Chapitre 10 : Quatrième Partie

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Alyssa.

Elle s'adossa sur le dossier de sa chaise et se frotta les yeux. Elle ne savait pas depuis combien d'heures elle lisait les ouvrages poussiéreux de cette petite bibliothèque. Tout était calme et silencieux ici, tellement que ça en était troublant. Elle n'y était vraiment pas habituée, et cela la stressait. Heureusement, le bruit de lime de Sverd la rassurait. Le palais était toujours plein de mondes, de vie. Ici on avait l'impression d'être mort. Ce silence l'isolait totalement, et certaine fois il lui arrivait d'éprouver des crises d'angoisse à l'idée de se retrouvée seule. Mais elle ne l'était pratiquement jamais. Liam, Kendra et Sverd ne la laissait pas déambuler seule à travers les couloirs sombres.

Maintenant qu'elle y repensait, depuis qu'elle avait quitté le palais, elle ne s'était jamais retrouvée seule. Elléïs avait toujours été là. Et c'était aussi la première fois qu'elle voyait son amie comme ça, si distante et d'humeur changeante. Pendant tout le trajet depuis le village, elle avait été tendue, nerveuse et d'une humeur exécrable. Elle répondait quasiment pas aux questions. Elle s'était renfermée sur elle-même et personne n'arrivait à la faire parler, même pas elle. Elle avait essayé de nombreuses fois, et à chaque fois elle répondait par monosyllabes ou pas du tout. Ça avait un peu entaché leur amitié. Au réveil elle avait disparue ne réapparaissait qu'aux repas. C'était la première fois qu'elle se détachait autant d'elle. Elle n'y était vraiment pas habituée. Quand elle se retournait, d'ordinaire, Elléïs était toujours derrière elle. Elle se retourna : personne

Elle soupira et repris à sa lecture. Depuis qu'elle avait vu l'immense barrage d'Ambrillon, construit afin d'irriguer les cultures du royaume. La reine Ambre avait formé ce projet, mais n'avait pas pu voir l'aboutissement. Ce monument était colossal. Le fleuve était immensément large, tellement que depuis une rive on avait du mal à distinguer l'autre. Elle avait eu l'idée de de détourner le fleuve vers les rivières qui à l'époque auraient pu être confondues avec de petits ruisseaux, et ainsi ces rivières avaient eu un écoulement beaucoup plus important. Tout le long, les plantations avaient poussé comme des fleurs au printemps. Aujourd'hui, elles étaient si importantes qu'elles parvenaient à nourrir toute la population de la Capitale et ses alentours. Alyssa était émerveillée devant tant d'ingéniosité. A l'époque ce devait être une sort de mythe, détourner ainsi ce fleuve. Mais la reine avait réalisé ce projet. Elle était persuadée qu'elle avait dû se battre bec et ongle pour le faire, tellement cela devait sonner irréalisable. Même elle avait du mal à le croire, que l'être humain est pu mener à bout un projet aussi prodigieux.

C'était ce qui lui avait ouvert l'esprit. Elle ne connaissait absolument rien de son propre pays. Ni de l'histoire, ni du potentiel, ni de ses habitant. Ni même de se ancêtres. Soit, demander aux Réincarnés aurait été plus simple. Mais elle avait trop honte d'elle-même et beaucoup trop d'orgueil. Et puis elle était sure que si elle ne parvenait pas à communiquer avec eux c'était justement parce qu'ils ne voulaient pas. Elle se souvenait de ce qu'avait dit le roi Aaron. Ce serait trop simple. Cette épopée à travers le royaume était l'occasion de le connaitre et d'apprendre surtout. Elle devait le faire sérieusement. Elle avait trouvé plein de livres retraçant l'histoire d'Asthéa. Ce nom qu'elle portait jusqu'ici, elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il représentait. Le nom de celui qui avait sauvé tout un pays d'une extinction assurée. Les légendes et contes qu'elle connaissait prenaient soudainement vie et forme. Elle en était déjà sure avec ce que lui avait raconté les Réincarnés, mais avec les ouvrages, c'était des preuves matériels qu'elle avait. Le roi Tyran était un homme de la pire espèce : esclavage et exploitations des populations, et même des enfants. Il volait tout l'argent du peuple sans regrets, mais aussi les belles jeunes filles qu'il enfermait dans un harem. Jusqu'au jour où Adrian était arrivé. C'était un jeune noble. Malheureusement pour elle, il y avait très peu d'informations sur les origines de sa famille. Pas d'arbre généalogique, ni de lieu de naissance. En fait elle avait l'impression qu'il était apparu comme ça. Hors il devait bien sortir de quelque part. C'était ce qu'elle cherchait depuis des heures mais rien, aucunes informations sur le passé de ce jeune chevalier. On ne racontait que son exploit.

