Chapitre [30]

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Juillet 1795

- Je parie que tu n'es pas capable de le faire, rit Marmont.

- Que parie-t-on?

- Deux bouteilles de vin.

- C'est cher payé la fessée!

- Ah, tu prends, ou tu ne prends pas!

- Le vin, c'est sacré. Je prends.

Après avoir rapidement serré la main à son ami, Junot s'approcha de Muiron, trèèès lentement... et lui asséna une violente claque sur les fesses.

D'ailleurs, leur propriétaire ne le prit pas très bien, puisqu'il lâcha un cri strident dans toute la rue. Cri auquel réagirent très bien les deux amis d'enfance en éclatant de rire.

Muiron se retourna vers eux, les mains sur son derrière, et le visage rouge mêlant embarras et colère.

- Vous...!! Le Seigneur vous punira!!!

- On le fessera aussi! Rétorqua Junot entre deux rires.

Muiron ne répondit rien. Ils étaient des cas désespérés, on ne pouvait plus rien pour eux.

En entendant tout ce raffût, Napoleone qui lisait en marchant, à peine plus loin devant eux, se détourna de son ouvrage pour les fixer, les sourcils froncés.

- Que se passe-t-il encore??!! J'ai l'impression de garder des enfants!! Dois-je faire la nourrice?!

- B... Buonaparte..! Ils m'ont..!!!

- La nourrice!! HAHAHA!! Oh oui, mon général... donnez-nous du lait de votre sein!! Hahaha!!!

Napoleone, lui aussi, comprenait qu'il n'y avait rien à faire. Il referma son livre, attrapa Muiron par le bras et l'emmena plus loin.

La rue était animée, l'on vivait, et quelques paysans courageux étaient venus jusqu'à Paris pour vendre une partie de leur récolte. La vie parisienne reprenait son cours après la Terreur.

Napoleone emmena son ami, toujours silencieux, jusqu'à une petite place, au milieu de laquelle siégeait une vieille fontaine en pierre qui avait probablement connu les débuts du Moyen-Âge. Aucune goutte d'eau n'y coulait, mais un ruisseau d'eau de pluie faisait son chemin à ses pieds. Il s'assit sur son rebord et Muiron fit de même. Il ne parla pas, et se contenta d'ouvrir son livre là où il l'avait refermé et de se replonger dans sa lecture.

Muiron jeta un rapide coup d'œil vers lui. Puis il porta son regard plus loin, sur un coin de la place, où Junot et Marmont continuaient de rire comme si de rien n'était, parlant sans doute de choses futiles. Il ne savait pas s'il devait envier leur inconscience ou la mépriser.

- Tu n'as pas mal?

- Pardon?

- Junot. Quand il frappe, ce n'est jamais doucement.

- Oh, euh... non, ça va.

Il était trop gêné pour reparler de ce geste qui lui était dérangeant. Il préféra laisser vagabonder son regard sur la petite place agitée. Ils n'étaient pas dans les plus riches quartiers de Paris... ils étaient même dans un des faubourgs les plus pauvres. Rien n'était propre, ici, et les petites maisons ainsi que les quelques basses-cours adjacentes nous feraient presque nous croire dans un petit village de campagne. Quelques enfants jouaient, aussi. Chacun vacquait à ses occupations, en fait. C'était très bruyant, mais Muiron trouvait ça calme, presque relaxant. Cela le rassurait, surtout. Il n'avait pas de bons souvenirs de son adolescence où il s'était retrouvé seul dans des rues vides aux pavés rouges de sang. Et ces têtes éparpillées, et ces cris hurlant à l'exécution mêlés aux pleurs étouffés... il eut un frisson rien qu'à ce terrible souvenir.

Il regarda Buonaparte. Celui-ci lisait toujours, l'air à la fois concentré et impassible.

Cela aussi, c'était apaisant... entre Junot et Marmont, l'on avait plus besoin d'aucun divertissement. Il y avait constamment du bruit autour de lui. Pire que des bambins. Et pas du bruit relaxant comme ceux de la vie citadine, non ; des bruits dont on se passerait bien si on tient à ses tympans.

Muiron ferma les yeux. Cette ville semblait en paix... après ces années de Terreur... et pourtant, la guerre continuait aux frontières. Aujourd'hui il était à Paris, mais qui sait si demain il ne sera pas sur le champ de bataille? Il détestait la guerre, mais il servira son pays. Par devoir, peut-être par pitié aussi. Ils étaient tous courageux, ils étaient tous prêts à se battre. Alors lui aussi.

Il entendit quelqu'un l'interpeller et sortit de ses réflexions. Lorsqu'il ouvrir les yeux, il tomba nez-à-nez avec Junot, qui lui tendait quelque chose.

- Tiens, voilà une pomme pour toi. C'est pour nous faire pardonner. On sait qu'on est stupides, mais pas sots! On aime rire c'est tout.

Muiron voulu rétorquer qu'en effet, ça il l'avait bien remarqué, mais il se contenta de le remercier.

- ...Merci. C'est très aimable à vous.

- Et pour vous, mon général, je vous ai pris une orange! S'exclama-t-il en lui mettant le fruit sous le nez.

- ...C'est très gentil à toi, Junot, mais je n'aime pas les oranges, répondit-il sèchement.

- Oh... vous auriez préféré une pomme?

- Oui, enfin, ce n'est pas grave. Je n'ai pas faim de toutes façons.

- JUNOT!!! VIENS VITE!! J'AI TROUVÉ UNE FEMME QUI VEND DU VIN BOURGUIGNON!!

Des étoiles apparurent dans ses yeux.

- J'ARRIVE!!

Il regarda Muiron, à qui il n'eut pas besoin de parler pour qu'il comprenne.

- Non, merci, je préfère rester ici, assura-t-il avec un petit sourire. Allez chercher votre vin. Et ne dépensez pas toutes vos économies! Ajouta-t-il en criant alors qu'ils s'éloignaient.

Le Corse tourna une page de son livre.

- Ils vont dépenser toutes leurs économies.

- Oui... probablement...

- Qui sont, par ailleurs, nos économies, puisque nous travaillons et pas eux.

- En effet... peu importe. Qu'ils en profitent.

- Tu as vraiment bon cœur.

- Le Seigneur m'a appris à agir de cette sorte.

Napoleone soupira juste silencieusement. On savait ce qu'il pensait de ce prétendu Seigneur.

- Ils ont une grande joie de vivre... ils ne voient pas la misère...

- Espérons que cela dure, dit simplement Napoleone, qui avait juste envie de pouvoir lire dans le silence.

Muiron dût le comprendre au ton de sa voix car il ne rajouta rien.

Il ferma encore les yeux.

Et il écouta.

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now