Chapitre [169]

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- Mon général... nous sommes idiots de toujours nous disputer, n'est-ce pas...?

Napoléon baissa les yeux vers son amant et ne dit rien durant quelques secondes.

- Oui...

Couché sur un canapé ottoman rose aux pieds dorés et la tête posée sur un coussin vert tout aussi richement décoré, l'empereur des français caressait inlassablement les cheveux blonds de l'homme qui était couché sur lui et dont la tête qu'il cajolait reposait contre sa poitrine.

Il déposa un rapide baiser sur son front et son regard bleu intense retourna fixer le plafond coloré. Junot, quand à lui, continuait de tripotailler un bout de tissu du canapé entre ses doigts.

- Nous vivons une histoire d'amour peu commune...

Le corse rit ironiquement.

- Cela, tu peux le dire, oui.

- Nous avons vécu tant de choses... et nous en vivrons encore tellement, je l'espère...

- Tu es bien nostalgique, soudain, mon Junot.

- C'étaient des temps plus tranquilles.

- Tranquilles? Tu parles bien des temps où l'on pouvait se retrouver la tête coupée si l'on disait un mot de travers, et que j'ai failli y passer?

- Je vous aurais accompagné sur l'échafaud.

Junot se colla davantage à lui.

- Et puis, continua-t-il, lorsque je parle de tranquillité, je veux parler de simplicité... pas de politique... pas de commandement...

- De commandement... mon Junot, tu as été réellement fou de parcourir cette si grande distance pour me rejoindre en Autriche. Et si vite! Comment as-tu fait? Tu es un sorcier.

- Non, ma passion pour vous m'a donné la faculté de créer des miracles, rit-il avec un grand sourire. Non! Ce sont des ailes qu'elle m'a fait pousser.

- Car tu es mon ange, tout simplement...

- Moi, un ange? Niveau pureté, on repassera. Je suis plutôt... un ange déchu!

- Ne me l'as-tu pas déjà dit?

- Peut-être.

Napoléon repensa à un sujet moins joyeux. Il soupira.

- Junot, tu n'es pas sans savoir que les caisses de l'État sont vides...

- Oui, et?

Ce n'était pas nouveau, ça.

- Je pourrais te blâmer sur tes inombrables dépenses inconsidérées, mais ce n'est pas là que je veux en venir. La campagne d'Autriche n'a pas suffit à régler ce problème qui est, comme tu t'en doutes, important...

- Si vous n'offriez pas tant de futilités à vos stupides chats... sans compter votre femme... stupide aussi...

- Là n'est pas le sujet!! Et tu es loin d'être mieux!! Ce que j'essaie d'amener, c'est que... nous devons faire d'autres campagnes.

- Oh. D'accord.

- Ta façon de penser est si simple que je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose.

- Que voulez-vous que je vous dise? Vous avez raison.

- Tu pourrais évoquer les risques, les enjeux... non, c'est inutile de parler de politique avec toi.

- Et où voulez-vous les faire, ces campagnes? Parce que si vous optez pour l'Angleterre, c'est pas gagné...

- En Prusse, et en Pologne. Ce serait long à t'expliquer, mais la Prusse et les états germaniques sont en état de faiblesse actuellement, enfin je te passe sa situation intérieure et extérieure, tu n'aurais pas la patience de l'écouter. Quant aux Polonais ils n'ont plus de pays, et quoi de mieux pour qu'ils s'allient à nous qu'une promesse de leur en offrir un?

- Cela me semble compliqué, en effet, mais valable.

- Et aussi... en Espagne voire au Portugal... mais là-bas ce sera toi qui ira. Tu connais le pays.

- Vous voulez que... j'aille à l'autre bout de l'Europe sans vous??!! Encore une fois??!!

- Je ne sais pas. Je dois y réfléchir.

Junot se releva un peu et le fixa dans les yeux.

- Si j'étais sensé je vous dirais que c'est pure folie de vouloir s'attaquer à autant de pays limitrophes ; or je suis fou et j'aime la guerre. Ce projet de campagnes devrait être renommé "projet suicide de la nation française", mais l'on a qu'une vie et autant en profiter, n'est-ce pas?

- ...Junot, parfois le seul fait que tu ne sois pas au pouvoir me rassure.

- C'est pourtant vous qui avez annoncé ce projet, et non moi.

- Justement, ce ne sont que de simples idées à peine élaborées. Il ne s'agit pas seulement de remplir les caisses de l'État... je veux aussi tester la fidélité et l'intelligence et la bravoure de mes généraux, et montrer la force de la France à l'Europe entière, ainsi elle s'abstiendra de nous attaquer. Changeons de sujet, s'il te plaît, je réfléchirai à tout cela plus tard.

- Vous, vouloir moins réfléchir? Je ne vous reconnais plus!

- Je suis seulement fatigué.

Le blond se leva et s'avança vers la fenêtre. Il ouvrit davantage les rideaux et laissa son regard vagabonder entre les jardins et la ville et ses grands bâtiments.

- Parmi tous ces hommes et ces femmes qui passent dans ces rues, combien en est-il qui donneraient des années de leur existence, leur propre vie, pour être là où je suis, mon général...? Oui, il en est qui feraient de grands sacrifices...

- Bien moins que tu ne le crois...

- Il n'en est pas dans Paris, dans la France, que dis-je, dans le monde tout entier, un cœur qui soit aussi heureux que le mien en cet instant.

Son cœur fit un bond à l'entente de cette phrase.

- Mon Junot...

Il se redressa et s'assit sur le canapé rose, les yeux brillants.

- Viens là... viens là, tu m'as tellement manqué durant ces mois de campagne...

Junot se retourna et lui adressa un petit sourire. Sans attendre, il vint s'assoir sur ses genoux, et s'installa à peine qu'il fut attaqué d'un baiser terriblement brutal et fougueux.

Le souffle coupé, il se blottit contre lui en le serrant le plus fort possible. Cette chaleur, il voulait la sentir encore plus, il voulait la sentir jusqu'au plus profond de son cœur... Il lui tira les cheveux et l'embrassa encore plus abruptement, griffant sa peau à travers ses vêtements fins.

Il l'aimait... il l'aimait... pourquoi était-ce si simple... et si compliqué à la fois...? 

Folie rime avec irréfléchiWhere stories live. Discover now