Chapitre [80]

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Junot savait pertinemment que Lanusse, comme bien d'autres généraux ici, était contre son général bien-aimé et ses idées. Il faisait partie de ces généraux rustres incapables de comprendre un homme sensible comme lui...

Il se retenait pour ne pas en égorger un. Surtout ce Lanusse... il n'avait cessé de cracher des injures sur le général chéri et de n'en dire que du mal. Déjà, quand on a un nom pareil, on se tait. Et ensuite, on fait attention quand on insulte un homme et que l'homme de sa vie est juste à côté. Ça, Junot allait bien lui faire comprendre, s'il continuait sur ce jeu-là.

Maintenant qu'il était enfin revenu dans une grande ville avec, pour sa part, des batailles victorieuses au compteur, - contrairement à la plupart des généraux réunis ici après une période de guerre - il avait invité l'un d'entre eux, Lanusse, qu'il détestait particulièrement, à jouer aux jeux de cartes, histoire de l'humilier et de lui prendre son argent avec. Et pour l'instant, ça fonctionnait plutôt bien. Cela faisait déjà trois heures au moins qu'ils jouaient, lorsqu'ils avaient commencé, le Soleil était encore haut dans le ciel, et à présent il était couché.

Une fois de plus, le bourguignon avait gagné, et il n'en était pas peu fier. Sa victoire était une vengeance contre les mots perfides que son imbécile d'adversaire avait prononcé tout le long de leurs parties. Il attrapa les cartes pour les mélanger quand son adversaire prit la parole.

- Junot, prête-moi dix louis : tu vois bien qu'à cause de toi, je suis décavé! Annonça Lanusse avec désintérêt, comme si cette demande ne l'amusait pas, mais l'agaçait.

Junot haussa les épaules.

- Je n'ai pas d'argent avec moi, et il reposa la pile de carte devant lui.

Et pourtant, de son autre main, du bout des doigts, il jouait avec une tour de pièces d'or qu'il avait empilée auparavant. Rien que pour le narguer.

Son camarade le toisa du regard.

- Comment dois-je prendre ta réponse?

- Comme il te plaira~...

Les dents serrées, Lanusse reprit d'une voix plus stricte :

- Je t'ai demandé si tu voulais me prêter dix louis de l'argent que tu as devant toi.

Junot se mit à rire.

- Et moi, je te réponds que j'ai bien de l'argent devant moi, mais qu'il n'y en a pas pour un traître comme toi.

Lanusse frappa son poing sur la table, prêt à se lever et à sortir se mettre face  à face pour évacuer cette tension qui s'était accumulée. Il détestait que l'on se moque de lui. À présent, tout le monde autour était tourné vers eux.

Junot se releva, dans le seul but de pouvoir le regarder de haut. Ça y est, il l'avait énervé. Il n'avait plus envie de rire. La prochaine fois qu'il rira, ce sera devant son cadavre ensanglanté.

- Écoute, Lanusse, je t'ai dit que tu étais un traître... et j'ai mes raisons. Même si je conçois que nous soyons tous les deux de braves gens... Mais, vois-tu, il faut que nous nous battions. Il faut que l'un de nous y reste. Je te hais parce que tu hais l'homme que j'aime et que j'admire à l'égal de Dieu même, si ce n'est plus. Oui, battons-nous, et tout de suite. Et je jure de ne me coucher ce soir qu'après avoir réglé cette affaire!

Il avait haussé le ton après cette dernière phrase, et toisait maintenant l'autre général du regard.

Après tout, c'est ce qu'il avait désiré dès qu'il l'avait entendu dire du mal de son général : lui couper la tête, lui poignarder le cœur.

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now