voyant le livre que le bourguignon avait attrapé.

- Junot! Repose cet ouvrage tout de suite!!

- J'en ai entendu parler, mais apparemment la façon dont c'est écrit est difficile à lire. Et puis il est assez connu, le Marquis de Sade, non?

- Oui, mais pas pour son écriture pleine de vertu!! Quel pervers.... pourquoi je ne suis pas étonné que tu connaisses cet écrivain..?!

- Mais, mon général, c'est vous qui m'avez dit que lire était la meilleure façon de s'instruire! Alors c'est ce que je fais...

- Oui, mais pas ce type de livre, abruti!

- Moi je trouve que ces tournures de phrases sont une bonne preuve d'originalité, avança Marmont.

- Que n'aura-t-on pas entendu...! Tu n'as qu'à aller partager ton point de vue sur ce livre dans des salons de Paris si tu trouves ce récit si révolutionnaire!

- Quelle magnifique idée!!

- Moi, je veux que tu me le lises pour m'endormir! Rit Marmont.

- Il y a peu de chance que c'est dormir que nous finissions par faire~...

- ......je crois que je vais retourner à Marseille dès que je le pourrai.

- Voyons, vous n'avez pas de sens de l'humour.

- J'ai une tête à avoir un sens de l'humour?

- Vous avez la tête d'un homme dont la femme l'a quitté pour un homme moins fortuné, dont les enfants se sont joués, dont la demeure a brûlé et dont le frère s'est enfui aux Amériques avec toutes les économies.

- Hé, pour le frère, ce serait possible!

- Vous comprenez à présent pourquoi ai-je hâte de retourner à Marseille?!

- Allez, calmez-vous un peu! S'exclama Junot en lui assénant une fessée.

Le Corse devint rouge de honte et lui rendit la claque, sur la joue et en bien plus violent.

Le libraire, lui, regardait le petit groupe en ricanant. C'était pas tous les jours qu'il en avait des comme ça, des clients aussi peu discrets.

- Nous prenons ce livre, minauda Napoleone en s'éloignant des autres et en s'approchant de lui, sans même regarder son interlocuteur.

Le vendeur lui sourit.

- Ça fera 2 sols.

- ...Seulement?!

- C'est un vieux livre bien abîmé. Et puis vous m'avez bien amusé, alors j'vous fais un petit prix!

- "Amusé"... vraiment... je suis... désolé si mes compagnons vous ont causé quelque désagrément.

- Mais non, c'est rien! Et puis vous savez, j'ai peu de clients en ce moment. Avec la fin de la Terreur, les guerres sur les frontières, la population préfère rester chez elle que de se risquer à des dangers là-dehors. Vous avez bien je la chance, vous, de ne pas être là-dedans ; il paraît que ça chauffe, surtout au Nord contre les Autrichiens. Tenez, pour m'excuser d'avoir pourri l'ambiance, je vous offre ce vieil ouvrage. Une nouvelle niaise sur les histoires d'amour d'une princesse, peut-être pourrez-vous l'offrir à une femme qui vous est chère.

- M... Merci... et vous vous trompez, je n'ai pas de femme à qui offrir ce livre.

Il se voyait mal offrir ça à sa mère, ou, pire, à l'une de ses sœurs.

- Et vous vous trompez aussi, car je fais partie de l'armée... soupira-t-il. Mais c'est plutôt compliqué, en ce moment.

- Ah ouais? Vous devriez être content de pas être appelé.

- Pas vraiment. Je souhaiterais, pour des ambitions personnelles, monter en grade, or cela m'est impossible pour l'instant, puisqu'apparement personne ne veut de moi. Ils n'ont pas confiance en mes capacités, même si je leur en ai à maintes reprises démontré l'étendue. Ce sont de vieux généraux trop fiers et vénaux qui ont peur de perdre leur épée et leur place contre de jeunes et nouvelles recrues bien plus doués et ambitieux...

- Vous voulez pas dire "douées et ambitieuses"?

- Oui, pardon... enfin, toujours est-il que c'est à la jeune génération de prendre les commandes de l'armée, et d'en balayer ses vieux commandants. Nous commençons une ère nouvelle, et comme tout changement, il débute par l'armée, puis vers le gouvernement. Mais, comme je vous disais, aucun n'a confiance en mes projets. Cela finit par devenir usant, de se faire rejeter, vous et vos brillants nouveaux plans, par des hommes qui ne savent même pas tenir un fusil. Enfin, je ne souhaite pas vous ennuyer plus longtemps avec mes états d'âmes de colère...

- Non, j'vous comprends un peu. Vous savez, moi je suis pas entré dans l'armée, mais mon fils y est. Je sais pas s'il a de grandes ambitions mais en tout cas il ferait tout pour pas mourir. Et ça, c'est déjà une très grande motivation.

- De grandes ambitions... il baissa la tête et regarda furtivement les livres qu'il tenait en main. La mienne serait de redresser la France, et d'en faire un pays où chaque loi définirait le bien-vivre de ses citoyens. Les guerres les affaiblissent, les Rois les rendent miséreux. Je veux une population cultivée capable de penser par elle-même, et de penser pour la République.

Il remarqua que le libraire le fixait, sans prononcer un mot.

- Vous... vous pensez que c'est impossible? Bien sûr, je suis trop idéaliste... un homme comme moi, à la tête de la France. C'est à peine si je puis bien conjuguer un verbe...

- Vous savez, l'important c'est pas comment nous sommes, mais comment les gens nous voient. Voyez notre défunte Marie-Antoinette : elle paraissait être une imbécile dépensière alors qu'elle n'était qu'une femme insouciante à laquelle on cachait le plus sombre. Bon je dis pas qu'elle aurait pas pu faire des efforts pour la France mais bien qu'elle ne soit pas innocente, elle n'est pas non plus un démon. J'ai utilisé le pire exemple pour illustrer mon argument, j'espère que vous finirez pas comme elle...! Mais tout ça pour dire que le peuple se fout de qui vous soyez ; tant que vous montrez que vous avez les épaules assez larges pour le porter, il est comblé. J'ai peut-être pas eu une grande éducation mais j'ai assez lu et vécu pour apprendre et comprendre certaines choses.

- Je... Je vois... je dois donc me forger une image. Personne ne fera confiance à un homme aussi peu sûr de lui que moi... enfin, ce n'est pas comme si mon masque n'était pas déjà formé. C'est si compliqué, j'aimerais que ce soit plus simple.

- Mais ça peut être simple! Vous devez seulement y penser simplement.

- Vous avez raison. Sur ce, je vous remercie pour cette discussion qui me fût plaisante. Je l'aurais volontiers continuée, mais mes amis doivent probablement s'impatienter.

- Je vous en prie. Au plaisir de vous revoir dans ma libraire!

- Elle est un peu loin de mon hôtel, mais si les prix sont toujours aussi bas, je n'hésiterai pas. Au revoir, lui sourit-il.

Le libraire le contempla quitter l'endroit. Son sourire avait quelque chose... de rassurant et de plaisant.

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now