Elle intercepta le regard de Sverd qui était braqué sur elle, il le détourna aussitôt et repris son activité. Elle repensa à ce fameux jour où elle avait tué Jaak... Elle regarda ses mains. C'était la première fois qu'elle tuait quelqu'un par sa propre volonté et de sang-froid. Et le pire dans tout ça c'est que ça ne lui faisait ni chaud, ni froid. Elle n'avait aucune pitié pour lui, mais elle n'éprouvait pas non plus de la satisfaction. C'était juste comme si elle avait écrasé une simple mouche. Et c'était ce sentiment dont elle avait peur. L'indifférence. Allait-elle considérer la vie de ses ennemis comme elle considérait les insectes ? Elle n'aimait pas trop ce nouvel aspect. Elle ne se rappela pas d'avoir réfléchi, mais plutôt d'avoir agi à l'instinct : Sverd était en danger, il était trop tôt pour qu'il rejoigne son père. Elle ne pouvait pas se le permettre. Depuis, Sverd lui en voulait un peu. Il voulait absolument se venger, il ne disait rien mais elle le sentait dans son regard. Si elle disait qu'en plus elle l'avait tué pour le protéger, sa fierté en prendrait un coup, ce qu'elle voulait à tout prix éviter.

Au diner, deux heures plus tard ou même plus – elle perdait la notion du temps dans ces profondeurs- tous se retrouvèrent. Liam s'assit près de Sverd à l'autre bout de la table et Kendra s'assit près d'elle.Elléïs se tint a l'écart avec Edgar à ses côtés.  La Salle à Manger, comme ils l'appellaient était une grande pièce garnie de cinq tables alignées dans le sens de la longueur. Elles étaient longues et partaient du petit piédestal où se trouvait une autre table moins longue que les autres, avec cinq chaises derrière.

- Pourquoi il n'y a personne ? demanda-t-elle, un peu curieuse.

Elléïs suivit son regard mais ne répondit.

- C'est la table des Maitres et du Grand Maitre, expliqua Edgar en avalant une cuillère de son repas.

- Les maitres ? Où sont-ils ?

- Les Maitres sont les professeurs de la guilde. Et le Grand Maitre c'est le chef de la guilde autrement dit le père D'Elléïs.

Elléïs suspendit son geste et fusilla Edgar du regard puis continua à manger silencieusement sans apporter le moindre commentaires. Ce qui était étrange, d'habitude, si Elléïs avait quelque chose à dire elle ne se gênait pas pour le faire.

- Ils sont occupés à faire passer les différentes épreuves. Vous avez sans doute remarqué qu'il n'y a presque personne ici.

- Et donc il n'y a aucun adulte ici pour surveiller ? Et si jamais il arrivait quelque chose ?

Edgar parti dans un éclat de rire qui se propagea à travers la salle. Le peu de personne qui se trouvaient à l'intérieur les regarda comme si ils venaient d'apparaitre devant eux. Alyssa ne se sentait pas à l'aise. Elle rentra sa tête dans ses épaules en s'assurant que sa capuche était bien toujours sur sa tête.

- Regardez autour de vous princesse, pensez-vous sincèrement que quelqu'un ferait quelque chose ? La plupart des personnes qui se trouvent ici, sont des orphelins. Les autres, il jeta un regard à Elléïs qui l'ignora. Les autres sont simplement des enfants que les parents envoient ici afin d'effacer toute trace de leur existence, pour plusieurs raisons. Ils ont trop peur d'être jetés dehors. Et puis, la Porte du Chêne ne s'ouvre que de l'extérieur. Une fois passé l'escalier, nous sommes pris au piège.

Alyssa regarda autour d'elle. Maintenant qu'elle regardait de plus près, les personnes ici étaient tous en bas âge. Le visage d'une pâleur extrême presque comme le sien. Surement dû au fait de leur enfermement dans ces sous-sols depuis des lustres. Ils ne parlaient jamais, ne bougeaient qu'en silence. Vivant discrètement dans leur coin sans attirer l'attention de personne. Elle regarda Elléïs. Étais-ce dans cette ambiance qu'elle avait grandie ? Elle ? L'Elléïs si énergique avec qui elle faisait les pires bêtises au palais ?

Plus le temps passait, plus elle se disait qu'elle en connaissait rien de sa meilleure amie.

La Lumière d'Asthéa : la Princesse DéchueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant