Chapitre [42]

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La voiture faisait route vers Paris.

À l'intérieur, deux personnes qui ne s'entendaient pas ; Junot et Joséphine de lançaient sans arrêt des regards assassins. Lorsque son général lui avait sommé de rapporter les drapeaux pris à l'ennemi à Paris - vingt-deux précisément -, Junot n'aurait jamais pensé qu'il serait dans cette situation.

La France gagnait bataille sur bataille en Italie, et y avait humilié plusieurs pays limitrophes. Tout ce passait donc très bien pour cette campagne. Et Junot, même s'il était quelque peu déçu de ne pouvoir continuer à se battre, s'était vu attribuer cette mission qu'il avait accepté par respect. Et faute de ne pas pouvoir prendre son cheval et aller au galop, drapeaux à la main, voilà qu'il était obligé de se coltiner la compagnie, non seulement de cette femme qu'il méprisait, mais aussi de l'amant de celle-ci. Dans une voiture qui avançait si lentement qu'il avait envie d'en fouetter les chevaux. Chose qui l'agaçait encore plus.

Il jeta un œil à l'amant de Joséphine, cet anglais roux mal coiffé qui ne l'avait pas regardé depuis qu'il les avait rejoint. Ça aussi, ça le mettait hors de lui. Cette femme, non seulement elle avait osé lui voler son général bien-aimé, mais en plus elle le trompait sans aucune retenue. Si cela ne tenait qu'à lui, il lui aurait déjà tranché la tête, à cette catin.

- Messire Junot, vous avez une bien fâcheuse mine, finit-elle par dire en brisant le silence pesant.

- C'est car je suis en bien horrible compagnie.

- Je vois que vous ne me portez pas dans votre cœur.

- Qui porterait une femme comme vous dans son cœur, s'il voyait votre vrai visage?

- Vous êtes blessant. N'avez-vous pas appris la galanterie? D'autant plus que vous devriez m'être reconnaissante ; je vous fais l'honneur de vous offrir une place dans ma voiture.

- Je suis un homme de guerre, la galanterie ne sied guère qu'aux oisifs incapables de tenir une épée. Et mon général voulait de vous que vous alliez à sa rencontre, non que vous passiez en Italie sans le voir et me rameniez à Paris avec vous! Vous m'éloignez de lui et je vous hais pour cela!

Joséphine eut un petit sourire. En réalité, elle n'était aucunement blessée ; cela l'amusait, même.

- Vous êtes un homme intelligent. Est-ce parce que je vous vole votre ami que vous êtes si jaloux et méprisant à mon égard? Vous me voyez comme une femme légère mais je suis bien plus que cela. J'ai su échapper finement à la guillotine, et me hisser parmi les grands de la haute société. Je me suis marié avec ce général bien ennuyeux, certes, j'aurais dû me marier avec Barras, finalement... mais je crois savoir qu'avec cette campagne, mon cher général a récolté des richesses et une gloire sans pareille. Et puis, franchement, il est toujours triste et renfermé, ça n'empirera pas s'il apprend que je lui suis infidèle! Voyez, je n'ai aimé réellement qu'un seul homme dans toute ma vie, ce fut mon défunt premier mari. Maintenant qu'il n'est plus là, je me permets de vivre pleinement ma vie. Ce mariage avec Bonaparte n'est qu'un amusement parmi d'autres... sachez que je ne prends jamais rien au sérieux, sauf lorsqu'il s'agit du bonheur de mes enfants. Allons, ne me voyez pas comme la méchante. Vous aussi, vous aimez vivre avec légèreté. Voyez, peut-être me reprochez-vous d'arborer vos propres défauts...

Junot explosa.

- Absolument pas!! Que ne faut-il pas entendre!! Il vous a écrit chaque jour durant des mois, il était blessé de votre absence de réponse, et lorsqu'il lui arrivait l'une de vos lettres, vous le suppliez de pardonner vos coucheries!! Des papiers si mensongers que du poison en découlait!! Vous lui faisiez miroiter que vous alliez le rejoindre!! Il a un cœur fragile, et vous jouez avec, jusqu'au jour où vous aller le détruire, sale petite peste!!

- Voyons, messire Junot, calmez-vous. Et puis, je suis venue en Italie, c'est ce qu'il souhaitait.

- Sans le voir, et avec votre amant, pour passer quelques nuits avec lui et repartir ensuite en France! La belle affaire!! Quelle est votre définition du respect, exactement?!

Là, Joséphine qui était restée calme, finit clairement par s'énerver.

- Elle est plus sage que la vôtre, vous qui parlez à une femme respectable avec tant de vulgarité. Ah, les paysans de campagne... c'est vrai qu'ils sont si rustres.

Junot vit rouge. Ah, ça, non, on n'insultait pas sa Bourgogne natale!!

Il leva la main et s'apprêta à lui en foutre une bonne, quand Hippolyte le coupa dans son élan en disant d'une petite voix :

- Excusez-moi, mais nous sommes arrivés à Lyon... et comme il est l'heure du déjeuner et que la voiture est arrêtée...

En effet, la voiture s'était arrêtée et il ne s'en était même pas aperçu.

- Très bien, profitons-en. Trouvons une bonne auberge et allons manger, proposa, ou plutôt ordonna, Joséphine. Et vous, Junot, je vous interdis de nous suivre.

Tandis qu'elle sortit du véhicule, Junot serra le poing qui aurait dû lui arriver à la figure.

Lui ne sortit pas pour manger où que ce soit, il resta dans cet espace clos qu'ironiquement, il ne supportait pas. S'il allait au-dehors, sa colère se manifesterait et il casserait tout ce qu'il verrait. Donc mieux valait rester ici et tenter de se calmer. Même la pensée de son si beau général ne parvenait plus à l'apaiser. À chaque fois qu'il pensait à lui, il pensait à sa foutue femme. Il pensa alors à la couque bourguignonne. C'est bon, la couque. C'est malin, il avait faim maintenant.

Il attendit ainsi jusqu'à ce que reviennent les deux tourtereaux et que la voiture reprenne sa route.

On peut dire que la suite du voyage ne se fit pas dans une bonne ambiance. Mais au moins, tous se turent.

Folie rime avec irréfléchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant