Chapitre [181]

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Alexandre regarda tout autour de lui. Encore une salle somptueuse décorée avec exagération... depuis une semaine qu'ils s'étaient retrouvés ici avec cet usurpateur- empereur des français, dans le but d'une simple entrevue, ils n'avaient pas eu l'occasion de discuter sérieusement une seule fois. Il n'était venu que pour ça, pourtant. Mais chaque jour, repas et bals retardaient cette conversation. Napoléon était-il effrayé, ou alors se moquait-il de lui? Peu importe, il commençait vraiment à en avoir assez. Ce soir encore, après le souper, il pensait pouvoir être seul, mais on l'avait encore convié à une pièce de théâtre. Et ses acteurs français eurent beau être doués et célèbres, jamais ils n'égaleront les comédiens russes.

Ainsi il descendait à pas rapides les escaliers de cette demeure qui lui semblait si petite par rapport à son palais de Saint-Pétersbourg. De plus, tout était blanc et noir. C'était triste. Il aimait les couleurs.

Il n'eut pas de mal à trouver la salle où allait être joué la représentation, c'était de là que provenait tout le bruit.

Aussitôt qu'il entendit l'empereur français l'interpeller, il regretta de ne pas avoir prétentu être malade ou même fatigué. Il avait fait des efforts, mais il n'appréciait pas cet homme.

- Bonsoir... répondit-indifféremment à sa salutation.

L'empereur lui parla ensuite, jusqu'à leurs fauteuils devant la scène, mais il n'écouta pas. Et dès le commencement de la pièce, il faillit s'endormir.

Lorsqu'elle fut terminée, il lui proposa d'aller discuter autour d'un verre. Peut-être était-ce enfin là l'occasion d'aborder les sujets importants! Au lieu d'aller se coucher, il accepta son invitation, avec un peu d'espoir. Ils s'assirent à une petite table du salon, contre une fenêtre.

Il s'était trompé, l'empereur lui parlait encore de choses futiles, comme de la nourriture française ou de ses façons d'organiser son armée.

Sans l'écouter toujours, Alexandre contempla la nuit noire derrière la fenêtre, éclairée par une Lune cachée par les nuages et les lumières de quelques gardes qui faisaient la ronde. L'horizon n'était que du vide, des champs à perte de vue découpés par un seul chemin. Et dire que non loin avait eu lieu la bataille d'Iéna. Cela le fit réfléchir sur ses positions. Peut-être devait-il vraiment aider les Prussiens. Mais Frédéric-Guillaume était un souverain peureux et effacé, contrairement à sa femme. De l'autre côté, il avait la possibilité de s'allier aux français, qui avaient à leur tête un homme fou qu'il ne pouvait supporter. Que choisir entre la peste et le choléra?

- Ce n'est pas facile de donner des ordres clairs à ses maréchaux, car ils ne retiennent jamais ces ordres entièrement. C'est impossible, de cette façon, d'organiser proprement une bataille, aussi entraînés et armés nos soldats soient-ils.

Cependant, sa mère lui avait toujours répété de faire preuve d'intelligence et de finesse en diplomatie. C'est ainsi qu'avait œuvré sa grand-mère, feu la grande impératrice Catherine. Il devait se montrer digne d'être son petit-fils.

- Quel était votre but, exactement, en me conviant à cette entrevue? L'interrompit-il. Car c'est bien beau de me parler de vous, néanmoins ce qui m'intéresse vraiment, ce sont vos ambitions.

L'empereur ne nota pas cette interruption. Il lui répondit de but en blanc :

- J'ai pour projet d'envahir les Indes. Je vous l'ai dit dans ma lettre, j'étais sérieux.

Alexandre fronça les sourcils. Cet homme était vraiment fou.

Il alla riposter, mais son interlocuteur continua.

- Mais nous en parlerons lors de la signature de notre accord. Ce qui m'alerte le plus, actuellement, est le désordre qui secoue l'Espagne. J'ai appris il y a peu avoir perdu le Portugal aux Anglais, et l'Espagne est toujours assaillie de révoltes. Voyez que la situation en péninsule ibérique n'est guère stable, et qu'il me faut encore y envoyer une importante partie de mon armée pour régler ce problème. Sauf que, voyez-vous, je crains une attaque de l'Autriche à l'Est pendant que mes forces seront occupées au Sud, et je sais de source sûre que celle-ci renforce ses armées... Je veux donc m'assurer que je peux compter sur l'aide et la protection de la Russie en cas d'attaque, et sur vos talents de diplomate pour que vous interveniez sur un actuel désarmement et même sur le politique de l'Empire Autrichien, en général.

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now